Esprit est la dernière victime dans un secteur de la mode chamboulé. © IMAGO/Manuel Stefan

Le prêt-à-porter prêt à tomber? Pourquoi certaines enseignes textiles sont en grandes difficultés

Thomas Bernard
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

Pimkie, Camaïeu, New Look, Naf Naf, Kookai, Cassis & Paprika, SuperDry ou les belges Talking French, Made&More: les marques de vêtements se détricotent les unes après les autres. Avec comme première victime le milieu de gamme, qui peine à trouver sa place dans un marché bouleversé et voit ses boutiques physiques fermer les unes après les autres.

Les boutiques Esprit viennent de se déclarer en faillites en Belgique, dans le cadre d’une vaste restructuration, et c’est tout le secteur textile qui laisse entrevoir ses difficultés. Une nouvelle fois.

La marque de vêtements évoque dans un communiqué de presse «le ralentissement mondial de la croissance économique, combiné à une forte augmentation des coûts énergétiques et logistiques, un climat de consommation négatif en Europe et des prix élevés pour les magasins surdimensionnés». Les points de vente exploités par des indépendants en Belgique pourront poursuivre leur activité, assure le communiqué.

Esprit n’est pas la première marque à connaître des troubles, parfois jusqu’à la fermeture pure et simple. Ces dernières années, les turbulences chez Pimkie, Gap, Camaïeu, New Look, Cassis & Paprika ou encore SuperDry font apparaître les maux d’un secteur textile fragilisé, perdu et en danger.

Davantage que d’autres ? «La mode et le prêt-à-porter affrontent une crise profonde, abonde Wim Van Edom, chef économiste de Comeos, la fédération belge du commerce et des services. Au sortir de la crise du Covid, qui a forcé les boutiques à garder portes closes, la guerre en Ukraine a déclenché une crise des prix de l’énergie, l’inflation a grimpé et tous les consommateurs ont revu leurs priorités d’achats. Certaines choses ont gagné en importance, les abonnements aux services de streaming par exemple, d’autres en ont perdu». L’achat de vêtements neuf a été rangé au bas de la pile des envies des consommateurs.

D’autres faillites à prévoir?

Pour le spécialiste des questions économiques, ces crises à répétition ont également épuisé les réserves de ces boutiques. «Elles n’ont plus la capacité à encaisser le moindre choc, la moindre mauvaise saison, avec des ventes en berne. La crainte existe qu’Esprit ne soit pas la dernière marque à devoir se déclarer en faillite, c’est une évidence. Certaines sont sans liquidité.»

Autre tendance, l’e-commerce, qui a explosé partout durant la crise du Covid. La Belgique, longtemps à la traîne, a vu les sites se multiplier rapidement. «Le retard était bien visible puisqu’en 2020 le nombre de plate-forme d’achats en ligne a presque doublé en Belgique», détaille Wim Van Edom.

Mais les marques de milieu de gamme ont dû composer avec une concurrence féroce. Zalando, Bol.com, Amazon et compagnie accaparent une grande partie des achats. Le secteur des vêtements n’échappe pas à la règle. Sans parler de la difficulté à gérer les envois et les retours lorsqu’un vêtement ne convient pas, etc.

Dernier clou sur le cercueil – et la veste en cuir – du prêt-à-porter, l’explosion de la seconde main. «Le succès d’une plate-forme comme Vinted montre bien que de nouveaux modes de consommation se sont développés, poursuit le chef économiste. Les boutiques physiques de seconde main ont également connu une hausse de fréquentation, ce qui est logique dans un contexte de rétrécissement du pouvoir d’achat.»

Le bas de gamme récupère les clients

Si le milieu de gamme boit donc la tasse face à ces multiples changements, le haut de gamme continue à bien se porter, les classes les plus aisées n’ayant pas souffert autant des hausses de prix. «Les clients de ce genre de boutique cherchent aussi à voir, sentir et toucher le produit avant l’achat. Cela fait partie de leur expérience en magasin. Ils continuent à les visiter», précise Wim Van Edom.

Autre segment en forme, le bas de gamme. «Dans un contexte de crise du pouvoir d’achat, le fait que les consommateurs se focalisent sur le prix est logique. Le milieu de gamme est mal pris dans ce contexte, avec des prix plus élevés qu’en entrée de gamme, mais une qualité qui n’est pas celle du haut de gamme, poursuit le chef économiste. Certains consommateurs ont changé leurs habitudes en allant voir ce qu’ils pouvaient avoir pour moins cher. Le transfert de clients du milieu vers l’entrée de gamme est très clair.»

“Certains consommateurs ont changé leurs habitudes en allant voir ce qu’ils pouvaient avoir pour moins cher.”

Wim Van Edom

Un point qui peut étonner, dans un contexte où les questions socio-environnementales ont acquis plus d’importance. Le consommateur ferme-t-il les yeux en plaçant son t-shirt à 3 euros dans son panier? «Le secteur de la mode a déjà beaucoup changé, en intégrant les questions environnementales et de surconsommation dans l’équation, mais oui la fast-fashion continue de se vendre, reconnaît l’expert de Comeos. Si vous posez la question, tout le monde vous dira qu’il veut des vêtements plus durables, moins néfastes pour la planète, conçu avec respect. Mais quasiment personne ne veut payer plus pour cela. Il y a une tension entre mes envies de citoyen et mes critères d’achat de consommateur. Le prix reste le premier facteur d’achat pour beaucoup de personnes.»

Le consommateur retournera-t-il un jour sa veste sur ce point? Si pas, il pourra toujours l’acheter en seconde main.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire