Augmenter les chèques-repas, supprimer les écochèques: belle opportunité ou tromperie déguisée?
Le formateur Bart De Wever souhaiterait faire disparaître les écochèques. En contrepartie, il augmenterait la valeur des chèques-repas. Si l’idée semble faire consensus au sein de la future Arizona, elle laisse les partenaires sociaux perplexes.
Ils sont dans le viseur du formateur Bart De Wever. Les écochèques, perçus par 2,3 millions de Belges, pourraient bien disparaître sous la future coalition Arizona. C’est en tout cas un des objectifs du nationaliste flamand, qui a placé cette possibilité à l’agenda dans sa dernière note socio-économique, selon HLN.
8 euros le chèque-repas: un montant éloigné des réalités économiques actuelles
Pour contrebalancer cette suppression, le président de la N-VA souhaiterait augmenter la valeur des chèques-repas, qui n’ont connu aucune indexation depuis… 2016. Actuellement fixé à un maximum de 8 euros l’unité (6,91 euros à charge de l’employeur, 1,09 euros de l’employé), le montant ne coïnciderait plus aux réalités économiques. En l’espace de huit ans, l’inflation a en effet fortement poussé les prix de l’alimentaire vers le haut. Un décalage que souhaiterait résorber le futur gouvernement. A titre comparatif, le montant maximum du chèque-repas s’élève à 14 euros en France, 15 euros au Luxembourg. «En Belgique, les chèques-repas n’ont pas suivi l’inflation. Lors de la vague inflationniste de 2022, il aurait été opportun d’augmenter leur valeur», estime l’économiste Bruno Colmant (ULB et Académie Royale de Belgique).
La mesure ne serait pas loin de faire l’unanimité au sein de la future Arizona. Dans un passé récent, plusieurs partis (à gauche comme à droite) se sont en effet affichés contre le maintien des écochèques. L’idée figurait d’ailleurs dans la proposition de réforme fiscale du ministre des Finances sortant Vincent Van Peteghem (CD&V).
Les opposants aux écochèques estiment que cet avantage fiscal (limité à 250 euros par an et exonéré d’impôts) ajoute une touche de complexité au système global d’avantage extralégal déjà très disparate en Belgique. Il favoriserait aussi les grandes chaînes de magasins électroménagers, au détriment des autres commerçants. Surtout, sa vocation aux achats «de produits et services à caractère écologique», comme définit par le SPF Economie, ne serait plus que théorique. Dans la pratique, le système serait ainsi mis à profit par certaines grandes entreprises à des fins de greenwashing.
La suppression des écochèques laisse perplexe
Malgré ces questionnements, l’Union des Classes Moyennes se dit «circonspecte» sur la possible disparition des écochèques, qui demeurent une création des partenaires sociaux. «L’écochèque ne peut être utilisé qu’en Belgique. Il a cette faculté de maintenir la dépense du salarié à l’intérieur du pays. Ces achats se font aussi dans des commerces de plus petites tailles», relève Matthieu Dewèvre, conseiller au sein du service d’études de l’UCM.
Selon l’organisation, l’écochèque garde sa portée écologique. Elle cite une étude de l’Université d’Hasselt démontrant que les consommateurs ont tendance à acheter des produits plus écologiquement responsables avec des écochèques. «Dans la dynamique d’une réforme fiscale, la disparition des écochèques n’est clairement pas notre option préférée», tranche Matthieu Dewèvre.
S’ils sont supprimés, «les travailleurs demanderont une augmentation salariale en substitution. Or, les écochèques bénéficient d’un traitement fiscal particulier», rappelle Bruno Colmant.
Dans la dynamique d’une réforme fiscale, la disparition des écochèques n’est clairement pas notre option préférée
Matthieu Dewèvre
UCM
Dans une réaction, la CGSLB se montre «prudemment positive» après sa rencontre avec Bart De Wever, mais «enthousiaste» quant à la proposition d’augmenter les chèques-repas. En février, le syndicat libéral avec d’ailleurs lancé une pétition afin de relever le montant de 8 à 10 euros. Une hausse serait bénéfique non seulement pour les consommateurs -qui verraient la valeur de leur avantage mieux calquée sur l’inflation actuelle- mais également pour les commerces. Pour un tiers des commerçants belges, le titre-repas constitue en effet jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires. Il a également un impact positif sur le commerce puisque son effet multiplicateur est de 1,8. En d’autres termes, un euro dépensé en chèque-repas équivaut à 1,8 euro reversé dans l’économie belge.
Seuls les tickets-restaurants créent plus de 20.000 emplois dans la grande distribution.
Bruno Colmant
«Il n’est pas pertinent d’opposer écochèques et tickets-repas car les deux ont un effet positif sur l’économie belge: 170.000 entreprises délivrent des chèques-repas, 120.000 des écochèques, rappelle Bruno Colmant. Tant l’un et l’autre représentent de la consommation préprogrammée sur le sol belge. On estime par ailleurs que seuls les tickets-restaurants créent plus de 20.000 emplois dans la grande distribution. Cela débouche sur un double avantage en faveur de l’Etat: une création d’emplois mêlée à des recettes de TVA qui découlent des achats.»
«Une manière déguisée de faire payer la non-augmentation des impôts»
Thierry Bodson, président de la FGTB, reste dubitatif. Selon lui, les discussions actuelles portent sur une augmentation d’à peine un euro. «Derrière ces propositions, le but recherché est d’accroître l’utilisation des rémunérations alternatives, sans l’apport de cotisations sociales», critique-t-il.
Pour le syndicaliste, on peut même parler de tromperie sur la marchandise. «Cette augmentation provoquera certainement une hausse de la participation des travailleurs aux chèques-repas. On fait payer de façon déguisée l’absence d’augmentation d’impôts.» Il rappelle en outre qu’il «faut regarder l’ensemble des choses qui constituent le salaire, et pas juste un élément extralégal».
Derrière ces propositions, le but recherché est d’accroître l’utilisation des rémunérations alternatives, sans l’apport de cotisations sociales.
Thierry Bodson
Président de la FGTB
D’après l’UCM, augmenter la valeur faciale du chèque-repas «est une belle opportunité pour autant que cela reste une faculté. Autrement dit, il s’agirait d’augmenter la valeur plafond sans obliger les employeur à s’y aligner, et sans modifier les équilibres de contribution employeur/employé existants.»
Enfin, pour les entreprises, la question de la déductibilité du chèque (actuellement de deux euros par unité) est aussi importante. «Si l’on augmente la valeur plafond, il conviendra de revoir à la hausse sa déductibilité.»
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