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Le secrétaire général de la FGTB wallonne, Jean-François Tamellini, dénonce un manque de vision et l’absence d’une ligne claire dans le chef du ministre de l’Economie et de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet (MR). © BELGA

«Mais où est le ministre de l’Economie?»: le patron de la FGTB wallonne flingue la réforme de Pierre-Yves Jeholet

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Jean-François Tamellini, le secrétaire général de la FGTB wallonne, considère que le gouvernement wallon se trompe complètement de direction pour développer l’emploi. Il dénonce les chiffres avancés par Pierre-Yves Jeholet pour appuyer sa réforme. Et dénonce un ministre de l’Economie «aux abonnés absents».

«Ce gouvernement va casser la dynamique de l’emploi en Wallonie. Il ne va pas du tout dans le bon sens. Ce que je vois, ce sont des mesures purement idéologiques et dogmatiques», lâche Jean-François Tamellini. Le secrétaire général de la FGTB wallonne, explique-t-il, a pris le temps d’analyser les intentions du ministre wallon de l’Economie, Pierre-Yves Jeholet (MR), en matière d’emploi. Le libéral fait fausse route, estime le syndicaliste.

Le 21 novembre, le gouvernement approuvait la note d’orientation de Pierre-Yves Jeholet, portant sur une réforme de l’emploi, de l’insertion socioprofessionnelle et de l’activation des chercheurs d’emploi (lire ci-dessous). L’exécutif régional n’attendait certainement pas des applaudissements de la FGTB. Jean-François Tamellini l’affirme: son objectif est plus que jamais de développer l’emploi, il se dit constructif. Mais la note du ministre ne passe pas.

La ligne du gouvernement éloigne de l’emploi plutôt qu’elle n’en rapproche.

Jean-François Tamellini

La façon de faire, pour commencer. «Comment se fait-il qu’on apprenne ses intentions par voie de presse? Je suis au comité de gestion du Forem, à aucun moment on ne s’est retrouvé autour de la table pour en parler avec lui. Quand on veut développer la Wallonie, le minimum, c’est de se concerter avec les interlocuteurs, non?»

Le cadre posé par le ministre, ensuite. Il ne colle absolument pas avec le point de vue de la FGTB. «J’aime bien objectiver les choses, plutôt que faire des procès d’intention. Le gouvernement occulte les avancées des trois dernières années, enregistrées grâce au renforcement du trajet d’accompagnement. On me dira que le taux d’emploi n’est que de 68,1% en Wallonie, mais il a augmenté de 4,4% grâce à ces mesures. Plutôt que tout casser, il faut renforcer. Poursuivre la dynamique, au lieu de s’engager dans une mauvaise voie. Or, la ligne du gouvernement éloigne de l’emploi plutôt qu’elle n’en rapproche», considère Jean-François Tamellini.

Le Forem est-il vraiment laxiste?

Il avance une série de données, histoire de battre en brèche une petite musique. «Leurs chiffres sont complètement biaisés, j’y vois une volonté d’alimenter ce sentiment de laxisme du Forem et d’impunité des demandeurs d’emploi. Exemple: le ministre cite 173 sanctions du Forem durant le premier semestre 2024, sur une centaine de milliers de demandeurs d’emploi indemnisés. Quand vous regardez les chiffres réels, la réalité est différente.»

Jean-François Tamellini y ajoute, au premier semestre 2024 toujours, 3.500 avertissements dans le cadre du nouveau trajet d’accompagnement, «c’est une sorte de carton jaune qui n’est pas anodin». Mais encore 1.784 évaluations négatives sur un total de 2.032 litiges en disponibilité passive, donc de non-présentation au Forem ou de refus d’emploi ou de formation. «Enfin, 10.000 jeunes ont reçu une évaluation négative. Or, ils doivent recevoir deux évaluations positives pour avoir accès aux allocations d’insertion.»

Bref, «quand Pierre-Yves Jeholet dit qu’il n’y a eu que 173 sanctions, moi je réponds chiffres à l’appui qu’il faut parler de 15.300 décisions négatives du Forem, ce qui ne colle pas avec l’image du laxisme généralisé.»

Pour Jean-François Tamellini, contrairement à une idée répandue, le Forem délivre déjà de nombreuses sanctions. © BELGA

La Flandre est-elle vraiment plus stricte?

Le patron de la FGTB wallonne poursuit son raisonnement en établissant une comparaison avec les données disponibles en Flandre, qui peut apparaître, à l’occasion, comme plus stricte. «Durant la même période, on y compte 2.274 évaluations négatives de jeunes en stage d’insertion (contre 10.000 en Wallonie), 3.704 pré-avertissements à des allocataires (contre 3.500), 242 sanctions (contre 173), mais avec des sanctions plus sévères chez nous, ce qui est toujours un échec évidemment. En Flandre, il n’y a pas eu d’exclusion définitive, mais 144 en Wallonie», recadre-t-il.

Il pourra être rétorqué au syndicaliste que la situation du taux d’emploi n’est pas la même au nord et au sud du pays, justifiant éventuellement des approches différentes. «Allons jusqu’au bout de la démarche alors. Si on compare, il y a 40.000 offres d’emploi sur le site du Forem pour 240.000 demandeurs. Et de quels emplois parle-t-on? Seulement 27% de CDI en Wallonie, pour 82% en Flandre. Ce qu’il faut, c’est travailler sur l’augmentation du taux d’emploi, la qualité de ces emplois et le renforcement de la formation, mais certainement pas casser du chômeur.»

Un appel aux employeurs

Au-delà de données qu’il estime biaisées, Jean-François Tamellini reproche un certain manque de consistance à Pierre-Yves Jeholet, en matière de politique économique. «Avec l’arrivée du nouveau gouvernement, on pouvait s’attendre à des mesures fortes, à une nouvelle dynamique. Or, le ministre de l’Economie est totalement absent de ce gouvernement. Franchement, il est où?», interroge-t-il.

Pourquoi le ministre de l’Economie ne se concentre-t-il pas là-dessus? On ne voit rien venir.

Jean-François Tamellini

Le secrétaire général évoque quelques exemples, pour illustrer ses critiques. «Les carrières Lhoist à Rochefort: ça fait trois ans qu’on se bat pour l’extension de la carrière, sinon on risque de perdre 250 équivalents temps plein. Sans ça, la Wallonie passe du statut d’exportateur net de chaux à importateur net. Pourquoi le ministre de l’Economie ne se concentre-t-il pas là-dessus? On ne voit rien venir. Autre exemple: la boucle du Hainaut, pour laquelle on fait tout ce qu’il faut depuis deux ans et demi. C’est de la compétence de l’Aménagement du territoire, certes, mais pourquoi ne fait-il pas tout ce qu’il faut pour ce dossier au sein du gouvernement? Je crains qu’on commence à fermer des entreprises. Je peux aussi vous parler de Nuode, à Dour, où il y a une inquiétude pour l’approvisionnement énergétique. Mais que fait ce gouvernement pour créer de l’emploi?»

La FGTB wallonne se dit demandeuse, avant tout, d’une concertation avec les employeurs et les syndicats, qui serait inexistante à ce stade. «C’est un message que j’envoie également aux employeurs, puisque le ministre de l’Economie est aux abonnés absents. Mettons-nous autour de la table et faisons tout pour développer l’emploi. Parce la ligne du gouvernement, je ne la vois pas. Niveau environnement, c’est le néant. Niveau économie, c’est le néant. Par contre, les attaques sociales, on les sent arriver», poursuit Jean-François Tamellini.

La menace d’une riposte syndicale

Lui se dit de bonne composition. La FGTB a insisté pour «qu’il n’y ait qu’une seule porte d’entrée pour les investissements, à travers Wallonie Entreprendre. Nous avons aussi poussé pour avoir un cadastre des terrains, pour que les investisseurs sachent où investir. Nous avons même accepté l’exemption du précompte professionnel pour les chercheurs, ce qui n’est pas évident».

En matière de suivi et de formation, «ce qu’il faut faire, c’est donner des moyens au Forem, pas le déforcer. Je ne suis pas contre une évolution, bien au contraire. Mais il faut savoir que la norme est d’un conseiller pour 220 à 240 demandeurs, là où c’est 100 demandeurs par conseiller en Allemagne ou au Danemark».

Il n’y a pas d’autre alternative que d’opérer un changement radical en réformant le paysage de l’emploi en Wallonie.

Pierre-Yves Jeholet

Il convient dès lors d’entendre cette sortie de Jean-François Tamellini comme un avertissement au ministre de l’Economie, auquel il est demandé d’être beaucoup plus entreprenant, sans quoi une riposte syndicale n’est pas à exclure.

Avant toute chose, cela passera, pour la FGTB, par un instauration d’un meilleur dialogue. «Pour reconstruire une région, c’est de la folie de se passer des interlocuteurs, qu’il s’agisse des employeurs ou des syndicats. Ce n’est pas constructif et ça n’instaure certainement pas un climat stable.» Voilà l’exécutif régional prévenu: il peut s’attendre, à entendre le patron de la FGTB wallonne, à l’expression d’un franc mécontentement s’il s’en tient à une méthode jugée comme «à contresens de ce qu’il faudrait faire pour l’emploi».

Quelles sont les intentions de Pierre-Yves Jeholet?

Le 21 novembre, le ministre wallon de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet (MR), déposait sur la table du gouvernement régional une note d’orientation consacrée à une réforme rapide du paysage de l’emploi, de l’insertion socio-professionnelle et de l’activation des chercheurs d’emploi.

Malgré un budget annuel de plus de trois milliards d’euros consacré aux politiques d’emploi et de formation, le nombre de postes vacants avoisine les 40.000 au sud du pays, alors que la réserve de main d’œuvre inoccupée dépasse les 244.000 chercheurs d’emploi. Le chômage des jeunes atteint, lui, un taux de 23%. Voilà pour les constats, auxquels s’ajoute un paysage d’insertion socio-professionnelle complexe, marqué par une multiplicité d’acteurs agissant de manière fragmentée et souvent redondante, a pointé le ministre.

«La question de l’efficience du budget investi se pose… Malgré la mise en place de nombreux initiatives et dispositifs, aucune solution concrète n’a encore permis de remédier aux nombreuses problématiques soulevées. Il n’y a pas d’autre alternative que d’opérer un changement radical en réformant le paysage de l’emploi en Wallonie, ce à quoi s’attelle la note d’orientation», a-t-il insisté.

Concrètement, cette dernière prévoit d’accélérer et d’intensifier l’accompagnement des chercheurs d’emploi qui seront responsabilisés grâce à un suivi intensif et un contrôle actif de leur disponibilité. Le rôle de chaque opérateur sera par ailleurs clarifié et l’offre de formations sera structurée afin de répondre aux besoins des entreprises et combler les pénuries de main d’œuvre.

Le Forem, dont le contrat de gestion sera revu, sera quant à lui doté d’outils numériques performants, avec le déploiement prévu d’un réel dossier unique. Parallèlement, un monitoring et des indicateurs clefs de performance seront mis en place.

«Un des enjeux sera d’accroître la participation des chercheurs d’emplois à la formation professionnelle afin d’augmenter leur niveau de qualification et de favoriser une insertion rapide et durable sur le marché du travail, tout en mettant fin à l’enlisement de certains publics dans le chômage», a résumé Pierre-Yves Jeholet.

«Cette note d’orientation est ambitieuse, les chantiers nombreux mais la volonté est commune: activer plus rapidement et durablement les chercheurs d’emploi sur le marché du travail, répondre efficacement à la problématique des métiers en pénurie, améliorer les formations au regard des besoins des entreprises et redéfinir les rôles des différents opérateurs pour une meilleure coopération et prise en charge des chercheurs d’emploi», a-t-il ajouté.

Mais pour le ministre, ces mesures – dont certaines entreront en vigueur dès 2025 – ne pourront être efficaces «que si un changement de mentalité s’opère: les chercheurs d’emploi doivent être conscients qu’ils sont le premier moteur de leur propre réussite sur le marché du travail.» Et si le message ne passe toujours pas, «des sanctions seront prévues. Aujourd’hui, elles existent, mais elles sont trop rares», a enfin averti Pierre-Yves Jeholet.

(Belga)

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