Mettez un pull, baissez le thermostat: «Nos politiques ont dû devenir des communicants de crise»
Les responsables politiques ont tendance à régenter quelque peu nos comportements, pour faire face à la crise. Qu’elle soit sanitaire ou énergétique, d’ailleurs. Nicolas Baygert, expert en communication politique (Ihecs, ULB, Sciences Po Paris), observe les politiciens tenus de communiquer de manière inhabituelle. Ce qui s’accompagne parfois d’une certaine maladresse.
Face à la crise énergétique, des politiques nous expliquent aujourd’hui comment nous comporter à domicile, nous vêtir, etc. Est-ce une nouvelle façon de communiquer?
Il faut d’abord distinguer communication politique et communication publique. Les responsables politiques sont habitués à la première mais peuvent avoir du mal à revêtir les habits de communicants publics dont le message consiste à conscientiser les citoyens, défendre le bien commun et donc parler de sobriété énergétique, de risques sanitaires, de sécurité routière, par exemple. La communication politique s’inscrit dans un autre registre, qui consiste à défendre des opinions, la ligne d’un parti. On a l’habitude d’entendre les politiques dans un registre plus offensif, plus conflictuel. Peut-être ont-ils moins de légitimité ou de crédibilité dans la recommandation, la pédagogie. Cela peut provoquer une dissonance.
Le contexte de la pandémie et des crises suivantes a obligé nos dirigeants à se transformer en communicants de crise. C’est une autre façon de communiquer, avec d’autres exigences, et parfois cette communication frise avec une forme d’infantilisation. Certains y parviennent mieux que d’autres.
On a l’habitude d’entendre les politiques dans un registre plus offensif, conflictuel. Peut-être ont-ils moins de légitimité ou de crédibilité dans la recommandation, la pédagogie.
Pouvez-vous donner des exemples?
En période de pandémie, on a observé des communications plutôt pénalisantes, infantilisantes ou responsabilisantes. En Nouvelle-Zélande, par exemple, il y a eu une volonté d’accompagner le citoyen. On a vu la Première ministre, Jacinda Ardern, camper cette mère de famille qui traversait les mêmes difficultés que la population, provoquant un sentiment d’identification. A Taïwan, ils ont beaucoup misé sur la confiance, mais avec des quarantaines très strictes pour les visiteurs étrangers.
En France, il y avait une immixtion plus forte dans la vie des gens, avec le pass sanitaire, les restrictions de déplacement, etc. Cette communication peut être perçue comme de l’ingérence, même si c’est pour la bonne cause. C’est d’autant plus vrai lorsque la parole est prononcée par des personnalités politiques, avec leur passif, que par des instances moins incarnées, apparaissant comme plus neutres, plus intègres. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), par exemple.
Et en Belgique?
Sophie Wilmès est un bon exemple. Elle reste très populaire, même si elle s’est mise en retrait. C’est, entre autres, parce qu’elle incarne ce souvenir d’une communication, à un moment donné, qui n’était ni totalement dans l’infantilisation ni dans la responsabilisation, mais qui manifestait sans doute une volonté d’empathie. On avait reproché l’inverse à Maggie De Block. L’empathie est plutôt une qualité en communication de crise: «Je vous comprends, je partage vos difficultés.»
C’est plus complexe lorsqu’il s’agit de pouvoir d’achat, les responsables politiques n’ayant pas le niveau de vie de Monsieur et Madame Tout-le-monde…
C’est plus délicat, oui. On voit aussi apparaître une sorte de novlangue. La ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, évoquait les personnes en situation de «sobriété subie», qui ne devraient pas faire les mêmes efforts que les autres. En utilisant de cette façon la notion de sobriété, qui n’est pour certains qu’une variante culpabilisante de l’austérité, vous vous exposez à la critique. C’est également compliqué pour les autorités de se poser en modèle. Boris Johnson en a fait les frais…
Etant donné ce déficit de crédibilité, procurer ces «bons conseils» peut-il être contre-productif?
Ces dernières années, des travaux en psychologie sociale ont comparé l’Etat à une forme d’entité maternisante. Michel Schneider (NDLR: écrivain et psychanalyste français) parle de «Big mother». C’est cette tendance de l’Etat à veiller sur ses citoyens malades. S’il n’en fait pas assez, on le lui reproche. S’il est trop à l’écoute, on a l’impression qu’il sort de ses prérogatives. Il est assez difficile pour les dirigeants de trouver leurs marques. Les injonctions sont contradictoires, entre l’exigence de protection et le fait qu’il ne sont pas perçus comme légitimes.
Une nouvelle façon de communiquer s’impose-t-elle?
La communication publique de crise exige d’être attentif à d’autres paramètres, comme l’empathie. La communication politique est contrainte d’évoluer. D’autant plus que la crise est une polycrise: pandémie, crise énergétique, crise climatique, etc. Il y a des attentes des citoyens, l’exigence d’un filet de sécurité et peut-être de recommandations, et en même temps, ce constat que les politiques ne sont pas totalement légitimes dans cette communication.
La parole d’experts, pendant la crise sanitaire, a aussi été décriée…
On a assisté à l’émergence d’une classe de leaders d’opinion. Cela correspondait à un besoin de référents, une parole apaisante, une expertise. Cela a parfois phagocyté le discours officiel du gouvernement. Mais on leur a aussi délégué cette tâche.
On songe à un expert comme Damien Ernst aussi, en ces temps de crise de l’énergie.
Des personnalités font leur apparition dans le débat public. Ce n’est pas simple pour les politiques, qui n’ont pas la même crédibilité. Après, certains s’expriment hors de leur domaine ou sont de «bons clients». Il arrive qu’ils se révèlent dans cet exercice. Par contre, il faut faire attention à la saturation, éviter qu’il y ait trop d’émetteurs dans cette communication. Ça finit par agacer. Alors que la situation est grave, insister sur les cols roulés et le sèche-linge apparaît anecdotique. Cela peut donner l’impression que les politiques essaient de se raccrocher à cette communication publique.
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