Bpost banque: le début de la fin d’une banque encore à visage humain?
BNP Paribas Fortis s’engage à garder la vocation de proximité de bpost banque, sa nouvelle acquisition. Pour combien de temps? Réponse dans sept ans.
La banque de la poste ne passera pas l’hiver. Elle s’effacera jusqu’à en perdre le nom, pour entamer, en janvier prochain, une nouvelle vie sous la bannière exclusive de BNP Paribas Fortis, qui en était jusqu’ici propriétaire à 50%. Une grande famille en devenir de 4,8 millions de clients – un million apporté par bpost bank, 3,8 millions fournis par BNP Paribas – doit se préparer à un choix quelque peu insolite.
Easy Go ou Easy Guide, telle est la question qui leur sera bientôt soumise et qu’il leur faudra trancher pour le 18 novembre prochain. Easy Go ou la formule de base qui ouvrira le droit aux services bancaires classiques éventuellement enrichis de quelques options modérément payantes. Easy Guide ou l’option plus élaborée, source de services financiers et de facilités supplémentaires. Go pour Easy Go? Pour deux euros par mois, bienvenue dans ce cas dans un bureau de poste, avec ou sans prise de rendez-vous, pour accomplir physiquement des opérations bancaires ou obtenir des conseils pas trop compliqués en crédit à la consommation ou en assurance familiale. Partant pour Easy Guide? Pour 5,50 euros par mois, rendez-vous dans une agence BNP Paribas Fortis, pour satisfaire des besoins plus complexes en placements, crédits ou produits financiers, avec le banquier joignable par vidéo ou chat pour une expertise plus pointue.
Il ne peut s’agir de galvauder le service bancaire de base auprès des gens qui s’en contentent.
Classe éco ou classe affaires
Gros dilemme? Pas de panique, les indécis ne seront pas abandonnés à leur sort. La banque ira d’une suggestion personnalisée pour chaque client selon son profil, les deux formules pourront être testées gratuitement durant toute l’année 2024 et le choix ne sera jamais irréversible. Pourvu qu’il passe d’abord par son agence postale, l’usager Easy Go pourra encore franchir la porte d’une agence orientée Easy Guide s’il veut assouvir un souhait plus complexe en prêt hypothécaire ou en assurance-vie.
C’est que, assure BNP Paribas Fortis, il ne peut être question de constituer une classe de clients de second rang cantonnés dans une division bas de gamme. Il s’agit seulement d’offrir à chacun la possibilité de «composer un pack sur mesure et de ne payer ainsi que pour des services bancaires dont on éprouve réellement le besoin». En somme, une variante à la sauce bancaire de la «classe économique» et de la «classe affaires» en vigueur dans le transport aérien, qui n’exclut pas l’un ou l’autre va-et-vient à bord d’un avion.
«La segmentation de la clientèle n’est pas synonyme d’exclusion à condition qu’elle aboutisse à fournir une qualité de service à la hauteur du coût supporté par le client. Il ne peut s’agir de galvauder le service bancaire de base auprès des gens qui s’en contentent, insiste l’économiste Mikael Petitjean (Louvain School Management), la segmentation n’est donc pas forcément une mauvaise chose, elle peut même concourir à une forme de vases communicants entre une clientèle plus aisée qui subsidiera indirectement le maintien d’un service de base au profit de ceux qui ont moins de moyens.»
Une banque «old school»
Michael Anseeuw, directeur général de BNP Paribas Fortis, ne fait que son devoir en multipliant les propos apaisants et en écartant toute intention moins avouable dans cette démarche d’absorption. Non, les plus vulnérables et/ou les moins connectés ne seront pas laissés au bord du chemin, victimes sans défense d’exclusion numérique. L’intégration même de bpost banque en est la meilleure assurance, appuie le banquier. Pas moins de 657 bureaux de poste aménagés en autant de points de chute pour fournir les services bancaires de base ; 2 300 collaborateurs formés pour y servir correctement le client ; les 523 distributeurs automatiques de billets, propriété de bpost, intégralement maintenus: il est dit et répété que la défunte ne perdra pas son âme mais continuera sous un autre logo d’imprimer sa marque de banque à visage humain. «La banque de la poste se caractérisait par une offre de produits bancaires simples et facilement compréhensibles, un service au guichet, une accessibilité qui procurait un sentiment de proximité», cadre Grégoire Tondreau, senior partner chez Roland Berger. Ce modèle datant de 1995 aura souffert de rester inabouti alors que, relève le consultant, «dans d’autres pays du monde, les banques postales ont été beaucoup plus loin dans ce créneau». Il aura su néanmoins faire ses preuves, en captant notamment une clientèle des régions rurales et/ou plus âgée, accrochée à des manipulations bancaires traditionnelles en voie de disparition.
Ou comment, dans le chef de BNP Paribas Fortis, prétendre préserver un reste de banque «old school» dans un océan de modernité financière, et se donner par la même occasion un visage plus avenant dans un environnement passablement remonté contre les banquiers. «Les banques intègrent de plus en plus le facteur de leur perception auprès de la population, et donc de leur responsabilité sociale, observe Mikael Petitjean, elles ne le font pas par charité chrétienne mais par la prise en considération des retombées pour leur image. L’accès de la banque à une population la plus large possible est aujourd’hui valorisé, il peut y avoir un intérêt à se positionner sur le créneau de l’inclusion sociale moyennant un arbitrage à faire entre les considérations purement pécuniaires et sociales.»
Un risque d’exclusion larvée
L’avenir dira si cette main tendue aux plus vulnérables relevait du geste sincère ou d’un froid calcul. Chez Financité, où l’on milite pour une finance solidaire, Anne Fily, chargée de projets pour une inclusion financière, épingle quelques signes avant-coureurs d’un recul ou d’une dégradation. La désactivation, dès janvier prochain, des appareils self-banking «non cash» installés dans les bureaux de poste, qui permettaient de consulter le solde des comptes bancaires, de faire des virements et d’imprimer des extraits de compte ; cette discrétion à promouvoir le service bancaire de base qui, «dans certains cas, sera financièrement plus avantageux que la formule bon marché Easy Go avec ses options» ; ou cette mise à disposition gratuite des formules d’abonnement durant un an, procédé classique pour rendre une clientèle captive du produit testé sous le régime de la gratuité.
Ce qu’il se passera après ces sept ans est difficile à dire.» Petra De Sutter, ministre en charge des Entreprises publiques.
Le sort réservé à bpost banque aurait pu être une belle occasion de nourrir un débat parlementaire sur l’exclusion bancaire et les moyens de la prévenir. Il n’en sera rien. Petra De Sutter (Groen), ministre fédérale en charge des Entreprises publiques, a été au regret de faire savoir aux quelques députés qui se sont émus et inquiétés des manœuvres en cours qu’elle n’avait pas eu voix au chapitre, qu’elle n’avait pas à l’être, et que tout cela, en fin de compte, ne les regardait pas.
Quel autre choix, dès lors, que de laisser au nouveau maître absolu des lieux le bénéfice du doute, pour sept années au moins, durée prolongeable, du partenariat et des engagements pris?
Petra De Sutter se risque à livrer un indice: «Si vous me demandez ce qu’il se passera après ces sept ans, c’est difficile à dire. Le secteur est soumis à des changements fréquents.» Mikael Petitjean abonde: «L’avenir d’un accord finit toujours par reposer sur une analyse coût-bénéfice. Toute évaluation d’une segmentation de la clientèle peut conduire à des réajustements qui pourraient prendre l’allure d’une exclusion larvée. Comme de confier la gestion des services bancaires de base à un autre acteur, souligne l’économiste. Sept ans, c’est court. Cela peut correspondre à une phase de transition pour toute la génération “silencieuse” de clients, les 75 ans et plus, encore très dépendante de services bancaires physiques.»
Et au temps escompté pour en prendre doucement congé.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici