Des produits au rabais et en vente rapide: de quoi lutter contre le gaspillage alimentaire et satisfaire tant la grande distribution que le consommateur?

Grande distribution: quand l’intelligence artificielle suggère les rabais pour les produits en vente rapide

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Certaines chaînes de grande distribution tablent désormais sur l’intelligence artificielle pour gérer les aliments proches de la date de péremption. En ce compris les rabais à appliquer pour faciliter les ventes rapides.

On les reconnaît vite à leur étiquette jaune ou verte: dans les grandes surfaces, tout est fait pour que les consommateurs ne loupent pas les produits mis en vente rapide, à prix réduits. Un moyen de lutter contre le gaspillage alimentaire, de soulager le portefeuille des acheteurs et de limiter la perte financière encourue par les distributeurs lorsqu’ils n’écoulent pas leurs jambons, yaourts et autres salades avant leur date de péremption.

La gestion de ces produits alimentaires qui arrivent en bout de course sans avoir trouvé preneurs n’est pas une mince affaire. Chaque jour, le personnel actif dans la distribution, en petites, moyennes ou grandes surfaces, doit faire le tour de ses rayons pour en retirer les aliments qui ne seront bientôt plus en mesure d’être vendus en vertu de la date limite de consommation qu’ils affichent. Ce travail manuel prend du temps, souvent plusieurs heures chaque jour. Ensuite, il faut tenter de les écouler, mais même à moindre prix, il n’est pas sûr qu’ils soient déposés dans un chariot. Dans ce cas, le distributeur les cédera aux banques alimentaires ou au secteur associatif. Seuls les supermarchés intégrés installés en Wallonie et d’une surface supérieure à 2.500 mètres carrés ont toutefois l’obligation de proposer leurs invendus alimentaires consommables à au moins un organisme. Les magasins peuvent aussi évacuer ces aliments non vendus dans des biobox, pour en faire du biométhane. Selon un rapport du WWF datant de 2021, 40% de la nourriture produite dans le monde est gaspillée, soit 2,5 milliards de tonnes chaque année.

2,5 milliards

de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année dans le monde.

Alors, l’IA est arrivée

Il n’aura pas fallu attendre longtemps avant que certains recourent à l’intelligence artificielle pour gérer ce problème. L’entreprise à impact social Too good to go, spécialisée dans la lutte contre le gaspillage alimentaire en valorisant les invendus, a ainsi lancé, en janvier dernier, un logiciel permettant aux distributeurs de gérer au mieux les produits en fin de vie. Ce logiciel, qui s’appuie sur l’IA, permet d’enregistrer numériquement tous les produits alimentaires du magasin avec leur date de péremption. Lorsqu’elle approche, l’information est communiquée automatiquement au personnel. En cas de vente rapide, une proposition de ristourne est aussi formulée. La liste de ces produits est organisée par emplacement dans les rayons, une fois par jour ou une fois par semaine en fonction de leur durée de conservation. Une organisation qui facilite le travail des équipes.

«En moyenne, on estime qu’avec cette solution, les contrôles manuels ne concernent plus que 1% à 7% de l’ensemble des produits, ce qui permet d’économiser jusqu’à une heure par employé et par jour, détaille Laurine Poortmans, porte-parole de Too good to go. Le processus automatisé réduit également les erreurs humaines et la quantité de produits périmés dans les rayons, ce qui se traduit par une plus grande satisfaction des clients et une diminution des produits à dates dépassées restant en magasin. L’objectif est d’éviter le gaspillage alimentaire, tout en préservant les marges bénéficiaires des commerçants.» D’après les estimations de l’EHI Retail Institute en 2016, les coûts associés au gaspillage alimentaire représentent près de 2% des ventes nettes des détaillants en alimentation, ce qui équivaut pratiquement à leurs marges bénéficiaires moyennes.

En Belgique, le Monoprix de Waterloo –le seul de cette chaîne présent en Wallonie pour l’instant– travaille déjà avec ce logiciel pour le repérage digitalisé des produits en fin de parcours. Pas pour l’estimation du rabais, qui est systématiquement de 30% pour les aliments retirés des rayons deux jours avant la date de péremption. Too good to go négocie actuellement avec d’autres chaînes en Belgique mais ne souhaite pas encore en divulguer les noms.

Et les autres?

Chez Colruyt, où l’on utilise l’intelligence artificielle notamment pour la gestion des stocks au plus juste des besoins des consommateurs, 97,2% des produits alimentaires sont vendus avant d’atteindre leur date de péremption. Seuls les magasins Okay, qui font partie du groupe, pratiquent les ventes rapides, pour des produits qui sont retirés des rayons trois à quatre jours avant leur date de péremption –comme dans les autres magasins de Colruyt. Des directives, communes à toutes les implantations Okay, ont été édictées en interne pour déterminer la hauteur des rabais.

«Il est vrai que cela nous coûte de l’argent mais nous ne voulons pas parler de “perte” de revenus.»

Hanne Poppe, porte-parole du groupe Colruyt.

Les invendus comme les produits laitiers, les produits frais et prêts à consommer peuvent aussi être transmis à Too good to go qui les glisse dans des paniers «surprises» achetables par les consommateurs et disponibles dans les magasins Okay. Ces colis comprennent des aliments d’une valeur totale de minimum 15 euros et sont vendus au prix de 4,99 euros. «Nous sommes rémunérés pour cela par Too good to go, détaille Hanne Poppe, porte-parole du groupe. Cette somme est juste suffisante pour couvrir nos efforts de préparation des colis. Les clients sont invités à les consommer le jour de leur acquisition.»

Le solde des produits non vendus par Colruyt est ensuite distribué aux banques alimentaires, à la Croix-Rouge, aux Restos du cœur et aux associations locales. En 2023, 7.863 tonnes d’excédents alimentaires leur ont été transmises par Colruyt. La chaîne n’a pas souhaité communiquer la valeur financière de ces dons, qui représentent pour elle un évident manque à gagner.

«Il est vrai que cela nous coûte de l’argent, reconnaît Hanne Poppe, mais nous ne voulons pas non plus parler de « perte » de revenus: avec ces dons, nous aidons des personnes dans des environnements vulnérables. Si nous devions amortir les produits en déchets, cela représenterait également un coût. En les donnant à des organisations sociales, ils conservent une utilité.»

Chez Aldi, l’intelligence artificielle n’est utilisée que pour la gestion des achats et du réapprovisionnement des magasins, en fonction des données de vente dont la chaîne dispose, mais aussi des conditions météorologiques, par exemple. «De cette façon, nous coordonnons les volumes commandés aussi précisément que possible, au bon moment et au bon endroit, afin d’éviter le gaspillage», explique Jason Sevestre, porte-parole du groupe pour la Belgique.

«Avec l’intelligence artificielle, nous pourrions proposer des ristournes allant jusqu’à 55% ou 70%.»

Siryn Stambouli, porte-parole de Carrefour.

En cas de ventes rapides, principalement de viande fraîche, de salades, de pains et de repas préparés, une ristourne automatique de 30% est appliquée, un jour avant la date de péremption. Ce qui n’est pas vendu est également distribué aux banques alimentaires. Aldi n’a pas souhaité communiquer de données financières sur ce sujet.

Delhaize ne recourt pas non plus à l’intelligence artificielle pour la gestion de ses produits alimentaires en fin de parcours. Les ventes rapides se pratiquent avec des rabais de 10%, 30% ou 50%, décidés par les équipes en place en fonction de la date de péremption des produits et des quantités à écouler. Outre les dons consentis aux banques alimentaires ou aux associations locales, les magasins Delhaize orientent aussi les produits vers des biobox pour en faire du carburant. «Notre but premier est de réduire le gaspillage alimentaire, éclaire Karima Ghozzi, porte-parole de Delhaize, ce qui nous permet d’atteindre nos objectifs environnementaux. La volonté de réduire nos pertes financières ne vient qu’en second lieu.»

«Le recours à l’IA deviendrait problématique si elle liait les prix des produits au profil des consommateurs.»

Julie Frère, porte-parole de testachats.

Carrefour, de son côté, vient d’annoncer sa collaboration toute fraîche avec les experts suédois en technologie alimentaire de la firme Deligate pour le suivi des dates de péremption. Le groupe doit en effet gérer chaque jour, dit-il, plus de 40.000 remises sur articles dans ses 83 plus grands magasins. «Le nouvel outil nous aidera à rationaliser les opérations, à réduire les coûts et à améliorer la rentabilité, avance Benoit Moreau, directeur nouvelles technologies chez Carrefour Belgique. Grâce aux remises intelligentes intégrées et au contrôle total des stocks en rayon, il jouera un rôle clé dans notre stratégie de réduction des déchets et d’amélioration des performances économiques.»

Outre le temps de travail des collaborateurs qui sera ainsi épargné, la chaîne s’attend à ce que la fixation dynamique des rabais consentis ait des effets positifs pour elle. «Jusqu’à présent, nous pratiquions des ristournes de 30% ou de 50%, détaille Siryn Stambouli, porte-parole de Carrefour. Avec l’intelligence artificielle, nous pourrions proposer des ristournes allant jusqu’à 55% ou 70%, dit-elle. Le but est que l’opération soit gagnante pour le client et pour nous, puisque nous cherchons à écouler ces produits.» Délicat point d’équilibre…

«Que l’intelligence artificielle permette de mieux gérer les stocks et les dates de péremption est plutôt positif, estime Julie Frère, porte-parole de testachats. Idem pour la lutte contre le gaspillage. Le recours à l’intelligence artificielle deviendrait problématique si elle liait les prix des produits au profil des consommateurs, ce qui constituerait une forme de discrimination. Un autre risque serait que l’assortiment dans les rayons soit lié au rendement de chaque produit. Dans ce cas, les magasins pourraient être tentés de limiter l’assortiment aux produits les plus demandés, limitant ainsi le choix pour le consommateur.» On n’en est pas (encore) là.

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