Comment redynamiser les centres-villes? Des experts répondent
Face à la désertification des centres-villes, les experts appellent non pas à ramener les commerces partis en périphérie mais à en créer d’un nouveau genre.
Des rues commerçantes qui s’épuisent face à l’émergence des complexes géants en périphérie, un taux de cellules vides record dans les centres-villes wallons, le départ des grandes enseignes, le désenchantement de petits indépendants. À l’approche des élections communales, l’enjeu de l’activité commerciale dans les villes refait surface dans un contexte difficile, secoué par l’essor du commerce en ligne ou les problèmes de mobilité. Dans une impasse? Pas pour les experts consultés par Belga. Ils appellent les communes à l’ambition, à poser des choix stratégiques et à impliquer tout le tissu urbain afin de stimuler leurs centres-villes. Spécialisation et qualité font partie des solutions. Les exemples vertueux existent déjà à l’étranger, utilisons-les, insistent-ils.
Le diagnostic de l’AMCV sur le dépérissement des centres-villes
Les propositions des candidats aux élections diffèrent mais le constat, lui, est implacable. Dans les centres-villes de Wallonie, le taux de cellules commerciales vides a presque doublé depuis le début du siècle, passant d’un peu plus de 10% au début des années 2000 à une moyenne record de 20% l’an dernier, selon le dernier baromètre de l’Association du management de centre-ville (AMCV).
Son président Jean-Luc Calonger remarque pourtant que l’offre commerciale n’a pas baissé en Wallonie, au contraire, mais qu’elle a déserté les cœurs urbains. «Ce n’est pas un problème de commerce mais d’urbanisme», considère-t-il. «La ville est un lieu d’échanges et de mouvements, trop de mouvements tue l’échange mais l’échange a du mal à se faire si on coupe les mouvements. Il faut un équilibre.»
Au sujet de la mobilité, il diagnostique un manque de cohérence de la part de certaines autorités communales, qui veulent pacifier des quartiers en limitant l’accès aux voitures mais qui déplorent également une perte de vitalité commerciale. «La tranquillité urbaine ne va pas de pair avec un développement de l’activité commerciale et économique», résume-t-il.
Le président de l’AMCV regrette aussi la lente disparition ou décomposition des partenariats public-privé locaux, qui rassemblent des représentants des pouvoirs publics, des citoyens, du secteur privé ou associatif. Autrefois pourvues de stratégies d’accessibilité, de mobilité ou de sécurité, ces structures se limitent désormais à «l’animation commerciale» qui n’intéresse plus les investisseurs, décrit-il. «Il n’y a plus de travail à long terme. On organise de belles animations pendant quelques jours mais quand elles se terminent, rien n’a changé structurellement dans le centre-ville.»
Ne pas ramener le commerce de masse mais développer le qualitatif
Au-delà de l’aspect commercial, la problématique s’est répandue dans tout le corps sociétal de la ville et nécessitera un long processus pour retrouver un équilibre, analyse Pierre-Alexandre Billiet, économiste et CEO de Gondola, groupe spécialisé dans le secteur de la distribution. Il estime d’ailleurs que «l’inertie politique» n’a pas que des conséquences sur la vie des centres-villes mais aussi sur le citoyen, notamment sur sa santé. «A Louvain, 80% des magasins ont été remplacés par des kebabs, des friteries, des services de livraison, de l’alimentaire en général», illustre-t-il. «On est dans l’hyper-consumérisme.»
Alors comment réagir? Les solutions miracles n’existent pas mais Jean-Luc Calonger appelle à «repositionner le centre-ville» à l’aide d’une stratégie cohérente, financée, partagée par toutes les forces locales. Vouloir concurrencer les centres commerciaux serait de toute façon illusoire. «Il ne faut plus miser sur le commerce de masse qui se trouve désormais en périphérie des villes, ce serait un combat d’arrière-garde», abonde le président de l’AMCV.
«Le centre-ville peut se différencier en misant sur le qualitatif, le commerce de niche, spécialisé, les loisirs comme les ‘escape games’, tout le secteur horeca et culturel. Ils deviennent alors des commerces de destination, comme dans la rue des Brasseurs à Namur par exemple. Ces commerçants-là n’ont pas nécessairement besoin qu’une masse de voitures entre en ville.»
L’économiste Pierre-Alexandre Billiet insiste également sur le rôle social que peuvent jouer les commerces de proximité dans le tissu urbain, à l’opposé des géants de la consommation. Il invite les villes à changer de modèle et à développer des spécialités, une expertise, un savoir-faire. «On traite encore le sujet des commerces de ville comme dans les années 80, sous forme de chiffre d’affaires, de pénétration, de croissance. Alors qu’aujourd’hui on parle plutôt de réutilisation, de cycle de vie d’un produit, pas uniquement de la consommation de biens mais aussi de services. Savoir acheter, savoir préparer, savoir consommer, savoir réutiliser: tout ça, on peut le retrouver dans un tissu urbain en ayant accès aux différentes étapes grâce à la proximité des commerces. C’est sa richesse.»
Les spécialistes incitent les villes wallonnes à regarder à l’étranger pour trouver l’inspiration. En France, Lille a par exemple spécialisé ses quartiers avec des zones de shopping ou de magasins haut de gamme, tandis que l’Américaine Detroit a misé sur son alimentation locale après s’être déclarée en faillite en 2013. «On se pose des questions auxquelles certaines villes ont répondu depuis de nombreuses années», insiste Pierre-Alexandre Billiet. «Il faut maintenant être pragmatique et s’emparer des meilleures idées. Elles existent déjà.»