Le compte d’épargne d’Apple à 4,15% a récolté dix milliards de dollars en quinze semaines. © getty images

Bientôt des comptes d’épargne à 4% ou 5%?

Nathalie Duelz
Nathalie Duelz Secrétaire de rédaction

Le bon d’Etat Van Peteghem et son taux net de 2,81% devaient «secouer» les banques, et leurs comptes d’épargne. Si elles semblent peu enclines à bouger, la fintech pourrait apporter un second coup de semonce.

Aucun des comptes d’épargne classiques en Belgique ne concurrence, pour l’instant, le taux du bon d’Etat à un an ouvert à souscription, le 24 août, par l’Agence de la dette. Seuls le nouveau compte à terme à un an d’Argenta offre le même rendement et celui de la Deutsche Bank 2,87% net, à condition d’y déposer… cent mille euros.

L’offensive ne s’est donc pas encore transformée en réelle guerre des taux. Mais la bataille pourrait s’intensifier dans les semaines ou les mois à venir, à l’image des hostilités entamées à l’étranger.

Des intérêts payés chaque jour

En France, la bagarre est en effet plus vive. Le célèbre livret A affiche 3% net d’intérêt, garantis jusqu’en 2025, et de nombreux comptes à terme autour des 3% – brut dans ce cas – ont fleuri. La fintech Revolut y a aussi lancé son premier produit d’épargne le 22 août: son «Compte flexible» annonce 5,32% de rendement brut s’il est libellé en dollars, soit 3,72% net. Une rémunération qui n’est toutefois pas garantie ; le taux varie chaque jour et suit les tendances du marché (le produit est basé sur des fonds monétaires, toutefois peu volatiles). Les intérêts sont payés chaque jour et non au bout d’un an. L’offre existe déjà en Espagne et en Allemagne et «nous étudions actuellement la possibilité de lancer ce produit en Belgique, une sortie en 2024 est envisageable», confirme Elliot Cohen, communications manager France, Belgique et Luxembourg.

Et si la concurrence venait aussi d’un peu plus loin? Aux Etats-Unis, Apple rencontre un vif succès avec son compte épargne inauguré en avril dernier, en collaboration avec la banque d’affaires Goldman Sachs. «Savings», grâce à un taux de 4,15%, a engrangé dix milliards de dollars de dépôts en quinze semaines, s’est félicitée Jennifer Bailey, vice-présidente d’Apple Pay et d’Apple Wallet, dans un communiqué diffusé début août. Pour l’heure, la firme de Cuppertino, qui s’impose de plus en plus dans la finance, n’a pas annoncé de date d’un éventuel lancement de Savings en Europe. Rien, légalement, n’empêcherait cependant son arrivée en Belgique, confirme Febelfin, la Fédération belge du secteur financier.

Pour la marque à la pomme, le principal obstacle serait toutefois de trouver un partenaire bancaire auquel s’adosser, et daignant accorder un taux plus élevé que sur ses propres comptes. Aux Etats-Unis, Savings est, en effet, avant tout un compte de Goldman Sachs, même s’il est réservé aux seuls détenteurs d’une Apple Card – la carte de crédit d’Apple – et géré via l’application Wallet de l’iPhone. Et si Goldman Sachs peut faire s’envoler le rendement – «grâce à une bonne gestion de son actif et de son passif mais, surtout, son accès aux taux de refinancement de la banque centrale américaine (FED)», stipule Febelfin – pas sûr que les acteurs belges y soient prêts ou capables.

Bruno Colmant, professeur d’économie à l’ULB et à l’UCLouvain, n’est toutefois pas de cet avis. «L’opportunité pourrait être belle pour une banque soucieuse de réaliser un changement stratégique, à l’image de ce qu’avait fait ING avec ING Direct, il y a quelques années, et ses taux supérieurs dans les pays où elle n’était pas installée», estime-t-il. Il y voit même deux grands avantages: «S’adosser à Apple, c’est d’abord profiter d’une capacité d’attraction foudroyante et donc engranger un gros volume de dépôts, donc un nouveau fonds de commerce. Ensuite, c’est une belle occasion de capter le marché primaire, réputé difficile, à savoir les jeunes.»

Qui croquera la pomme?

Alors qui, en Belgique, pourrait s’associer à Apple? «Je ne serais pas étonné qu’une des quatre grandes banques du pays s’engage avec Apple si l’opportunité se présentait, se lance l’économiste. Je ne crois pas à l’adossement avec un petit acteur. Apple a besoin de notoriété et de solidité financière.» Bruno Colmant ose même avancer deux noms en particulier: Belfius ou KBC, reconnues mondialement pour leurs performances en matière digitale. KBC n’a pas souhaité commenter ses «futures lignes stratégiques ou de développement». Belfius n’a pas répondu à notre demande d’interview.

Un grand acteur, donc, mais à quel taux? 4,15%, comme aux Etats-Unis? Peu probable, du moins sur le long terme. D’autant que les taux américains sont généralement 2% plus élevés qu’en Europe. «Par contre, ce serait possible de le faire pendant six mois, par exemple lors d’une campagne marketing. Puis de revenir à un taux “normal”, comme le faisait jadis ING Direct. Il resterait ensuite l’habitude…», allègue Bruno Colmant. Les banques sont de grosses machines peu agiles dont la matière première – les dépôts des clients – est gratuite. «Il n’y a donc aucune envie de leur part de monter les taux», conclut l’économiste.

Quant au phénomène de cannibalisation entre produits, il ne constitue pas de réel obstacle. Pour le contourner, créer une nouvelle marque suffirait, ou une banque dans laquelle le nom de l’adossé n’apparaîtrait pas mais dont il serait actionnaire.

Reste une question: si un partenariat avec Apple pourrait être commercialement attractif, serait-ce vraiment le cas financièrement? L’actualité américaine pourrait rendre les acteurs belges frileux. En effet, l’alliance de la pomme avec Goldman Sachs – prévue jusqu’à la fin de la décennie – bat de l’aile. Selon The Wall Street Journal, des discussions seraient en cours pour qu’American Express remplace Goldman Sachs (à condition qu’Apple accepte…). La banque, confirme le site The Information, supporterait mal les exigences d’Apple pour séduire toujours plus d’épargnants au détriment de certaines règles et, surtout, de la rentabilité de Goldman Sachs. Les pertes se seraient cumulées pour la banque d’affaires et la rentabilité ne serait pas attendue avant 2025.

Voir débouler les propositions des fintech à des taux qui font rêver ne semble donc pas pour tout de suite. Pas plus que des comptes d’épargne traditionnels proches de 3%. La bonne nouvelle? «Si les banques bougent trop peu, il pourrait y avoir un nouveau bon d’Etat en décembre», a annoncé le ministre des Finances, après les milliards engrangés lors de la première émission.

300 milliards

d’euros garnissaient les comptes d’épargne des Belges à la fin de l’année 2022, dont deux tiers chez BNP Paribas Fortis, KBC, ING Belgique et Belfius. Meilleur rendement à ce jour: 2,25% (ING Epargne Tempo).

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