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Comment les droits de douane vont toucher votre portefeuille: «Les Etats-Unis peuvent frapper fort, mais l’Europe dispose d’un levier sensible»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les taxes douanières de 25% que Trump pourrait imposer sur les produits européens risquent de faire grimper les prix, touchant directement le pouvoir d’achat. L’Europe riposte, mais la guerre commerciale menace d’alimenter l’inflation, laissant craindre une possible récession.

25%: voilà le pourcentage des taxes douanières que Donald Trump pourrait appliquer sur l’ensemble des produits européens exportés aux Etats-Unis. Pour le champagne, il pousse le bouchon à 200%.

Dans sa vision transactionnelle tous azimuts, le président républicain souhaite officiellement se servir des droits de douane pour réduire le déficit de balance commerciale dont souffrent, selon lui, les Etats-Unis. L’Union européenne «abuserait» même de l’Amérique, selon ses termes. Mais le Vieux continent n’est pas la seule cible de Trump: le Canada, le Mexique et la Chine font également les frais de sa politique douanière agressive.

Schématiquement, Trump estime que les obstacles à l’entrée des produits américains en Europe sont supérieurs aux obstacles à l’entrée des produits européens aux Etats-Unis. Il souhaite donc instaurer des droits de douane réciproques dans certains domaines, comme l’automobile. Mais le républicain va plus loin, et inclut plusieurs couches supplémentaires pour justifier le seuil des 25%. Il voit ainsi à travers les droits de douane un moyen de rétablir la différence de TVA, –plus élevée en Europe qu’aux Etats-Unis (la sale tax, en moyenne de 5% et donc plus faible que les 21% belges), d’ajouter des pourcentages pour contrecarrer la sous-évaluation de l’euro face au dollar, et certaines subventions accordées aux producteurs européens.

Droits de douane: l’Europe réplique déjà

Face aux taxes américaines sur l’acier et l’aluminium tout juste entrées en vigueur, l’Europe ne reste pas de marbre. Elle a annoncé des premiers contre-tarifs, à hauteur de 26 milliards d’euros, visant des produits américains importés. Whisky, motos ou bateaux sont notamment concernés. Le 1er avril 2025, les mesures de rééquilibrage européen de 2018 et 2020 seront d’ailleurs automatiquement rétablies après l’expiration de leur suspension, le 31 mars.

«S’ils augmentent leurs droits de douane, nous devrons réagir fermement, a déclaré le ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot (Les Engagés) sur Radio 1. Mais j’espère que les Etats-Unis retrouveront la raison, car à long terme, tout cela sera néfaste pour l’économie, y compris la leur.» L’objectif long-termiste affiché par Trump reste d’inciter à la réindustrialisation des Etats-Unis, en rendant très chers les produits étrangers. Mais le prix initial à payer risque d’être salé, et sa propre population pourrait se retourner contre lui.

S’il peut effectivement faire mal à l’économie belge et européenne (voir plus bas), Trump pourrait bien se mettre sa propre industrie à dos, en augmentant indirectement ses coûts de production. Et c’est peut-être même les grondements de Wall Street, dont les résultats souffrent actuellement, qui pourraient le stopper dans sa surenchère.

Acier et aluminium: Trump va-t-il déjà rétropédaler?

L’impact des droits douaniers sur l’acier et l’aluminium est très concret: il touche par exemple les pièces détachées de véhicules ou d’avions. Mais les Américains sont eux aussi dépendants de l’UE pour certains matériaux, comme les taules en acier. «Pour ce type de matière première, les USA importent d’ailleurs la moitié de leur demande totale d’autres pays», rappelle Karine Balmes, CEO chez KB Expertise Douane.

Dès lors, Trump va-t-il déjà rebrousser chemin et, au bout d’un certain temps, décider d’appliquer une franchise ou une exonération douanière à l’aéronautique? Car en l’occurrence, le monstre américain Boeing pourrait en souffrir directement. «On peut effectivement s’attendre à une sorte de rétropédalage sectoriel pour ne pas faire grincer sa propre industrie aéronautique, à laquelle Trump tient beaucoup», note la spécialiste des tarifs douaniers.

On peut s’attendre à ce que Trump effectue une sorte de rétropédalage sectoriel pour ne pas faire grincer sa propre industrie aéronautique.

Karine Balmes

CEO chez KB Expertise Douane

Donc, «l’augmentation des droits de douane américains impactera d’abord les acheteurs américains, confirme Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. Les exportateurs européens, pour éviter une trop grande hausse de leurs prix aux Etats-Unis, pourraient tenter de baisser leurs prix de vente avant taxe. Mais seules les entreprises qui disposent d’une large marge bénéficiaire peuvent se le permettre.»

Droits de douane: quelles conséquences pour les consommateurs européens?

Si l’Europe répond du tac au tac, comme elle semble déjà vouloir le faire, quelles seront les conséquences sur les consommateurs?

Pour le comprendre, il faut d’abord rappeler les us et coutumes, sans mauvais jeu de mots, d’une guerre commerciale. «On essaie d’abord de répliquer d’une manière qui soit la moins nuisible pour sa propre économie», indique Eric Dor. Au Canada, par exemple, le Premier ministre sortant Justin Trudeau a appliqué cette logique: en réponse aux taxes américaines, il évite d’appliquer des tarifs sur les composants américains ou les matières premières qui entrent dans la chaîne de production des Canadiens eux-mêmes. Auquel cas il étranglerait sa propre industrie. On assiste donc à une gradation et un ciblage dans la rétorsion.

Aujourd’hui, on observe le même procédé dans la première réponse européenne: les alcools, les motos ou les bateaux déjà assemblés n’impacteront pas directement l’économie. Oui, le consommateur européen est évidemment très lié aux marques américaines. Mais la plupart produisent sur le sol européen –les sodas, par exemple– et ne seront donc pas concernées.

Qu’importe-t-on des Etats-Unis?

Quels produits l’Europe importe-t-elle surtout des Etats-Unis? Principalement des choses dont elle ne peut pas se passer: du gaz naturel liquéfié (qu’elle ne devrait vraisemblablement pas taxer vu le peu d’alternatives), des produits pharmaceutiques, des plastiques, de l’optique, des instruments médicaux, des avions (Boeing), du matériel militaire… «Concernant les biens, l’Europe n’a que peu d’atouts à faire jouer pour contrer les taxes douanières américaines», constate Eric Dor.

Les biens de consommation importés d’Amérique sont peu nombreux sur les étals des supermarchés européens. En revanche, si l’Europe prend des mesures de rétorsion en taxant les médicaments américains, un impact rapide pourrait se marquer dans les coûts des soins de santé. En cas de taxe sur le GNL, ce qui est peu probable, le consommateur le ressentira aussi sur sa facture d’énergie.

Concernant les biens, l’Europe n’a que peu d’atouts à faire jouer pour contrer les taxes douanières américaines.

Eric Dor

Directeur des études économiques à l’IESEG School of Management

A l’inverse, les Etats-Unis peuvent causer du tort à l’économie européenne en visant l’acier, les marques de luxe ou les biens alimentaires comme le vin, les spiritueux ou le fromage.

«Dans cette histoire, on est un peu mal pris», concède Eric Dor. Car dans leur développement industriel, les multinationales ont aussi spécialisé à outrance les productions selon le continent, pour optimiser les coûts, générant une interdépendance accrue: les Etats-Unis produisent par exemple certains types de produits pharma, l’Europe en produit d’autres. Cette répartition géographique accélère le flux de l’import et l’export dans les deux sens. Et en cas de perturbation majeure, comme lors d’une crise sanitaire, l’approvisionnement des deux parties peut vite être mis à mal. Donc, la guerre commerciale telle qu’elle se profile actuellement pourrait induire une rareté de certains produits, typiquement du matériel médical spécialisé.

Droits de douane: une hausse de l’inflation?

Déterminer l’impact global sur le consommateur européen «n’est pas si évident» dans l’état actuel des choses, avoue Eric Dor. Mais «une hausse de l’inflation est à craindre. Et donc une perte du pouvoir d’achat.»

«L’impact des droits de douane sur l’inflation est clair, complète Karine Balmes. Les tarifs se répercutent toujours sur les prix de vente finaux. Et induisent également un risque sur la Bourse, qui dévisse déjà actuellement.»

Tout dépendra, en fin de compte, de quels produits l’Europe surtaxera, sachant que peu de biens de consommation «finis» arrivent directement des Etats-Unis vers l’Europe. «Pour le reste, il s’agit beaucoup de produits qui entrent dans la chaîne du producteur européen. Si l’Europe ne trouve pas d’autres cibles, l’impact mettra donc du temps à se répercuter sur le prix final.»

D’autres leviers existent

En réponse, l’Europe peut aussi activer d’autres mesures de rétorsion, en appliquant des restrictions quantitatives sur certains biens, ou en durcissant les normes d’admission à la vente de produits américains en Europe. En 2018, lorsque Trump avait déjà appliqué des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, l’UE avait répondu d’égal à égal. «L’UE peut aussi répliquer de manière plus sectorielle, en visant des secteurs prégnants dans l’industrie américaine, comme l’aéronautique ou automobile», estime Karine Balmes.

Des mesures non-tarifaires pourraient également être décidées. «En jouant sur les certificats d’origine ou le marquage de certaines pièces. Tout cela crée des grains de sable dans la machine industrielle américaine, sans pour autant activer le levier du droit de douane», estime la CEO.

Les services: l’arme fatale de l’Europe?

Mais l’Europe dispose d’une arme fatale qu’elle pourrait bien brandir pour dissuader Donald Trump d’aller plus loin. «La mesure de rétorsion la plus efficace serait d’attaquer les services américains, pointe Eric Dor. Pour ceux-ci, l’Europe subit un déficit commercial, à l’inverse des biens. C’est un vrai levier», estime l’économiste.

Il concerne par exemple les droits de propriété intellectuelle incorporés aux services numériques ou les droits d’utilisation d’une marque. En clair, toute l’offre des GAFAM’s, pour laquelle l’Europe paie des droits d’utilisation, pourrait être taxée. Microsoft Office, Apple, Amazon, Meta, YouTube, Netflix: autant de services digitaux utilisés massivement par les Européens. S’ils étaient visés, la tech américaine, –au sein de laquelle les soutiens de Trump sont nombreux– pourrait trembler.

Pour l’Europe, la mesure de rétorsion la plus efficace serait d’attaquer les services américains.

Eric Dor

Directeur des études économiques à l’IESEG School of Management

La France a ouvert la voie, avec une première taxe digitale. L’Arizona l’évoque aussi dans son accord de gouvernement. «Trump est furieux de l’attaque française sur le digital. Cela prouve que c’est un point sensible, remarque Eric Dor. En revanche, ce genre de taxes pourraient engendrer des réactions inflationnistes

Karine Balmes est plus réservée à l’idée de taxer les GAFAM’s, qui sont «pour l’instant une industrie complexe à sanctionner». Selon elle, «le faire ne serait pas spécialement cohérent avec l’enjeu actuel, qui concerne surtout les matières premières et les produits finis.»

D’une guerre des mots à une guerre commerciale

En quelques semaines, le débat est donc passé d’une guerre des mots à une guerre commerciale concrète. Les représailles annoncées par l’UE montrent que les choses s’accélèrent. «L’UE montre sa fermeté, mais elle ne doit pas oublier que Trump ne pense qu’à faire des deals, peu durables dans le temps, et propices au désamour des consommateurs», rappelle Karine Balmes.

Eric Dor insiste sur le risque de récession bien réel si l’Europe ne dissuade pas suffisamment Trump. «Si on le laisse laminer notre industrie, on exportera moins, ce qui provoquera un haut risque de récession et de pertes d’emplois.»

Le plus gros espoir, selon l’économiste, serait que le mécontentement collectif des entreprises, des consommateurs et des milieux financiers aux Etats-Unis «finisse par se retourner contre lui et le force à s’assagir.» C’est ce qui semble déjà se passer: ce 14 mars, l’entreprise Tesla, dirigée par Elon Musk, avertissait que les mesures lancées par Donald Trump pourraient conduire à des coûts de production plus élevés aux Etats-Unis.

Dans une guerre commerciale, c’est une certitude, tout le monde y perd. «En théorie, elle ne se justifie que s’il faut restaurer une sécurité d’approvisionnement ou si l’une des parties triche en subventionnant ses producteurs nationaux, les rendant déloyalement dopés. C’est d’ailleurs le procès que fait en ce moment l’Europe à la Chine pour ses voitures électriques.»

La Belgique sous pression: de -0,26 à -0,69% du PIB

La Belgique est particulièrement vulnérable face aux menaces de tarifs douaniers américains, notamment sur des produits tels que le fer, l’acier et l’aluminium, prévient la banque ING. Le plat pays reste très exposé au commerce international: il se classe en effet parmi les six premières nations de l’UE en termes d’ouverture commerciale.

Malgré sa taille, la Belgique exporte une part importante de ses produits, représentant «5,6 % des exportations totales de l’UE, juste après l’Espagne», rappelle ING. La Belgique exporte également davantage de biens que de services: 70% de ses exportations sous font sous forme de biens.

Cependant, les prix d’exportation de la Belgique ont augmenté plus fortement que ceux de ses voisins en raison des coûts de travail et de l’énergie, «ce qui rend le pays moins compétitif et plus vulnérable aux taxes douanières américaines», estime la banque.

Les Etats-Unis représentent la quatrième destination des exportations belges, notamment dans les secteurs des produits chimiques et pharmaceutiques, pour lesquels la Belgique ajoute une grande valeur ajoutée. Ces secteurs sont donc directement exposés aux conséquences des tarifs douaniers.

A court terme, le PIB de la Belgique pourrait diminuer de 0,26% en raison de ces tarifs, calcule la banque. «Toutefois, les Etats-Unis continueront à importer des produits en provenance de l’UE, ce qui limite l’impact immédiat, précise Philippe Ledent, économiste. A long terme, cependant, les conséquences pourraient être plus significatives, avec une diminution estimée à -0,69% du PIB, «car les Etats-Unis auront alors plus de capacités pour développer leur propre production locale et réduire leurs importations.»

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