Elon Musk © Belga

Avec la victoire de la droite, exit la taxe des riches? Pourquoi l’idée pourrait quand même refaire surface

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les résultats électoraux semblent condamner, en Belgique, l’idée d’une taxe des millionnaires. Mais une taxe des milliardaires intéresse désormais les pays du G20.

Cela devient une habitude à l’approche d’un rendez-vous avec les urnes. La taxe des millionnaires a alimenté les débats autour du scrutin du 9 juin. Plusieurs partis, de gauche, en ont fait une priorité et avancé des propositions concrètes visant à imposer (hors résidence principale) le patrimoine des ménages les plus aisés du pays. A partir de différents seuils: un million d’euros pour Ecolo, 1,25 million pour le PS, cinq millions pour le PTB. En mai dernier, l’Ires , l’Institut de recherches économiques et sociales de l’UCLouvain, a estimé qu’un tel impôt rapporterait entre neuf et treize milliards d’euros à l’Etat. Le MR et Les Engagés ne sont pas favorables à un tel impôt. Or, ces deux partis sont les grands gagnants des élections, côté francophone. En Flandre, le premier parti, la N-VA, y est opposé aussi.

Fin mai, 600 responsables d’entreprises belges ont mis leur grain de sel dans le débat en signant une carte blanche pour signifier leur inquiétude face à la facilité avec laquelle «un impôt sur le patrimoine est proposé aujourd’hui comme solution à tous nos défis budgétaires». Ils expliquent que «les entreprises ancrées en Belgique, telles les PME et les entreprises familiales, devront progressivement vendre leurs actions pour contribuer à cet impôt annuel», ajoutant que ceux qui veulent taxer davantage le patrimoine «détruisent l’investissement, l’emploi et la prospérité». La taxe des millionnaires n’a donc pas la moindre chance de voir le jour sous cette législature, avec des partis au pouvoir plutôt proches des chefs d’entreprise. L’idée semble bel et bien enterrée en Belgique.

Ce qui paraissait utopique est devenu matière à réflexion politique au plus haut niveau.

Mais sortez la par la porte, elle rentrera par la fenêtre. Depuis quelques mois, le G20, qui regroupe les pays les plus développés de la planète, s’intéresse à une taxe sur les superriches, à savoir les milliardaires. Début février, à la demande du Brésil qui préside le G20, l’économiste français Gabriel Zucman, connu pour ses travaux sur les paradis fiscaux, est venu présenter aux ministres des Finances du groupe une proposition pour établir un tel impôt mondial. C’est la première fois que le sujet était abordé au sein de cet important forum. Ce qui a fait dire à des ONG comme Oxfam ou Tax Justice Network, qui militent depuis des années pour un impôt sur la fortune, qu’un plafond de verre était enfin brisé et que ce qui paraissait utopique est devenu matière à réflexion politique au plus haut niveau.

3.000

milliardaires sont recensés dans le monde, dont 500 en Europe.

Faillite de l’impôt

La plupart des ministres des Finances du G20 ont félicité le Brésil d’avoir rompu le tabou. Même The Financial Times, qu’on peut difficilement suspecter d’être marxiste, a recommandé dans ses colonnes, après le speech de Zucman, que soit établi un tel impôt sur la fortune (ISF). La proposition de ce dernier prône un prélèvement annuel de 2% de la richesse des quelque 3.000 milliardaires que compte le globe. Cela rapporterait 220 milliards d’euros à l’échelle mondiale et 40 milliards à l’échelon européen où l’on dénombre environ 500 milliardaires. Le dernier rapport d’Oxfam France, publié en janvier dernier, plaide en faveur d’une telle mesure, d’autant que, selon les calculs de l’ONG, depuis 2020, la fortune des milliardaires a augmenté de 34% sur l’ensemble de la planète, soit trois fois plus que l’inflation. Ce n’est pas Elon Musk, avec sa mégarémunération de plus de 50 milliards de dollars, qui démentira.

En outre, il y a un an, l’Institut français des politiques publiques a démontré, en s’appuyant sur des données de l’administration fiscale, que les 75 foyers les plus riches de France –quasi tous des milliardaires– paient à peine 26% d’impôt, soit près de deux fois moins que le reste du 0,1% des plus aisés de la population. Cela s’explique par le fait que les revenus imposables de ces très grosses fortunes se doublent de revenus économiques: il s’agit de bénéfices des sociétés qu’elles contrôlent, lesquels ne sont pas distribués sous formes de dividende taxable mais logés dans des entités situées à l’étranger. Cette étude a eu un retentissement au-delà des frontières de l’Hexagone. L’Observatoire européen de la fiscalité a fait le même constat, dans son dernier rapport mondial sur l’évasion fiscale, en pointant une quasi faillite de l’impôt sur le revenu au sommet de la pyramide des richesses.

Le principe… et sa mise en œuvre

Gabriel Zucman, qui dirige cet observatoire, est à nouveau attendu, le 25 juin, par le G20 qui lui a commandé un rapport technique détaillant les modalités pratiques d’un tel ISF mondial. On sait qu’il sera moins difficile de s’accorder sur le principe d’une telle fiscalité que sur sa mise en œuvre. Pour la précédente taxe avalisée par le G20, en 2021, l’exercice paraissait aussi a priori impossible. Il y a cinq ans, personne n’aurait parié un kopeck sur la faisabilité de l’impôt mondial des société, de 15% minimum sur les bénéfices des multinationales quel que soit le lieu où elles les déclarent. Pourtant, celui-ci est entré en vigueur le 1er janvier dernier, sans heurts ni fracas, dans l’UE et dix autres pays. Pour Zucman, si tous ces Etats sont parvenus à se mettre d’accord sur cet impôt, la même logique peut s’appliquer à la question des très grandes fortunes.

Certains experts soulignent toutefois que le casse-tête sera plus ardu avec les milliardaires qu’avec les multinationales parce que, si pratiquement tous les Etats ont un impôt des sociétés, très rares sont ceux qui ont un ISF. La démarche s’avèrerait dès lors plus complexe. L’Observatoire européen de la fiscalité indique, pour sa part, que cette taxe sur les milliardaires serait assez simple à prélever, compte tenu du faible nombre de contribuables concernés et de la grande visibilité de leur richesse, souvent constituée de titres de sociétés cotées en Bourse.

Au sein du G20, la Belgique soutient l’initiative brésilienne, à l’instar de la France, de l’Espagne ou de l’Afrique du Sud. Si la taxe des millionnaires semble condamnée chez nous, celle des milliardaires pourrait voir le jour mondialement. Cela ne risque cependant pas d’aboutir rapidement. Mais la dynamique enclenchée par le Brésil est bien réelle. Ne parions pas de kopecks sur son insuccès futur.

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