«AirTag détecté près de vous»: quand les petits traceurs connectés servent à harceler
De plus en plus discrets, de moins en moins chers, les traceurs d’objet comme les AirTag peuvent aussi servir aux «stalkers». Les géants de la tech tentent de bâtir une parade commune.
En noir ou en blanc, la petite balise connectée fait à peine quatre centimètres carrés. Son prix plancher en avril 2024, dans une chaîne de magasins hard-discount bien connue: 7,95 euros. Elle se glisse dans un portefeuille ou un bagage, s’accroche à un porte-clé, un vélo… Pratique pour retrouver un objet de valeur en cas de perte ou de vol. L’utilisation de ce petit traceur, commercialisé au départ par Apple sous le nom d’AirTag en 2021, est simple. Un clic pour l’associer par Bluetooth au smartphone de son propriétaire, et le tour est joué. Comme l’attestent de nombreux «tutos» en ligne, le dispositif permet bien de connaître, partout dans le monde et aussi longtemps que la pile fonctionne, l’emplacement exact de la balise, à condition qu’il y ait un appareil Apple dans les environs. Intégrée dans l’application Localiser (ou Find My) sur iPhone, la fonctionnalité n’est pas encore disponible sur Android. Toutefois, Google y travaille et pourrait le proposer cette année.
Détournement d’usage
Ce n’est pas l’intention de base qui pose problème, plutôt son détournement à des fins malveillantes. Depuis l’introduction de tels badges sur le marché, plusieurs victimes de «stalking», cette forme de harcèlement qui consiste à suivre ou épier une personne, en ont retrouvé dans leurs affaires. «Les Parisiennes, faites méga attention avec les AirTag, on m’en a mis un dessus dans le 16e (NDLR: arrondissement) il y a quelques jours et là, ma pote vient d’en retrouver un sur elle en rentrant de la salle de sport», témoignait, par exemple, une jeune femme sur le réseau social X, en juin 2023. En Californie, 38 personnes ont introduit, en décembre 2022, une action collective contre Apple, reprochant au géant de la tech de ne pas avoir pris des mesures adéquates pour empêcher les harceleurs d’utiliser ses AirTag. Si la requête d’Apple visant à rejeter le procès a écarté de nombreuses plaintes, trois d’entre elles étaient suffisamment argumentées pour poursuivre leur parcours en justice, a statué un juge fédéral, en mars dernier.
Au fil des ans, le prix des balises connectées n’a cessé de diminuer, ce qui peut faciliter la tâche de certains harceleurs, déplorent les plaignants. Apple aurait-elle négligé le principe de «privacy by design», en vertu duquel tout objet connecté est censé protéger la vie privée dès sa conception? «Pas du tout, rétorque Axel Legay, professeur d’ingénierie informatique et de cybersécurité à l’UCLouvain. Les développeurs ne sont pas responsables de l’utilisation potentiellement malveillante d’un objet qui, au départ, est conçu pour aider ses utilisateurs. C’est méconnaître, en outre, le fonctionnement du numérique, puisque bien d’autres objets connectés sont basés sur l’émission d’informations protocolaires. Il est triste que certains cherchent à détourner les usages, tout comme il est triste de voir à quel point la population ne voit souvent que le négatif dans les innovations.»
Les traqueurs sont traqués
«Le suivi indésirable est depuis longtemps un problème de société, et nous avons pris cette préoccupation au sérieux dans la conception de l’AirTag», affirmait Apple en 2022. Il est vrai que chaque pièce dispose d’un numéro de série et se voit attribuer un identifiant, ce qui permet aux autorités de retrouver son propriétaire. Par ailleurs, moyennant quelques réglages, tant les iPhones que les smartphones Android peuvent envoyer une notification à leur utilisateur s’ils détectent un AirTag inconnu à proximité. Problème: cette détection ne fonctionne pas encore avec l’ensemble des autres marques de traceurs qui, depuis 2021, ont envahi le marché.
Pour y remédier, Apple et Google ont soumis, en mai 2023, une proposition de spécification industrielle commune visant à «lutter contre l’utilisation abusive des dispositifs de localisation Bluetooth à des fins de suivi indésirable. Cette spécification, première en son genre, permettra aux appareils de localisation Bluetooth d’être compatibles avec la détection de suivi non autorisé et les alertes sur les plateformes iOS et Android.» Censé être prêt pour fin 2023, le protocole baptisé DULT (pour Detecting Unwanted Location Trackers) semble avoir pris du retard. Contacté par Le Vif, Google se limite à annoncer de nouvelles mises à jour pour la mi- ou fin mai.
«Les technologies interviennent chaque jour dans des faits de harcèlement et d’autres activités criminelles.»
Jean-Marie Dradin, chef de corps de la zone de police de Huy.
A l’heure actuelle, le recours malintentionné à des balises connectées semble marginal en Belgique, mais leur utilisation n’apparaît pas dans le libellé des procès verbaux. Toutefois, parmi les neuf zones de police sondées en Wallonie et à Bruxelles, celle de Liège confirme que ses policiers ont déjà été confrontés à ce cas de figure. «Toutes les évolutions en matière IT doivent compter parmi nos priorités, puisque ces technologies interviennent chaque jour un peu plus dans des faits de harcèlement, mais aussi dans d’autres activités criminelles», ajoute pour sa part Jean-Marie Dradin, chef de corps de la zone de police de Huy. De manière générale, toute personne retrouvant un traceur non désiré doit le signaler à sa zone de police, afin de retrouver l’auteur des faits.
L’alarme antiharcèlement poursuit son déploiement
Après un projet pilote fructueux à Gand en 2019, le gouvernement fédéral poursuit le déploiement d’une alarme mobile antiharcèlement (mobile stalking alarm, ou MSA). Celle-ci n’est octroyée que s’il «existe un risque élevé d’atteinte majeure à l’intégrité de la victime», indique la circulaire qui l’encadre. Elle vise le harcèlement ou les violences survenant dans le «contexte intrafamilial au sens large». Par l’entremise d’un bouton poussoir, connecté par Bluetooth à l’application mobile 112, la personne en danger peut ainsi prévenir discrètement la police. Depuis la fin de 2023, le dispositif est en œuvre dans toute la Belgique, indique le cabinet du ministre de la Justice, Paul Van Tigchelt (Open VLD). Au 21 avril, 188 personnes avaient déjà bénéficié de la MSA, dont 104 actuellement. «Les boutons MSA et des téléphones portables sont répartis entre les arrondissements et les zones de police.»
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