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Les banques sont critiquées: et si on essayait de les comprendre?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Les banques font l’objet de critiques, passant parfois pour des rapaces. Il convient pourtant d’être nuancé, assurent plusieurs économistes.

Les doléances à l’égard du secteur bancaire sont dans l’air du temps. Les clients belges ont vu le nombre d’agences chuter, passant de 12.751 à 3.590 entre 2000 et 2022. Par la même occasion, toute l’accessibilité au secteur et à son personnel s’est amoindrie. Et si un sujet cristallise le mécontentement, c’est celui de la diminution du nombre de distributeurs de billets.

En mars dernier, le gouvernement fédéral et les quatre locomotives ayant entrepris de mutualiser la gestion des distributeurs (BNP Paribas Fortis, Belfius, ING et KBC) ont conclu un accord autour du projet Batopin, pour répartir les appareils sur le territoire. Un accord insuffisamment contraignant et trop flou, a dénoncé l’asbl Financité. La pétition «Stop à la disparition des distributeurs de billets», lancée début mars de concert avec testachats et l’association flamande Okra, a récolté 29 000 signatures, autant de signes d’un certain mécontentement.

Récemment, la trop faible rémunération de l’épargne a fait couler beaucoup d’encre, mise en lumière par la ruée sur le bon d’Etat de Vincent Van Peteghem (CD&V). L’offre du ministre des Finances était limpide – 2,81% net de rendement à un an – avec, pour objectif, de stimuler la concurrence. Résultat: plus de 600 000 personnes y ont souscrit, pour un total de près de 22 milliards d’euros. Mais, hormis quelques mouvements à la marge, le secteur bancaire n’a jusqu’ici pas réagi de manière très sensible.

Se sucre-t-il sur le dos de ses clients? Il semble, en tout cas, traîner une mauvaise réputation. «Sans doute les banques ne sont-elles pas très populaires, du point de vue de leur image de marque», reconnaît Eric Dor, économiste à l’Iéseg School of Management de Lille. Mais, comme d’autres économistes, il plaide pour une critique nuancée du secteur.

Une part du désamour date de la crise financière de 2008, le souvenir d’institutions ayant joué avec le feu, jusqu’à devoir être sauvées par les pouvoirs publics, leur collant aux basques. «Il y a toujours cette idée d’un sauvetage aux frais du citoyen. En réalité, hormis pour Dexia (NDLR: désormais Belfius), ça ne leur a pas coûté un euro», poursuit Eric Dor.

Il n’est pas irréprochable, mais le secteur a depuis lors balayé devant sa porte, estime Georges Hübner, professeur de finance (HEC Liège), mais aussi membre du conseil d’administration de Belfius: «En matière de liquidités, de solvabilité, de gouvernance ou d’éthique, il a vraiment remis de l’ordre.» «Evidemment, c’est aussi du marketing, mais de réels efforts ont été consentis», abonde Mikael Petitjean (UCLouvain), si bien que la privatisation des profits et la mutualisation des pertes telle qu’elle s’est présentée il y a quinze ans serait inconcevable aujourd’hui.

Finalement, quel est le problème? Paradoxalement, soulèvent les experts, les renforcements de la régulation expliquent en partie le mécontentement ambiant. Pour le formuler en une phrase: un secteur plus sain se doit aussi de prendre moins de risques.

Des banques tenues de diminuer les coûts

Les lendemains de la crise financière ont laissé place à «une baisse frénétique des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne», selon les termes d’Eric Dor, avec une ère de taux négatifs s’étalant de 2014 à juillet 2022. «Durant cette même période, les banques ont beaucoup lutté pour diminuer leurs coûts, encouragées par les régulateurs européens et nationaux.»

Le mode de fonctionnement a changé, chaque activité bancaire se devant désormais d’être rentable. Les clients lambda ne l’ont pas forcément vu venir. «On vient d’une situation où le client se considérait quasi comme l’usager d’un service public. Or, il est devenu un client sur lequel on doit dégager une marge», cette exigence s’étant imposée au personnel. «Pour les banques, chaque élément de la relation avec un client doit être rentable», ce qui ne les a pas rendues plus populaires.

La problématique des distributeurs de billets, si on se place du point de vue des banques, est illustrative. «Ce service rendu par le monde bancaire est très onéreux et ne lui rapporte rien, souligne Georges Hübner. Je comprends tous les arguments, mais évitons des raisonnements trop binaires.» Les banques ont développé «d’autres formes de services de paiement qui se sont substituées au cash» et, face à des besoins de liquide ayant diminué – l’an dernier, 55% des paiements étaient électroniques –, il n’est pas illogique que le secteur ait réduit l’infrastructure. «Si on veut quand même que les banques assurent ce service public, soutient-il, l’Etat doit en donner les moyens aux banques

Pour les banques, chaque élément de la relation avec un client doit être rentable.

Eric Dor

Bien sûr, cette thématique est inextricablement liée à celle de l’inclusion numérique, que Febelfin, la fédération belge du secteur financier, affirme prendre à bras-le-corps. Financité estimait toutefois dans son dernier rapport sur l’inclusion financière (2022) que 2,4 à 2,9 millions de Belges n’ont pas recours à la banque numérique. Cela fait un paquet de gens potentiellement laissés au bord du chemin. Mais une fois de plus, insiste Mikael Petitjean, la nuance est de mise. «C’est un mouvement structurel, qui s’impose à tous les secteurs» et les banques n’y échappent pas. Sans minimiser les désagréments, il faut aussi tenir compte des avantages procurés par la numérisation.

Mi-septembre, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, annonçait porter le taux directeur à 4% pour contenir l'inflation.
Mi-septembre, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, annonçait porter le taux directeur à 4% pour contenir l’inflation. © BELGAIMAGE

Les banques face à la hausse des taux

Ces derniers temps, des raisons plus conjoncturelles ont conduit une partie de la classe politique et nombre d’épargnants à vilipender les banques. Comment justifier une si faible rémunération de l’épargne, au regard de la flambée des taux sur les crédits hypothécaires? Et alors que la Banque centrale européenne (BCE) a relevé son taux d’intérêt de référence de façon spectaculaire à une dizaine de reprises depuis juillet 2022? Voici une semaine encore, elle confirmait sa volonté de contenir l’inflation en portant son taux directeur à 4%, soit 4,5% de plus qu’il y a quatorze mois. C’est inédit. Cette politique monétaire n’a pas conduit le secteur bancaire, dans sa globalité, à revoir ses taux d’épargne à la hausse de façon automatique.

«La remontée des taux est difficile à gérer pour une banque, qui doit composer avec une faible visibilité, commente Mikaël Petitjean. Par rapport aux Etats-Unis, il existe en Europe une culture plus forte de la couverture des risques de taux d’intérêt. Or, les banques prennent des décisions en connaissance de cause. Moi, je ne suis pas directeur financier d’une banque, je ne connais pas tous les paramètres», même si un instantané de la différence entre la rémunération de l’épargne et le taux sur l’emprunt paraît démesuré. «On se met dans les chaussures du déposant, mais il faut aussi pouvoir se mettre dans les chaussures du banquier pour comprendre.»

L’écart entre les taux sur les dépôts et les crédits hypothécaires est «historiquement important et il y a sans doute une marge pour le réduire. Mais les circonstances sont particulières», si bien qu’une institution qui augmenterait significativement la rémunération de l’épargne pourrait tantôt être félicitée, tantôt se faire taper sur les doigts pour une prise de risque inconsidérée.

Les banques ont avancé leurs arguments. Le plus évident à comprendre est le suivant: les taux sur les crédits immobiliers revus à la hausse ne concernent que la production récente, alors qu’une augmentation de la rémunération de l’épargne porte sur l’ensemble de l’encours. C’est d’autant plus «problématique» qu’en Belgique, on emprunte beaucoup à taux fixe: 70% de la production de crédits s’est effectuée de la sorte au cours des treize dernières années. Pendant que les Belges continuent de rembourser leurs emprunts à des taux fixes très favorables, il s’avère compliqué pour les banques d’augmenter la rémunération sur l’énorme masse des épargnants.

Epargne: sortir de l’inertie

Elles n’y voient pas vraiment d’intérêt, en réalité. Il ne s’agit pas d’une entente explicite entre elles, mais d’un état de fait. Elles disposent d’une abondance de liquidités et se font peu concurrence. L’initiative de Vincent Van Peteghem n’a pas changé la donne. C’est tout le paradoxe: le récent bon d’Etat constituait une forme de «soutien à l’absence de prise de risque», là où la prise de risque est censée être rémunératrice. Peut-être aura-t-il toutefois sorti l’épargnant belge de sa grande inertie…

«Le prix des iPhone double mais les gens continuent à en acheter. Pourquoi changer?», illustre Georges Hübner, qui déplore un manque criant d’éducation à la finance au sein de la population. «Je vous assure que si les clients se mettent à aller voir ailleurs, les banques réagiront. C’est très simple, ça peut se faire en quelques clics. Il n’y a même pas besoin de préavis.»

Moyennant un minimum de prise de risque ou en jouant sur la concurrence, les épargnants bénéficieraient de rendements plus avantageux. Mais les Belges sont nombreux à se satisfaire de leur compte d’épargne: c’est la dimension plus irrationnelle du problème, assure Georges Hübner. «Vous pouvez mener un cheval à la rivière, mais non le forcer à boire», glisse-t-il.

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