«Certains influenceurs n’ont aucun scrupule»: épargner grâce à la méthode des enveloppes, l’astuce de grand-mère qui séduit la toile
Pour aider leur communauté à mieux gérer leur budget, certains influenceurs remettent la «méthode des enveloppes» au goût du jour. Derrière des conseils financiers a priori innocents, l’objectif ultime reste la recherche de profit, notamment via la vente de produits dérivés.
«Tu en as marre d’être à découvert tous les mois? Alors ce compte est fait pour toi!». Angeline, «experte en gestion de budget» sur Instagram, assure détenir la solution miracle pour épargner de l’argent: la méthode des enveloppes. Le concept est simple: retirer en début de mois la totalité de ses revenus en liquide, puis les répartir dans des enveloppes correspondant à chaque catégorie de frais. Cinq billets pour l’alimentation, trois pour les loisirs, deux pour la santé… Tout est calculé au centime près et permet de garder un œil attentif sur ses dépenses.
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Cette astuce de grand-mère, plus connue sous le nom de «cash stuffing» en anglais, connaît un regain de popularité sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois. Comme Angeline, des centaines d’influenceurs – surtout des femmes – en font la promotion sur Instagram, TikTok ou même YouTube. Elles se présentent comme «money coach», «experte en épargne» ou «planificatrice de budget» et égrènent leurs conseils au travers de courtes vidéos, généralement addictives, qui cumulent des millions de vues.
Convertir la détresse en profit
Les plus populaires de ces «finfluenceurs» (contraction de ‘finance’ et ‘influenceurs’) ont été jusqu’à développer tout un business autour de la méthode. Sous couvert de bienveillance, leurs comptes renvoient vers des sites de vente en ligne, qui proposent des tas de produits dérivés: enveloppes plastifiées, stickers, classeurs, porte-monnaie, livres récapitulatifs, application, coaching personnalisé… Tout est pensé pour accompagner au mieux les utilisateurs, pourtant soucieux de faire des économies. Et les prix affichés sont parfois exorbitants: pour 15 enveloppes (certes, jolies), comptez entre 25 et 75€; pour 4 séances de conseils (par téléphone), comptez 120€. Bref, derrière sa noble intention, la tendance se transforme en véritable machine à fric. Et soulève de vraies questions éthiques.
«Ces créateurs de contenus exploitent in fine la détresse financière de leurs abonnés dans un objectif de rendement, observe Nicolas Dieudonné, expert en nouveaux médias. Ils utilisent leur désarroi pour la convertir en profits, générés d’une part par le haut taux de visionnage de leurs vidéos, et d’autre part par la vente d’objets dérivés, qui sont généralement achetés à bas coûts sur des sites comme Ali Express, customisés avec un logo et puis revendus bien plus chers.» Une technique également utilisée pour la promotion de pilules minceur ou de régimes miracles, qui rencontrent un franc succès chez des utilisateurs confrontés à l’omniprésence de corps de rêve sur les réseaux sociaux. «Certains influenceurs n’ont aucun scrupule à capitaliser sur le mal-être de leurs abonnés», résume Nicolas Dieudonné.
«Ces créateurs de contenus exploitent la détresse financière de leurs abonnés dans un objectif de rendement.»
Nicolas Dieudonné
Expert en nouveaux médias
Le contexte de crise économique actuel n’est certainement pas étranger au succès de la tendance, estime Ingrid Ponciau, professeure de marketing à l’UCLouvain. «En ces temps difficiles pour le pouvoir d’achat, la méthode des enveloppes est susceptible d’intéresser un grand nombre de personnes, des mères de famille aux étudiants plongés dans la précarité.» Un public parfois naïf ou peu informé, et surtout prêt à tout pour sortir de la misère. «On le voit également avec les jeux de hasard: ce sont souvent les gens avec le moins de moyens qui vont être les plus tentés par la loterie, convaincus du miracle qui pourrait se produire», ajoute l’experte de l’UCLouvain.
Identification et authenticité
Les techniques utilisées par les influenceurs, qui maîtrisent parfaitement les codes des réseaux sociaux, sont également très persuasives. D’abord, le «storytelling»: «C’est la base de tous les cours de marketing, rappelle Nicolas Dieudonné. Pour vendre un produit, il faut vendre une histoire. Les gens n’achèteront jamais l’objet à proprement parler, mais bien tout ce qui a autour.» Jasmine Taylor, la fondatrice américaine de « Baddies and Budgets », l’a bien compris. Sur son site Internet, elle y raconte son parcours inspirant: «Il y a moins de trois ans, j’étais fauchée, au chômage (…). J’ai décidé que 2021 serait ma dernière année de galère financière. La méthode des enveloppes a alors changé ma vie. Aujourd’hui, c’est à moi de vous aider.»
Ce storytelling s’accompagne généralement d’un phénomène d’identification. Que ce soit Angeline ou Jasmine, la majorité des promotrices de la méthode des enveloppes ont un profil similaire: des femmes issues de la classe moyenne, souvent mères de famille, qui veulent redevenir maîtres de leur budget. Dans leurs vidéos, elles s’adressent à leurs homologues, avec qui elles assurent partager les mêmes difficultés financières. «Cette authenticité crée un sentiment d’appartenance et séduit de nombreux utilisateurs, parfois lassés par le rêve inaccessible vendu par d’autres», assure Ingrid Ponciau.
Peu risqué, mais…
Enfin, l’astuce des enveloppes comporte également un aspect ludique, propice à sa popularisation sur les réseaux sociaux. Carnets multicolores, stickers et autres gadgets rendent l’épargne plus sexy que la confection d’un tableau Excel. «Et l’on sait que sur les réseaux sociaux, le divertissement et la beauté d’un produit sont primordiaux», rappelle Nicolas Dieudonné. La technique peut d’ailleurs s’avérer efficace: «Bien que non révolutionnaire et très basique, le conseil peut certainement aider les personnes qui galèrent à boucler les fins de mois, concède Rudy De Winne, professeur de finance à l’UCLouvain. D’autant qu’avec les faibles taux d’intérêts proposés sur les comptes, retirer son argent en liquide n’est pas un souci en soi. Le seul risque, c’est de se le faire voler.» De là à amasser une fortune colossale, il y a toutefois un pas.
Si la méthode des enveloppes est a priori inoffensive (outre ses dérives consuméristes), d’autres conseils prodigués sur les réseaux sociaux peuvent s’avérer bien plus nuisibles, alerte Nicolas Dieudonné: «Certains influenceurs, autoproclamés experts financiers, préconisent des méthodes illégales pour faire fortune ou des investissements douteux dans les cryptomonnaies, par exemple». A l’heure où la génération Z s’informe majoritairement sur TikTok et Instagram (76% de cette tranche d’âge y rechercherait des conseils sur les finances personnelles, selon un rapport de Wall Street Zen), l’éducation aux médias apparaît aujourd’hui incontournable pour éviter les dérives.
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