Le difficile adieu au mazout en Wallonie: «Le problème sera le même dans cinq ans»
Faute d’alternatives viables pour les nombreux logements mal isolés, le gouvernement de Wallonie a reporté l’interdiction des chaudières à mazout. Voici pourquoi il est si difficile d’en sortir.
La Belgique manque de chiffres récents sur le mix énergétique du chauffage résidentiel. Selon la plus récente estimation, produite par le SPF Economie sur la base de données de 2021, 33% des ménages se chaufferaient totalement ou partiellement au mazout à l’échelle du pays. Une proportion plus faible dans les villes, dont la Région bruxelloise (10% à 14%), mais nettement plus élevée au sud du pays: environ 40%, soit 635.000 logements, évoquait l’ex-ministre wallon de l’Energie, Philippe Henry (Ecolo), à l’occasion d’une question parlementaire en mai 2023. Depuis lors, cette proportion a sans doute (très) légèrement diminué, au gré de rénovations et de changements de combustible. Mais il est certain que les chaudières à mazout restent légion dans une Région qui, par ailleurs, ne dispose pas d’un réseau de distribution de gaz aussi extensif qu’en Flandre.
Report de l’interdiction pour le neuf et l’existant
Au nord du pays, l’installation d’une nouvelle chaudières à mazout est interdite depuis 2022 déjà pour les nouvelles constructions, les rénovations en profondeur et les simples remplacements si le raccordement au gaz naturel est possible. La Région bruxelloise prévoit de faire de même en 2025. La Wallonie, elle, vient de changer de cap. Initialement, en vertu de son plan Air Climet Energie (Pace), elle tablait sur la fin des nouvelles chaudières à mazout dès mars 2025 pour les nouvelles constructions et dès 2026 pour les rénovations d’ampleur. La ministre wallonne de l’Energie, Cécile Neven (MR), a confirmé le report en séance plénière du parlement, le 18 décembre dernier: «Les deux dates –pour les bâtiments existants et pour les bâtiments neufs– seront postposées. Pour les bâtiments neufs, le problème est beaucoup moins compliqué, parce qu’ils sont généralement isolés, et l’on peut trouver des alternatives. Il s’agira probablement d’un léger report. Pour les bâtiments existants, c’est beaucoup plus complexe. D’une part, les alternatives doivent être étudiées, et d’autre part, le parc de bâtiments existants n’est pas dans un état de PEB exceptionnel.»
«C’est une mauvaise nouvelle, déplore Patrick O, responsable des affaires publiques de Climafed, la fédération belge des technologies climatiques. Les changements de politique en cours de route compliquent toujours la stabilité des investissements. Nous savons tous que 2050 est la date butoir pour une économie neutre pour le climat, que la Commission préconise de mettre fin aux énergies fossiles dès 2040. Le report de l’interdiction des chaudières à mazout pour les nouvelles constructions est d’autant plus insensé, puisqu’il faudra dans ce cas les rénover dans les 25 prochaines années.» Du fait des conditions PEB à atteindre, les nouvelles constructions équipées de chaudières à mazout sont en effet marginales. En Wallonie, cela concernerait moins de 150 biens, estimait Philippe Henry.
«Dans les bâtiments qui ne sont pas parfaitement isolés, la pompe à chaleur est un gouffre financier pour les propriétaires.»
Alain Xhonneux
Auditeur Logement et administrateur délégué d’Enerconsult.
Il est toutefois vrai que le bâti wallon, globalement ancien, est particulièrement mal isolé. En 2022, 53% des logements construits avant 2010 affichaient un PEB de classe «E», «F» ou «G», selon la base de données du Service public de Wallonie. Or, «dans les bâtiments qui ne sont pas parfaitement isolés, la pompe à chaleur est une hérésie, voire un gouffre financier pour les propriétaires, souligne Alain Xhonneux, administrateur délégué d’Enerconsult, une société spécialisée dans la réalisation d’audits énergétiques. Le problème est que très peu de gens ont les moyens de faire une rénovation en profondeur. Cela ne concerne peut-être que 5% des audits que l’on réalise.»
L’adieu au mazout se justifie en raison de ses émissions plus élevées de CO2, comme le prouve le tableau des facteurs d’émission du site Energie+, reprenant la méthode PEB (voir ci-dessous). Elles sont en effet supérieures aux autres énergies fossiles courantes que sont le gaz naturel, le propane et le butane, en sachant que les chaudières qui leur sont associées produisent en outre un meilleur rendement que celles à mazout. Pour l’électricité alimentant les pompes à chaleur, c’est plus compliqué. Selon la plateforme Electricity Maps, l’intensité carbone du mix électrique belge s’élève en moyenne à 235 grammes de CO2 sur la période novembre 2023-novembre 2024. «Mais comme les pompes à chaleur fonctionnent à plein régime en hiver, on ne peut pas se référer à la moyenne annuelle, objecte Damien Ernst, professeur à l’ULiège spécialisé dans l’énergie. Lorsque la fermeture de réacteurs nucléaires sera compensée par des centrales à gaz, on sera plutôt aux alentours de 400 grammes de CO2 par kilowattheure à cette période.»
S’il est admis que les pompes à chaleur peuvent restituer trois à quatre fois plus de kWh de chaleur que leur consommation en énergie électrique, ce coefficient de performance (COP) est bien plus faible quand il fait très froid –d’où la pertinence d’un indicateur comme le coefficient de performance saisonnier (Scop), qui dépend lui aussi du modèle. En tenant compte de tous ces bémols, «aucun critère rationnel ne peut donc pousser un particulier à opter pour une pompe à chaleur s’il ne dispose pas d’une maison bien isolée, conclut Damien Ernst. Ni le prix d’installation, beaucoup plus élevé qu’une chaudière à mazout ou à gaz, ni le prix de l’électricité, presque quatre fois plus cher au kWh que celui du mazout, ni même les émissions de CO2.» D’autant que pour les ménages qui ne bénéficient plus du compteur qui tourne à l’envers, les économies envisageables grâce à l’ajout de panneaux photovoltaïques sont très limitées. En effet, c’est précisément en hiver, lorsque ces derniers produiront peu d’électricité, que leur pompe à chaleur sera particulièrement mise à contribution.
Les portes se ferment
Souhaitable sur le papier, l’interdiction des chaudières à mazout ressemble donc, pour le moment, à un utopique chemin tout au long duquel se ferment souvent les portes des alternatives, en particulier pour un remplacement urgent ou à budget limité. Celle du gaz naturel, faute d’un raccordement envisageable à de nombreux endroits de la Wallonie; celle du propane ou du butane, parfois impossible techniquement et obligeant définitivement le propriétaire à s’approvisionner auprès de la société louant la citerne; celle des chaudières à pellets, plus contraignantes à l’entretien et imposant un grand espace de stockage à proximité immédiate; et celle des pompes à chaleur, pour les nombreux ménages qui n’ont pas les moyens de rénover leur logement en profondeur.
Au premier semestre de 2024, les ventes de pompes à chaleur ont chuté de 50% par rapport à la même période en 2023. En parallèle, celles des chaudières à gaz et à mazout enregistraient une hausse de 8%. Un chiffre à nuancer néanmoins, comme l’expliquait Climafed, la Fédération belge des technologies climatiques, en septembre dernier: «Une comparaison avec 2023 peut donner une image biaisée, car les années 2022 et 2023 furent des années exceptionnellement bonnes pour les ventes de pompes à chaleur, relevait Patrick O, son responsable des affaires publiques. En 2023, il y a eu une augmentation de 68% des ventes de pompes à chaleur en Belgique par rapport à 2022, avec plus de 50.000 unités vendues pour les constructions neuves et existantes. Cependant, la tendance actuelle est préoccupante.» Il est d’ailleurs probable que les bons chiffres de 2023 soient en partie dus au bond des installations de panneaux photovoltaïques cette année-là, précédant la fin du compteur qui tourne à l’envers au 1er janvier 2024 pour les nouvelles installations en Wallonie.
Adieu le mazout: des solutions de transition
Du côté des installateurs, le mazout reste visiblement une option courante. «C’est encore ce que l’on suggère au client qui doit changer rapidement sa chaudière à mazout, témoigne François Jeanfils, cogérant de la société liégeoise de même nom. Car il faut évidemment tenir compte de son portefeuille. Quand le gaz naturel n’est pas disponible, il est possible d’opter pour le propane. Mais les gens ont leurs habitudes, et ce type d’installation n’est pas encore bien connue par les particuliers. Elle requiert aussi de mener une étude de faisabilité pour le placement de la citerne.»
Autre option envisageable à un coût raisonnable: ajouter une pompe à chaleur air-air en tant qu’appoint dans les logements à rénover progressivement. Pour Alain Xhonneux, celle-ci est injustement dénigrée et déconseillée par les autorités. Or, «quelle alternative conseiller au client qui a un chauffage électrique à l’heure actuelle? A moins de vivre dans une ruine à rénover complètement, vous êtes coincé. Dans ces conditions, la pompe à chaleur air-air résout pas mal de problèmes à un coût raisonnable.» Si elle ne donne accès à aucune prime régionale pour le moment, la législation pourrait changer en sa faveur dès 2026, souligne Climafed. «Nous sommes déjà en discussion avec le gouvernement flamand pour adapter les règles du jeu. Car il est vrai qu’une solution hybride combinant, par exemple, une chaudière pour le rez-de-chaussée et une pompe à chaleur air-air pour les chambres à coucher est tout à fait valable.»
De même, les ménages souhaitant rénover progressivement leur logement peuvent envisager une pompe à chaleur air-eau en tant que solution principale ou secondaire en plus de leur chaudière actuelle. «Remplacer une chaudière à mazout classique par une pompe à chaleur de la même puissance, c’est le prix d’une voiture. De ce fait, je conseille parfois aux gens d’installer une pompe à chaleur air-eau de 10 kW, soit la puissance dont ils auront besoin dans leur maison une fois isolée, à côté de leur chaudière à mazout. Ils pourront alors utiliser la pompe à chaleur aussi longtemps qu’elle est capable de produire de l’eau à 55 degrés et que cela suffit dans les radiateurs. Et dès qu’il fait trop froid, ils chaufferont au mazout. De la sorte, ils utiliseront la pompe à chaleur lorsqu’elle fonctionne dans les conditions climatiques idéales, avec le meilleur coefficient de performance, tout en prolongeant la durée de vie de la chaudière de quelques années.»
«Dans les grands immeubles à appartements, la physique des pompes à chaleur ne fonctionne souvent pas.»
Patrick O
Responsable des affaires publiques chez Climafed.
Dans bien des cas, il faut donc faire preuve de créativité afin d’opérer une transition réaliste du chauffage résidentiel. «Beaucoup de gens n’ont pas les moyens d’isoler leur logement en profondeur, et le problème sera le même dans cinq ans», avance Alain Xhonneux. Dans les grands immeubles à appartements, le défi s’annonce d’autant plus complexe vu l’ampleur des travaux à réaliser, ce qui implique l’accord de la copropriété, voire impossible techniquement. «Dans ces grands blocs, la physique des pompes à chaleur ne fonctionne souvent pas, du fait de la distance trop importante entre l’unité extérieure et les appartements», reconnaît Patrick O. La fin pure et simple du mazout n’est donc pas pour demain, et encore moins celle du gaz, censée survenir elle aussi dans la prochaine décennie.
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