Composition des détergents: la grande opacité, entre produits toxiques, sites introuvables et marketing fallacieux
Les fabricants donnent très peu d’informations sur les étiquettes des détergents. Les associations de consommateurs pointent les conséquences pour la santé et l’environnement et appellent les autorités à agir.
De quoi sont composés les liquides vaisselle ou la lessive? Généralement, la liste des ingrédients renseignée sur l’étiquette est (très) courte: tel pourcentage d’agents de surface (également appelés tensioactifs ou surfactants), ainsi que les fragrances allergisantes, les conservateurs et quelques éventuelles substances problématiques (phosphates, phosphonates, etc.). Rien d’autre. Contrairement à d’autres produits, comme ceux cosmétiques, la législation européenne n’oblige pas les fabricants à en divulguer davantage sur les emballages.
Une obligation de transparence, seulement sur Internet
Pour en savoir plus, il faut se rendre en ligne. Car les industriels ne sont obligés de fournir la composition détaillée que sur des sites Internet. Questionné sur l’origine de cette particularité, le SPF Santé déclare que cela est dû au fait que ces produits «ne sont pas destinés à rester en contact prolongé avec la peau».
Une réponse qui ne convainc pas Testachats, l’association de défense des consommateurs. «On sait pertinemment que ces contacts ont lieu en pratique, affirme sa porte-parole, Julie Frère. Citons par exemple le lavage de la vaisselle à la main, même si normalement il faudrait utiliser des gants». Selon elle, la vraie raison de cette originalité serait tout autre. «Il n’y a évidemment rien d’officiel, mais les lobbys des détergents ont sûrement poussé pour ne pas devoir mettre la composition complète sur le packaging».
Connaître la composition exacte: un parcours du combattant
Cette situation force les consommateurs à s’aventurer sur le net pour parcourir la liste des ingrédients. Mais encore faut-il trouver les bons sites. Plusieurs associations de consommateurs ont tenté de les dénicher, parfois avec difficulté, voire sans succès. «Tous les fabricants de détergents n’ont pas une plateforme dédiée, constate Julie Frère. Et même lorsqu’une telle plateforme existe, la composition n’est pas tout le temps à jour. Sans compter le manque de clarté pour savoir à quel endroit précis les listes sont consultables.»
En France, les auteurs de la revue 60 Millions de consommateurs, édité par l’Institut national de la consommation (INC), se sont confrontés au même problème. «Il nous a fallu solliciter des fabricants – parfois avec beaucoup d’insistance – pour obtenir le bon lien sur leurs sites», notent-ils. Constat similaire pour UFC-Que Choisir, qui s’offusque de la complexité de la démarche. «C’est incompréhensible pour le commun des mortels», s’indigne au micro de France Info Olivier Andrault, chargé de mission auprès de l’association, qui a dû faire appel à des experts en chimie pour savoir si ces produits étaient dangereux.
Des substances problématiques et des slogans trompeurs
Fin 2020, UFC-Que Choisir a finalement rendu son analyse. Il s’est avéré que 44% des 244 références testées (lessives, adoucissants, nettoyants vitres-meubles-cuisine-WC…) «contenaient au moins une ou plusieurs molécules susceptibles d’être dangereuses» pour la santé ou l’environnement. Y figuraient notamment des ingrédients toxiques pour la reproduction, des perturbateurs endocriniens, voire des «cocktails» de composés allergisants.
Côté belge, Testachats n’a pas pu obtenir de chiffres précis sur le nombre de produits contenant des substances problématiques. Elle tente néanmoins d’évaluer leur toxicité avec une note sur cinq. «Si nous ne trouvons pas la liste d’ingrédients ou que le fabricant ne nous la communique pas, le score pour la composition tombe automatiquement à zéro», précise Julie Frère.
Testachats relève un autre aspect problématique: des mentions rassurantes sont utilisées sur les emballages sans qu’une législation n’encadre cette pratique. Les fabricants peuvent donc affirmer librement que leurs produits sont «testés dermatologiquement», «respectueux de la peau», «concentrés» ou encore «ultra-dégraissants». Qu’importe si ces affirmations se basent sur la science ou pas. L’UFC-Que Choisir a ainsi pu trouver des produits dits «sensitive» contenant en réalité «des conservateurs non seulement très allergisants, mais en outre toxiques pour les organismes aquatiques».
En l’état, Testachats conseille de se tourner vers l’Ecolabel européen, «qui jouit d’une bonne réputation et dont la composition des produits est soumise à des critères stricts». Un moyen de limiter malgré tout les risques que peuvent poser les détergents vendus dans le commerce.
Des appels au changement
Tous ces éléments amènent 60 Millions de consommateurs à déclarer qu’«une évolution de la réglementation est souhaitable». Les associations de consommateurs sont du même avis. «Cette situation doit changer», clame Julie Frère au nom de Testachats. L’UFC-Que Choisir appelle pour sa part les pouvoirs publics non seulement à faire figurer l’intégralité des ingrédients sur les emballages, mais aussi à interdire «dans les formulations les composés cancérigènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction et les perturbateurs endocriniens».
Interpellé, le SPF Santé précise que «le règlement européen sur les détergents est en cours de révision» et que «les discussions se poursuivent sous présidence hongroise». «La Belgique soutient un renforcement de l’étiquetage, notamment pour étendre les informations aux agents conservateurs présents dans les matières premières, aux micro-organismes intentionnellement ajoutés et à une liste plus grande d’allergènes de parfums», ajoutent les autorités, qui appellent dans tous les cas à respecter la posologie et à prêter attention aux symboles alertant sur la présence de composés dangereux dans les détergents.
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