Les prix du gaz sont à la hausse: «Je suis certain qu’après une trêve en Ukraine, la Russie pourra de nouveau livrer du gaz à l’Europe»
Donald Trump est impatient de vendre davantage de GNL, ou gaz naturel liquéfié, et d’ici quelques années, Vladimir Poutine pourrait même être autorisé à fournir du gaz à l’Europe. L’expert en énergie Joannes Laveyne voit en effet le marché du gaz en plein essor. «Je ne crois pas que l’Allemagne ait déjà décroché du gaz russe bon marché».
«La prochaine décennie sera celle du gaz naturel», affirme Joannes Laveyne, chercheur au Laboratoire de génie électrique de l’UGent. Selon lui, plusieurs raisons expliquent pourquoi il ne faut pas s’inquiéter outre mesure de l’approvisionnement en gaz dans les années à venir. Pourtant, chacun constate aujourd’hui que la facture de gaz est à nouveau plus élevée que depuis la fin de la crise énergétique. Et cela ne devrait pas changer dans les prochains mois.
Pourquoi les prix du gaz augmentent-ils à nouveau depuis un certain temps?
Joannes Laveyne: Nos réserves européennes de gaz jouent un rôle majeur dans la détermination de ce prix. Avec un taux de remplissage de 55%, elles sont en dessous de la moyenne. Plus préoccupant encore, la vitesse à laquelle nous les utilisons est bien plus élevée que les années précédentes, notamment parce que notre consommation est plus importante cette année en raison du froid. Le risque de pénurie est faible, mais cela signifie que cet été, ces réserves devront être reconstituées plus que d’habitude avec du gaz naturel liquéfié (GNL) provenant des Etats-Unis ou d’ailleurs. Cela fait grimper les prix.
De plus, nous devons faire face à la concurrence de pays comme le Japon et la Chine sur le marché mondial, où la demande augmente également. Les négociants américains de GNL réalisent aujourd’hui d’importants bénéfices. Pendant ce temps, nous payons ici entre 40 et parfois plus de 50 euros par mégawattheure, alors qu’aux Etats-Unis, ce prix oscille actuellement entre 6 et 9 euros.
Cet écart suscite de nombreuses plaintes au sein de l’industrie européenne, qui paie beaucoup plus cher son énergie que ses concurrents américains.
Oui. Le fait est que nous disposons de très peu de sources d’énergie propres en Europe. Pour les énergies fossiles comme le gaz naturel, nous serons toujours dépendants d’autres pays. Certaines entreprises peuvent électrifier leur production, mais cela coûte cher et ne se fait pas immédiatement. Elles ont probablement trop tardé à s’y mettre, justement à cause des prix du gaz naturel bon marché dont nous avons bénéficié jusqu’à la crise énergétique.
Nous payons ici entre 40 et parfois plus de 50 euros par mégawattheure, alors qu’aux Etats-Unis, ce prix oscille actuellement entre 6 et 9 euros.
La Belgique est-elle également affectée par la décision de l’Ukraine de ne plus laisser transiter de gaz russe à partir de cette année?
Les conséquences directes se font surtout sentir dans les pays d’Europe de l’Est, ainsi qu’un peu en Autriche. Mais bien sûr, ces pays doivent désormais aussi chercher des fournisseurs alternatifs, ce qui entraîne une augmentation supplémentaire de la demande globale. Cela contribuera à maintenir le prix du gaz à un niveau élevé encore un certain temps.
A partir de quand pensez-vous que la situation pourrait changer?
L’offre de gaz va considérablement augmenter dans les années à venir, ce qui permettra aux prix du gaz de redescendre. Donald Trump a pris, dès sa première semaine, des décisions pour étendre à nouveau la production de gaz naturel, en réalité du gaz de schiste. Joe Biden avait bloqué deux permis pour des sites où le gaz naturel est converti en GNL, et Trump leur a immédiatement donné le feu vert. Il veut investir encore bien davantage dans l’exportation de gaz naturel liquéfié, ce qui ne fera que stimuler davantage le marché. Par ailleurs, durant la crise énergétique, de nombreuses commandes ont été passées pour de nouveaux méthaniers de GNL. Ceux-ci contribueront également à accroître l’approvisionnement vers l’Europe dans un avenir proche.
L’offre de gaz va considérablement augmenter dans les années à venir, ce qui permettra aux prix du gaz de redescendre.
Les experts avertissent déjà: nous échangeons notre dépendance à Poutine contre une dépendance tout aussi grande à Trump. Ce n’est peut-être pas l’idéal non plus.
L’approvisionnement en GNL ne vient évidemment pas uniquement des Etats-Unis. Un pays comme le Qatar est tout aussi important comme fournisseur. La question est aussi de savoir quelle influence Trump peut réellement avoir sur les prix du gaz: il s’agit de contrats que des entreprises commerciales concluent souvent sur le long terme entre elles. L’influence directe d’un président sur ces accords est généralement assez limitée.
Deviendrons-nous un jour complètement indépendants de la Russie? Mon estimation personnelle est qu’une trêve en Ukraine dans les années à venir pourrait changer beaucoup de choses. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je pense que le gaz naturel redeviendra un élément clé à l’avenir. Je suis certain qu’après un cessez-le-feu, la Russie pourra à nouveau fournir du gaz à l’Europe. La Première ministre italienne Giorgia Meloni y fait déjà allusion, et l’Allemagne ne dira certainement pas non non plus. Ce pays a bâti son industrie sur la disponibilité d’une énergie russe bon marché. On pourrait dire que les Allemands étaient accros au gaz russe, et je ne crois pas que cette dépendance soit déjà derrière eux. L’industrie allemande est à bout de souffle. Dès que du gaz russe bon marché sera de nouveau disponible, les entreprises voudront en profiter.
L’Europe voulait pourtant se passer complètement du gaz russe à partir de 2027. Cela n’arrivera donc jamais?
Nous n’en importerons certainement plus autant qu’avant, c’est certain. La Pologne ne laissera probablement pas passer le gaz, et entre-temps, trois des quatre pipelines Nord Stream ont été sabotés. Mais je ne crois pas que l’Europe souhaite totalement se passer du gaz russe.
D’ailleurs, il existe une astuce que certains pays peuvent utiliser pour prétendre, sur le papier, qu’ils ne dépendent plus du gaz russe: la Russie peut parfaitement vendre son gaz à l’Azerbaïdjan, et l’Europe peut alors payer l’Azerbaïdjan pour cette même livraison. Ainsi, d’un point de vue comptable, aucun paiement n’est effectué directement à la Russie. Mais, en fin de compte, c’est bien du gaz russe qui arrive en Europe. Peut-être que les dirigeants européens pourront ainsi faire croire que nous sommes indépendants de la Russie.
Je ne crois pas que l’Europe souhaite totalement se passer du gaz russe.
Cette renaissance du gaz naturel ne complique-t-elle pas nos efforts pour abandonner les combustibles fossiles?
Certainement, et je ne suis d’ailleurs pas très optimiste pour les dix prochaines années. Rien que l’approvisionnement en GNL est bien plus néfaste pour le climat que le transport par gazoduc, en raison des émissions de méthane qu’il génère.
Les prix de l’électricité suivent ceux du gaz: si le gaz devient moins cher, l’électricité le deviendra probablement aussi. Ce sera une bonne nouvelle pour notre industrie, mais cela rendra les investissements dans la production d’électricité à faible émission de carbone moins attrayants. Cela met en péril la transition verte, il faut être réaliste. Aujourd’hui, nous devons sauver notre industrie, même si cela signifie utiliser temporairement davantage de gaz. Espérons surtout que l’industrie prenne conscience qu’elle doit, à l’avenir, réellement travailler à réduire sa dépendance aux énergies fossiles.
Cette logique s’applique-t-elle aussi aux ménages? Des prix du gaz plus bas rendent moins intéressant, par exemple, l’investissement dans une pompe à chaleur.
Pourtant, les ménages ont un rôle crucial à jouer. Près de la moitié du gaz, et encore plus en hiver, est utilisé pour chauffer les bâtiments. Si beaucoup plus de foyers passaient aux pompes à chaleur, nous aurions besoin de bien moins de gaz, ce qui ferait baisser les prix du gaz et de l’électricité. Ce serait bénéfique à la fois pour le climat et pour notre industrie. C’est mon appel aux responsables politiques: ils doivent miser beaucoup plus sur ces pompes à chaleur, quitte à les subventionner directement.
Autre sujet: le gouvernement De Wever comptera sans doute plus de partisans de l’énergie nucléaire que le gouvernement De Croo. Idéalement, qu’aimeriez-vous voir figurer à ce sujet dans l’accord de gouvernement?
Techniquement, la durée de vie des centrales les plus récentes, et peut-être aussi de Tihange I, pourrait encore être prolongée. Mais tout ce qui sera inscrit à ce sujet dans l’accord de gouvernement aura peu de valeur, car c’est Engie qui devra l’exécuter. Les politiciens feraient donc mieux de négocier avec cette entreprise plutôt qu’entre eux. Engie affirme que ces prolongations ne sont pas possibles, mais c’est du « Engienois » pour dire: cela coûtera très cher à l’Etat.
Il semble pourtant que l’énergie nucléaire connaisse une renaissance en Europe, notamment en France, mais cette impression est-elle trompeuse?
Oui, c’est un peu une illusion. Notre consommation d’électricité reste encore inférieure de six pour cent à son niveau d’avant la crise énergétique et la pandémie. Cela rend les investissements dans de nouvelles capacités de production moins rentables. La Cour des comptes française a déjà déclaré que ce serait une folie financière de construire de nouveaux réacteurs aujourd’hui.
C’est pourtant aussi le rêve de nombreux politiciens belges.
Si le prochain gouvernement veut vraiment construire un nouveau réacteur, j’espère au moins qu’il misera sur une coopération avec les Pays-Bas. Cela n’a aucun sens que chaque pays européen développe sa propre centrale. Mais, en réalité, nous avons déjà un surplus d’électricité en Europe plutôt qu’un manque.
Comment expliquez-vous cela?
En partie parce que l’industrie ne se porte pas bien, mais aussi parce que l’électrification progresse moins vite que prévu. Il y a moins d’installations de pompes à chaleur que ce que l’on anticipait, et les véhicules électriques ne connaissent pas non plus une croissance exponentielle.
Depuis un certain temps, on prévoit également que l’IA entraînera une explosion de la demande en électricité, mais ces projections pourraient finalement s’avérer inexactes. Le modèle chinois DeepSeek montre que les avancées en IA pourraient, au contraire, la rendre moins énergivore que ce que nous pensions initialement. Ce serait évidemment une bonne nouvelle.
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