Epargne: « La question de cette discrimination fondamentale doit être posée en 2024 »
L’épargnant moyen, « spolié » en 2023, peut-il reprendre du poil de la bête en 2024 ? « Oui », selon l’économiste Étienne de Callataÿ. Un regain de force potentiel qui passe par l’activation de « leviers » politiques, combinée à une prise de conscience individuelle des consommateurs. « Il faut tout faire sauf dormir dans sa banque ».
2024 sera-t-elle propice à l’épargne ? Les attentes sont en tout cas élevées. L’année 2023 s’est avérée frustrante à bien des égards : les clients ont assisté, souvent impuissants, à l’immobilisme des institutions bancaires, peu voire pas enclines à remonter leurs taux d’intérêt sur l’épargne.
Et ce malgré plusieurs incitants : les taux directeurs de la BCE -remontés à un historique 4%- ou la concurrence des bons d’Etat -dont le premier a triomphé en récoltant plus de 20 milliards- n’ont pas suffi à titiller les grandes institutions bancaires. La plupart d’entre elles sont restées de marbre, évoquant des risques pour leur stabilité, et ne remontant que très légèrement leurs taux d’intérêt sur l’épargne.
Dans ce jeu de regard entre les quatre grandes banques belges (BNP, Belfius, ING, KBC) aux airs de « 1,2,3… Soleil ! », -où le premier qui bouge est éliminé-, seuls quelques petits acteurs ont osé bousculer la partie. A tel point que, dans un récent rapport, l’Autorité belge de la concurrence a qualifié « d’oligopole » le secteur bancaire du pays. En plus d’être peu attrayantes, les offres bancaires manquent de clarté pour le client, estime l’étude, en raison notamment de la fusion des primes de fidélité et du taux de base. Problème majeur auquel certains politiques souhaitent s’attaquer.
De ce constat peu flatteur, de nombreux défis émergent pour 2024.
2024 meilleure que 2023 pour l’épargne ?
Oui, l’année 2024 sera meilleure que 2023 « pour celui qui épargne de manière relativement prudente, via un livret d’épargne, un bon d’Etat, ou un bon de caisse. Sur les marchés boursiers, en revanche, il sera difficile de faire aussi bien que l’année précédente, qui a vu les Bourses augmenter de 20% », estime l’économiste Étienne de Callataÿ, CEO d’Orcadia Asset Management. « Si on dissocie l’épargnant classique de l’investisseur, l’année 2024 s’annonce bonne, sans pour autant être excellente », prédit-il.
Car si les taux d’intérêt s’établissent aux environs des 2%, et dans la mesure où l’inflation sera supérieure à ce chiffre, l’épargnant perdra du pouvoir d’achat. « On ne peut pas encore pousser des cris de joie. Les taux d’intérêt sont restés anormalement, voire scandaleusement bas en 2023, dénonce l’économiste. Les banques peuvent invoquer tous les arguments qu’elles veulent, il n’en reste pas moins que l’épargnant prudent a été spolié. »
Les taux d’intérêt sont restés anormalement, voire scandaleusement bas en 2023. Les banques peuvent invoquer tous les arguments qu’elle veulent, il n’en reste pas moins que l’épargnant prudent a été spolié.
Étienne de Callataÿ, économiste
Depuis plusieurs mois, les banques peuvent en effet prêter leur argent à un taux de 4% auprès de la BCE. Un niveau qui n’avait jamais été atteint depuis 1999. Elles réalisent donc des profits records. « Mais l’épargnant n’a pas droit aux mêmes conditions. La question de cette discrimination fondamentale doit être posée en 2024 », plaide Étienne de Callataÿ. « Les banques se rattrapent sur le dos de l’épargnant prudent, qui a subventionné l’emprunteur. »
Epargne: leviers politiques
Selon l’économiste, cette anomalie doit être débattue politiquement. « L’Etat a des leviers, ne serait-ce qu’au travers de l’exonération du précompte mobilier. Ainsi, il pourrait tout à fait décider que cette exonération ne soit uniquement accordée aux comptes d’épargne qui offrent une rémunération davantage en phase avec le taux de la BCE ». L’idée serait d’aller dans la direction de ce qui se fait avec le livret A en France, où l’usage de l’argent collecté est lié à une affectation sociale (le logement en particulier), et pour lequel l’Etat fixe la condition de rémunération.
Un client mobile est un client plus fort
La meilleure chose que l’épargnant classique puisse appliquer, c’est de tout faire « sauf dormir », souligne l’économiste également professeur à l’UNamur. « Il faut être un « consomm-acteur », se bouger et réaliser que changer de banque peut vite signifier un impact non-négligeable. »
« Si on tombe sur un billet de 20 euros en rue, chacun d’entre nous se penche pour le ramasser. Dans la même logique, si une banque propose 2% de taux d’intérêt plus élevés sur 10.000 euros, l’épargnant y gagne 200 euros, sans rien faire », illustre Étienne de Callataÿ. En d’autres termes, aller vers la banque la plus offrante devrait devenir un réflexe. Que le Belge n’a pas encore, « trop statique et trop fidèle à sa banque classique, malgré la très faible augmentation des taux. »
L’épargnant classique doit réaliser que changer de banque peut vite signifier un impact non-négligeable.
Étienne de Callataÿ, économiste
Cette fidélité accrue aux grandes banques peut aussi s’expliquer par une peur légitime, en vue, par exemple, d’une future demande de crédit. Mais ce raisonnement devrait être inversé, selon l’économiste. « Le client le plus fort pour négocier, c’est le client le plus mobile. Il faut prouver être capable de changer de banque. Pourquoi votre banque vous ferait une faveur si vous êtes « gelé » chez elle depuis des années ? Elle ne vous considérera que si elle perçoit que vous pourriez partir facilement ».
L’option obligation ? Peu intéressante
Alors que les obligations semblaient faire leur grand retour, l’option n’est plus si intéressante, juge Étienne de Callataÿ. « Depuis début novembre, on assiste à un repli spectaculaire des taux d’intérêt. Aujourd’hui, il n’est plus judicieux de se précipiter pour acheter une obligation de l’Etat belge à moins de 2.5%, avant taxe. Ce qui représente, en net, environ 1.5%. Ce n’est pas ‘jojo’. »
Un nouveau bon d’Etat à un an ?
Un nouveau bon d’Etat à an, annoncé pour le courant de cette année (le mois de mars est évoqué), « serait certainement très attractif par rapport à ce que la plupart des banques se permettent de continuer à proposer, tranche l’économiste. Une solution serait donc de prendre son mal en patience pendant trois mois et d’ensuite déplacer une partie de son épargne vers l’Etat. »
La géopolitique comme perturbateur de la Bourse ?
La guerre en Ukraine et le conflit Israël-Hamas sont autant de chocs géopolitiques qui peuvent perturber la Bourse. La prudence est-elle dès lors de mise sur les marchés boursiers ? « L’année passée, tout le monde prévoyait également le pire. Il y avait en effet de quoi être pessimiste. Mais le pire n’est pas advenu en Bourse, au contraire », rappelle Étienne de Callataÿ. Il ne faut certainement pas attendre qu’il n’y ait plus d’incertitude géopolitique, auquel cas on ne monterait jamais dans le train. »
Lire aussi | Immobilier: ce qui va changer en 2024
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici