Compte d’épargne/à vue désormais découplés: « boîte vide » ou vrai avantage? « L’essentiel est ailleurs »
Tout bénef’ pour l’épargnant ? Le gouvernement s’est accordé pour interdire les banques de coupler l’ouverture d’un compte d’épargne à celle d’un compte à vue. La mesure vise à stimuler la mobilité des clients et la concurrence bancaire. Mais pour plusieurs experts, le vrai enjeu pour l’épargne est ailleurs.
L’ouverture d’un compte d’épargne n’ira bientôt plus de pair avec celle d’un compte à vue. La Vivaldi s’est accordée en ce sens. Pour les banques, la mesure signifie donc l’interdiction d’imposer à leurs clients l’ouverture d’un compte à vue si ceux-ci souhaitent uniquement ouvrir un compte d’épargne. Ce changement, porté par le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne (PS), doit permettre une plus grande mobilité des clients et stimuler la concurrence bancaire en Belgique.
Concrètement, les clients pourront donc ouvrir un compte d’épargne auprès d’une banque concurrente, sans pour autant changer de banque pour la gestion quotidienne de leurs rentrées et dépenses. But final recherché : forcer les banques traditionnelles à augmenter leurs taux d’intérêt sur l’épargne, sans quoi elles risqueraient de voir filer leurs clients vers des banques en ligne, souvent plus généreuses.
La décision fait suite au constat effectué par l’Autorité belge de la concurrence (ABC), dont l’enquête en 2023 avait notamment pointé les limitations fixées par les banques pour les virements entre comptes courants et comptes d’épargne ouverts chez des concurrents.
Epargne: augmenter la concurrence entre les banques
Nicolas Claeys, expert financier chez Test-Achats, rappelle que certaines banques n’exigeaient déjà plus l’ouverture d’un compte à vue avec celle d’un compte d’épargne. « Et si tel était le cas, l’ouverture couplée d’un compte à vue était souvent gratuite. Surtout chez les banques les plus généreuses en matière d’épargne, c’est-à-dire les banques en ligne ». Selon lui, cette loi n’est « pas une avancée majeure pour l’épargnant, même s’il est vrai que certaines banques associaient toujours l’ouverture d’un compte d’épargne à l’ouverture payante d’un compte à vue. »
« C’est une bonne nouvelle, réagit pour sa part Bertrand Candelon, économiste et professeur de Finances (UCLouvain). Le fait qu’un épargnant puisse facilement ouvrir un compte à vue dans une banque et un compte d’épargne (ou à terme) dans une autre augmente la concurrence bancaire. C’est un élément qui va également favoriser et stimuler la mobilité des clients entre les banques. »
En Belgique, le manque de concurrence a été déjà épinglé à plusieurs reprises. L’ABC avait d’ailleurs conclu que le marché bancaire s’apparentait à un oligopole, contrôlé par quatre banques majeures (BNP Paribas Fortis, Belfius, ING, KBC). Pour Bertrand Candelon, cette situation n’est pas uniquement la conséquence du comportement des banques. « Le fait d’être un petit pays n’offre pas une marge suffisante pour voir fleurir un grand nombre d’institutions bancaires », remarque-t-il.
Ceci étant, l’épargnant peut-il espérer de cette nouvelle mesure une hausse des taux d’intérêt? C’est une possibilité, selon l’économiste, « car plus il y a de concurrence, plus le prix se rapprochera du coût marginal », théorise-t-il.
Les Fintech, acteur bientôt incontournable pour son épargne
Les grandes banques doivent-elles pour autant redouter cette mesure ? Ici, la réponse est plutôt négative. « Cet accord n’est qu’un début de stimulation de la concurrence. Pour les banques, d’autres inquiétudes vont apparaître, assure Bertrand Candelon. On assiste notamment à l’émergence des Fintech, des banques en ligne qui prennent souvent leurs quartiers à l’étranger. Ces dernières peuvent sonner le début des ennuis pour les grandes banques traditionnelles, car les clients belges y ont facilement accès ».
Par ailleurs, le spécialiste ajoute qu’avec l’émergence de l’intelligence artificielle, « le job de la banque traditionnelle va complètement changer. Avoir un guichet, un conseiller : tout cela est bientôt fini », prédit-il.
Longtemps, les banques ont plaidé pour le couplage des comptes à vue/épargne afin de favoriser les virements bancaires. Car, en principe, on ne peut transférer de l’argent d’un compte d’épargne que vers un compte à son propre nom. « Dans le passé, on pouvait toutefois désigner un compte tiers à son nom dans une autre banque. Donc, des solutions techniques existaient déjà », rectifie Nicolas Claeys.
Les vrai enjeux sont ailleurs
L’expert financier de Test-Achats estime donc qu’il ne s’agit pas de LA mesure décisive. A ses yeux, « l’essentiel est ailleurs ». Il pointe trois autres propositions pour favoriser la mobilité des clients.
- 1. La suppression de la prime de fidélité (car elle fausse le rendement réel du taux global)
- 2. La transférabilité des numéros de compte (aujourd’hui, si on veut changer de banque, il faut aussi changer de numéro de compte. Cela provoque beaucoup d’embarras administratifs. Pouvoir garder le même numéro de compte serait donc un frein en moins à la mobilité bancaire.)
- 3. Une fiscalité harmonisée entre les différents produits d’épargne (pour faciliter le choix du client, et donc la mobilité. A l’heure actuelle, les produits qui bénéficient d’une fiscalité réduite ont un pouvoir d’attraction supérieur, même s’ils sont parfois moins avantageux pour l’épargne).
« Si ces trois conditions sont réunies, on pourrait obtenir une mobilité accrue de l’épargne, et donc de meilleures conditions. Le découplage est un début timide. Avant les élections, chaque politique veut s’offrir une victoire pour les épargnants », note-t-il enfin. « Avec la prime de fidélité, les banques visent à maintenir l’argent sur les comptes d’épargne. La supprimer favoriserait la mobilité », appuie Bertrand Candelon.
La mesure de découplage n’est donc qu’une petite pierre à l’édifice des épargnants. « Elle peut en effet faciliter les switchs entre les comptes d’épargne, mais le vrai enjeu réside surtout dans la suppression de la prime de fidélité, abonde Brecht Coene, responsable du site comparatif guide-épargne.be. C’est le seul remède pour provoquer un changement majeur dans le comportement des épargnants. Ce n’est pas en coupant le lien entre le compte à vue et le compte d’épargne qu’on changera fondamentalement la mobilité bancaire. Cette mesure, comme celles annoncées en 2023, font parfois penser à ‘une boîte vide’ ». La Vivaldi parviendra-t-elle à la remplir avant juin ?
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