Colruyt Group a dévoilé son intention d’ouvrir ses magasins Okay le dimanche matin. Une évolution logique, qui répond aux pratiques des concurrents.

Ouvrir le dimanche, désormais un must pour les supermarchés? «La grande distribution belge a une guerre de retard»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Après Delhaize ou Carrefour, c’est au tour des magasins Okay de songer à ouvrir le dimanche. La franchisation à foison des enseignes, l’évolution des habitudes de consommation et les récentes promesses gouvernementales rendent l’ouverture dominicale incontournable pour les supermarchés. Le «hard discount» pourrait suivre.

Garder portes closes le dimanche? Plus que la règle, c’est désormais devenu l’exception dans la grande distribution. Dans un secteur ultra-concurrentiel, le «jour du seigneur» doit désormais rimer avec «labeur», sous peine de sévères pertes de marché. Colruyt Group l’a bien compris, et a récemment fait part de son intention d’ouvrir ses 146 magasins Okay le dimanche matin. Mi-février, c’était son concurrent Carrefour qui succombait à la tentation de l’ouverture dominicale pour ses 40 hypermarchés et 43 Carrefour Market.

Peu surprenantes, ces annonces en série s’inscrivent dans le cadre d’une profonde mutation du monde du retail ces dernières années, catalysée par l’avènement des franchises. «Depuis les années 2000, la part de marché des magasins intégrés ne fait que baisser, alors que celle des franchisés explose, rappelle Gino Van Ossel, professeur à la Vlerick Business School. Alors qu’il y a trois ans, la moitié du chiffre d’affaires de la grande distribution restait encore lié aux performances des points de vente intégrés, la situation a diamètralement changé aujourd’hui

De l’avantage à la contrainte

La franchisation des 128 magasins Delhaize, en 2023, a bouleversé le secteur. Et inévitablement inspiré d’autres enseignes, séduites par l’autonomie et la flexibilité dont jouissent ces commerces reliftés, notamment en termes d’horaires. Les ouvertures dominicales y sont généralisées, augmentant la pression sur les supermarchés de plus grande taille. «Auparavant, ouvrir le dimanche, c’était s’assurer d’un avantage sur la concurrence, résume Gino Van Ossel. Mais aujourd’hui, c’est l’inverse: les seuls qui continuent à garder leurs portes fermées en souffrent

Les habitudes des consommateurs ont également été bousculées, au rythme des évolutions sociologiques et socio-démographiques. Alors que dans les années 1970, la proportion de femmes au foyer restait importante, elle est aujourd’hui quasi nulle. «Avec deux parents occupés à temps plein, les familles n’ont plus beaucoup le temps de faire leurs courses en semaine, note Gino Van Ossel. Si le samedi est réservé aux compétitions sportives ou à d’autres types de shopping, le dimanche devient alors le seul jour possible pour les courses alimentaires.» Le nombre toujours plus importants de célibataires ou de couples sans enfants, plus «impulsifs» dans leur mode de consommation, modifie en outre le rythme des visites au supermarché, estime le spécialiste du retail.

Le coup de pouce de l’Arizona

Le dimanche s’est ainsi peu à peu imposé comme un jour de fréquentation incontournable. Et pas uniquement pour des dépannages de dernière minute. «Tous les experts de la consommation pensaient que l’ouverture dominicale servirait à pallier les oublis, or c’est complètement l’inverse qui se produit aujourd’hui, observe Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola. Le dimanche est devenu une journée de courses à part entière, car les ménages ont le temps de penser à leurs achats et de flâner dans les rayons. En caisses, on voit défiler des caddies bien remplis, avec des réserves pour toute la semaine, voire plus.» Pour le CEO de Gondola, cette tendance est le signe d’un manque d’anticipation de la part du secteur. «La grande distribution belge a une guerre de retard, tranche l’expert. Le consommateur a depuis longtemps délaissé des habitudes qu’on croyait bien ancrées, au profit d’un maximum de flexibilité.»

«Le dimanche est devenu une journée de courses à part entière, car les ménages ont le temps de penser à leurs achats et de flâner dans les rayons.»

Pierre-Alexandre Billiet

CEO de Gondola

Les projets de Carrefour et Okay ne sont pas non plus étrangers aux ambitions récemment affichées par l’Arizona. Dans son accord de coalition, le gouvernement De Wever indique en effet vouloir mettre un terme au jour de repos hebdomadaire dans les commerces. Une obligation de 24 heures consécutives de fermeture que ne respectaient déjà pas certains magasins franchisés. «Or, au lieu de renforcer cette régulation, l’exécutif décide de la faire complètement sauter, en déroulant le tapis rouge aux patrons, dénonce Myriam Djegham, secrétaire nationale de la CNE pour le secteur du commerce. Les travailleurs, pris en otage par la guerre acharnée que se livrent les enseignes, verront encore leurs droits et leurs conditions de travail se dégrader.»

Harmoniser les commissions paritaires?

Plus largement, la CNE se dit «profondément inquiète» du virage amorcé par l’Arizona en matière de commerce, ouvrant la voie à une précarisation accrue de l’emploi, au travers de la modification de la règlementation du travail de nuit et de l’augmentation des plafonds pour les heures prestées par les flexi-jobbers ou les étudiants. «Le gouvernement réalise tous les vœux des grands patrons du commerce, en multipliant les attaques inquiétantes contre les travailleurs», tranche encore Myriam Djegham.

Ce coup d’accélérateur donné par l’Arizona pourrait inspirer d’autres types d’enseigne à ouvrir le dimanche, notamment dans le secteur du hard discount, estime Gino Van Ossel. Contrairement aux commerces de proximité ou aux supermarchés de taille moyenne, les Lidl et autres Aldi n’ouvrent que du lundi au samedi, avec des horaires plus restreints (8h30-19h). Une tendance liée aux commissions paritaires (CP) auxquelles le secteur est soumis, qui entraînent des coûts salariaux importants pour les horaires décalés. «Ce manque d’alignement total entre les CP de la grande distribution est affolant en Belgique, dénonce Pierre-Alexandre Billiet. A terme, cette discrépance risque de représenter un handicap structurel pour le secteur de la consommation par rapport à l’étranger. Le réel enjeu, c’est donc l’harmonisation de ces CP, dont l’ouverture dominicale n’est qu’un élément parmi d’autres.»

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