
Comprendre la fin de Cora, et du modèle des hypermarchés en Belgique: «Lorsque vous perdez 0,001 euro fois 30.000 produits différents…»
Avec la liquidation de l’enseigne Cora, c’est tout le modèle des hypermarchés qui semble définitivement enterré en Belgique. Les raisons sont multiples, et pas toujours aussi évidentes qu’on le pense.
Clap de fin pour Cora, les derniers hypermarchés du groupe Louis Delhaize. Sonnés, les quelque 1.800 employés, répartis dans les sept magasins implantés à Bruxelles et en Wallonie, ont appris ce 8 avril, après un conseil d’entreprise éclair, que l’enseigne est liquidée, avec un arrêt d’activité potentiel pour début 2026.
En l’absence de repreneur, et compte tenu de la volonté de la direction de vendre aussi les murs (magasins comme galeries), c’est clairement une procédure Renault et un avenir incertain qui attendent ces travailleurs dont certains comptabilisent parfois jusqu’à 20 ans d’expérience. Ceux-ci avaient pourtant consenti de gros efforts au gré des plans de redressement successifs ces dernières années, ce que la direction a salué. Cela n’aura pas suffi à sauver l’enseigne, après une dernière injection de capital à hauteur de 30 millions d’euros l’an dernier.
«La direction n’a pas su s’adapter aux nouveaux enjeux du commerce», répercutait la Centrale nationale des employés (CNE) après le conseil d’entreprise, la direction déplorant notamment la baisse du pouvoir d’achat et la montée en puissance du commerce en ligne. «Quand le groupe Louis Delhaize a vendu toutes ses activités de retail, on s’y attendait», glisse pour sa part Myriam Delmée, à la tête du Setca, le syndicat des employés, techniciens et cadres. Ajoutant: «Cela fait deux ans que Cora nous dit de faire confiance…» alors que «le modèle de l’hypermarché s’essouffle».
«Aujourd’hui, vous ne pouvez être efficace qu’avec un nombre restreint de produits.»
Pierre-Alexandre Billiet
Economiste et CEO de Gondola Group.
Cora, la fin d’un modèle
Courue d’avance, la fin de l’hypermarché façon Cora planait comme une ombre sur un marché belge de moins en moins enclin à accueillir ces mastodontes de la consommation généraliste. «Aujourd’hui, la grande distribution, c’est d’abord l’efficacité, qui permet soit des prix bas, soit des promotions, soit des marges intéressantes. Or, s’il y a bien un point sur lequel l’hypermarché fait défaut, c’est cette « hyperefficacité »», objective Pierre-Alexandre Billiet, économiste et CEO de Gondola Group, la plateforme des professionnels du secteur des biens de consommation, spécialiste du commerce de détail. Il ajoute: «Un hyper, c’est beaucoup de produits, ce n’est pas une PME, ce sont de vraies grandes entreprises, avec du personnel par dizaines ou centaines de personnes. Or, aujourd’hui, vous ne pouvez être efficace qu’avec un nombre restreint de produits. Dans un marché hypercompétitif, juste fonctionner, ce n’est pas assez. Il faut être hyperperformant. Et les hypermarchés ne sont pas dans cette performance. Lorsque vous perdez 0,001 euro fois 30.000 produits différents, à quoi il faut ajouter le coût de l’emploi et le manque de flexibilité, que vous cumulez même de toutes petites pertes pour un grand nombre de magasins, ça finit par chiffrer. Et parfois, vous faites faillite. Il y a aussi le problème de la gestion, avec des marges très petites en alimentation et des produits perdus, cassés… qui pèsent sur l’efficacité.»
Belgique hybride
Avec les difficultés rencontrées par certaines grandes enseignes similaires en France (Carrefour, Auchan, Casino) et l’irrésistible montée en puissance de l’e-commerce, on pourrait penser que la mort annoncée de l’hypermarché est structurelle et généralisée. Ce n’est pas tout à fait le cas, estime Pierre-Alexandre Billiet: «Les hypermarchés, ce n’est pas terminé partout», assure-t-il, soulignant que certaines enseignes de ce type sont encore rentables, même en Belgique, un pays avec une forte densité de magasins.
C’est surtout à cause de ses habitudes de consommation que la Belgique se situe «entre deux cultures», souligne l’économiste, avec «d’un côté les Pays-Bas, où les gens vont faire de petites courses régulièrement à vélo et à proximité, et la France où les hypermarchés avaient leur raison d’être dans de grandes régions de type Puy-de-Dôme où après avoir roulé pendant une demi-heure pour rejoindre un magasin, on aime tout retrouver au même endroit. Mais ça, c’était le mode de consommation des années 1970, 1980, 1990, 2000. Avec la complexification de la consommation et l’augmentation du coût du carburant, on ne se déplace plus, ou moins, vers les hypermarchés, car cela coûte beaucoup d’argent. En revanche, aux Pays-Bas, une compétition sur les prix s’est installée. Entre les deux, l’hypermarché belge est pris de court. La Belgique a été prise en tenaille, elle a parfois tenté de stimuler l’expérience client, mais même avec une offre énorme, tout cela est resté très complexe.»
Le roi consommateur
Le modèle «hyper» façon Cora pouvait-il, dans ces conditions, sauver sa peau? Difficile à dire, selon le spécialiste, qui pointe les désirs nouveaux du consommateur, plus assoiffé de spécialisation que de grande offre généraliste: «Quand vous allez dans un magasin spécialisé en électro, vous avez le meilleur de l’électro. Un hypermarché ne sera jamais assez bon et concurrentiel sur tout ce qu’il propose», observe Pierre-Alexandre Billiet, qui veut croire qu’une meilleure culture de l’expérience client peut toujours fonctionner. «Il y a sept ans, il y a eu une tentative de relancer des hypermarchés avec des expériences en magasin, en partenariat avec des marques habituellement agiles en la matière. Ça n’a pas fonctionné mais ça aurait pu, car le consommateur est aujourd’hui à la recherche d’expériences, et pas uniquement de produits.»
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