La folie des magasins Tedi, qui débarquent en Wallonie: «Nous visons les 300 succursales» (reportage)
Souvent comparée à Action, l’enseigne allemande de hard discount non alimentaire Tedi existe depuis 20 ans. Avec la flexibilité des travailleurs qu’elle embauche comme pierre angulaire de son modèle économique, elle débarque dans sept villes wallonnes en 2024. Reportage à Seraing, lors de l’inauguration de l’un de ses magasins.
Le bus tournicote longuement dans le trafic dense et le décor postindustriel du bassin sidérurgique liégeois. Le crachin de ce vendredi matin donne la grise mine aux passants. Le long du boulevard Pasteur, un vieil homme tente d’empiler quatre sacs de courses volumineux entre la selle et le guidon de son scooter, visiblement conquis par l’abondance d’articles qu’offrent les rayons du Tedi de Seraing. Décoré de ballons aux couleurs jaune et bleu de la marque, la nouvelle enseigne est ce matin-là le théâtre d’un incessant va-et-vient de curieux de tous âges. Pour ses premiers jours d’existence, le magasin sera ouvert de 8 à 20 heures, et un DJ rythmera l’accueil de la clientèle. Les enfants reçoivent des frisbees, des ballons, se font grimer. «On voulait découvrir et c’est vraiment super, tout n’est pas forcément à un euro comme on le dit souvent, mais le choix est dingue et c’est bien pratique avant Noël», s’enthousiasme une cliente, accompagnée de toute sa famille. «Quel monde!», s’exclame un autre à la vue des files aux caisses, tout en s’engouffrant dans les rayons. Des porte-savon à paillettes, des casseroles, du papier d’emballage pour les cadeaux, des boîtes de rangement empilables, du matériel de bricolage… La quantité et la variété d’objets à prix écrasés sont déconcertantes. En revanche, les articles alimentaires sont rares (contrairement à son concurrent néerlandais Action, dont le chiffre d’affaires atteignait plus de 11 milliards d’euros en 2021 contre 1,8 milliard pour Tedi) et se limitent à quelques bonbons et chips, vendus en conditionnements XXL.
«Nous aimerions atteindre les 300 points de vente en Belgique.»
En pleine expansion
Créé en 2004 par un groupe d’investisseurs à Dortmund, Tedi (pour Top Euro Discount) s’est rapidement développée en Allemagne: le succès de la combinaison entre large assortiment et prix agressifs a permis l’ouverture de 120 magasins dans l’année. Aujourd’hui, on en compte plus de 3.200, disséminés dans quinze pays européens; et le hard-discounter emploie 35.000 personnes, dont une soixantaine chez nous. Son objectif à moyen terme: un réseau de 5.000 points de vente en Europe .
Déjà présente en Flandre depuis 2023, Tedi a une faim de loup, et la Belgique fait partie de ses cibles: «Nous aimerions y atteindre 300 succursales. Nous attendons avec impatience les offres des actionnaires.» Le message est martelé des magasins au site Internet : dans des zones à «haute fréquentation de clientèle», Tedi est à la recherche de suggestions d’espaces commerciaux d’au moins 650 mètres carrés pour implanter ses nouvelles boutiques. Vorace, l’entreprise allemande veut visiblement saisir chaque hangar commercial potentiellement convertible: «Nous sommes ouverts à toute discussion en cas de différences par rapport aux critères exigés.»
Les sites inaugurés actuellement en Wallonie remplacent des anciens magasins Bristol, ce qui permet à l’entreprise de jouir d’espaces commerciaux déjà assignés à son type de commerce et d’ainsi faire l’économie de demandes de permis chronophages. Le schéma est récurrent, puisqu’une manœuvre similaire a eu lieu en France, où, comme le rapportait Ouest-France, Tedi a racheté et remplacé une quarantaine de magasins du groupe breton de déstockage Max Plus, en faillite. «Pour des raisons de concurrence», le discounter jaune et bleu qui promet 3.000 articles à un euro refuse de dévoiler les mises à jour de son chiffre d’affaires et du nombre de clients qu’il attire.
Des employés sans magasin fixe
Au fond du magasin, la porte de l’entrepôt assortie d’une pancarte «réservé au personnel» est ouverte. Elle laisse s’échapper des dialogues sonores et joyeux. La moyenne d’âge des employés avoisine les 25 ans, tout le monde, curieusement, parle en allemand… Quand les clients les accostent, le dialogue se tente en anglais. «Bonjour, ravie de vous rencontrer, voulez-vous que je vous présente la grande famille Tedi?» Myrvete Suka est responsable régionale. Elle travaille pour Tedi depuis quatre ans et coordonne depuis peu les équipes d’employés belges –au nombre de huit à dix par magasin. Elle a surgi du local sérésien flanquée du responsable technique, Abdullah Alsalat, dont le rôle est d’organiser le montage des magasins et de leurs rayons. «Cela fait deux semaines qu’on s’affaire, aujourd’hui est un jour très excitant pour nous, et on se réjouit du monde qui répond présent en masse», se félicite-t-il.
Le duo s’applique et veille à ce que chaque magasin propose une parfaite réplique de leurs homologues allemands. Le fonctionnement, les articles, les prix, l’environnement visuel: tout est voulu le plus homogène possible à travers l’Europe. Le but, d’une part, est d’habituer et de fidéliser la clientèle, et, d’autre part, de faire «circuler» facilement les équipes d’un magasin à l’autre, comme le précise Myrvete Suka : «Chaque collaborateur est un salarié de Tedi, aucune enseigne n’est franchisée. Notre fonctionnement prévoit que nos employés restent soudés mais changent de magasin toutes les deux semaines. Le gérant, lui, reste attaché à un site propre. C’est pour cela qu’en ce moment à Seraing, la majorité des employés sont originaires d’Allemagne. Dans quinze jours, ce seront d’autres personnes, en fonction du nombre jugé utile au regard des premiers chiffres de fréquentation.» Tedi multiplie ainsi les contrats à durée déterminée (CDD) en prenant en charge les nuits d’hôtel pour ses travailleurs, les frais de déplacement et en mettant des voitures à leur disposition. «Cela plaît beaucoup à nos collaborateurs. Ils bénéficient de primes quand ils logent loin de chez eux. En Espagne, par exemple, ils peuvent profiter de la plage et des soirées quand leur journée est finie. En plus, tout le monde se connaît, les managers sont accessibles. L’ambiance est vraiment bon enfant.»
«Nos employés changent de magasin toutes les deux semaines. Ça leur plaît beaucoup.»
Craintes sur le banc syndical
Morlanwelz, Charleroi, Namur, Malmedy, Verviers, Aywaille, Seraing… Si Tedi se targue de dynamiser l’activité économique en Wallonie grâce à un plan d’implantation ambitieux, l’arrivée d’un nouveau hard discounter donne lieu à quelques craintes du côté syndical. «Cette arrivée de Tedi en Wallonie s’inscrit dans une tendance globale de forte concurrence dans le secteur du commerce, où le chassé-croisé entre enseignes est incessant, contextualise Valérie Van Walleghem, secrétaire fédérale Setca, spécialiste du commerce. Nous n’avons pas encore étudié en profondeur cette entreprise et, à ce jour, nous n’avons pas d’affiliation venant de chez eux. Je ne vais pas leur faire un procès d’intention avant de bien les connaître. On peut toutefois s’attendre à des politiques d’emploi assez dures pour le personnel, comme c’est le cas dans les magasins à bas coût en général. Avec leurs prix écrasés, ces enseignes doivent compenser la faiblesse de leurs marges bénéficiaires par des économies consenties ailleurs, ce qui implique bien souvent de la pression élevée sur les travailleurs. Ainsi, les hard discounters ont pour habitude de tourner avec le minimum de personnel nécessaire, de préférence flexible dans les contrats et les heures de travail, de sorte à pouvoir mettre les bras où et quand ils en ont besoin.» Des réserves que partage Cyrine Gardes, chercheuse associée au laboratoire au Centre d’étude et de recherche travail, organisation, pouvoir (Certop), pour qui ces magasins peuvent être rentables à condition d’exiger beaucoup de leurs travailleurs: polyvalence, capacité à surmonter une clientèle et des stocks massifs, à travailler en équipes peu nombreuses…
Au milieu des clients, un employé se démène pour faire entrer quelques saladiers supplémentaires dans un petit espace apparu sur l’étagère d’un rayon. Comme tous les autres, son seul signe distinctif se matérialise par un badge électronique noir accroché à sa poche de pantalon. «La cadence de travail est assez élevée et c’est stressant d’avoir autant de choses à regarder en permanence. Mais l’ambiance est vraiment chouette entre nous. Ensemble, nous voilà à la moitié de notre mois de travail en Belgique. Ce qui est bien avec ce job, c’est le salaire. J’ai tout de même hâte de rentrer pour retrouver ma famille. Je leur ai promis de leur offrir beaucoup de choses à mon retour.» Le jeune homme préfère taire le montant de son revenu, ainsi que son nom. Il est curieux du prochain magasin qui lui sera attribué, en espérant le découvrir moins loin de chez lui, du côté de Dortmund.
Gaëtan Spinhayer
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