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Un accord budgétaire qui satisfait aux demandes de l’Europe devient urgent. Mais il passera par un accord de gouvernement…

La Belgique s’auto-infligera 6 milliards de pénalité, sans budget fort: «Il faut retrouver le sens de l’urgence politique»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La présentation d’un plan budgétaire pluriannuel presse. Si la Belgique ne respecte pas les conditions européennes, les conséquences se paieront au prix fort. Deux experts appellent «au sens de l’urgence» politique. «Economiser 6 milliards sans effet sur la population? Oubliez!».

Un gouvernement d’ici fin janvier? Du 50-50, de l’aveu du formateur fédéral Bart De Wever (N-VA). Selon le nationaliste flamand, l’Arizona recèle des «centaines de mines cachées» à chaque question économico-sociale ou presque. Pas de fumée blanche immédiate en vue, donc, alors que la deadline de la Commission européenne pour présenter un budget approche à grands pas – le 30 avril. Sauf miracle, la Belgique sera en retard. Elle le sait et a anticipé en demandant une (seconde) prolongation à la Commission européenne, via son nouveau représentant permanent à l’UE, Peter Moors.

Budget: la dernière limite approche

Le cercle est vicieux, et la pression est désormais maximale sur les épaules des négociateurs. Pas d’un point de vue purement politique «nous pouvons prolonger cette période jusqu’en mai sans que notre pays ne se retrouve en difficulté», assure De Wever. Mais l’urgence liée au budget, singulièrement, pourrait se transformer en accélérateur de particules pour forcer un accord.

Un peu de contexte. Le nouveau cadre budgétaire européen contraint les pays membres à présenter non seulement un budget pour cette année 2025, mais aussi et surtout un plan de redressement budgétaire sur plusieurs années. Ce dernier propose deux périodes d’adaptation, de 4 ans ou 7 ans. La période de 7 ans est plus légère que la période de 4 ans qui, elle, demande un effort budgétaire plus concentré dans le temps. Alors que la période de 7 ans permet de planifier des «affaires de récupération».

Selon la loi européenne budgétaire, la Belgique aurait dû présenter son plan 2025 le 15 octobre dernier. En l’absence de gouvernement, ce délai n’a pas été respecté. En conséquence, la Belgique est désormais passée sous un régime budgétaire exceptionnel, qui comprend les fameux douzièmes provisoires. Il a été voté par le parlement, ce qui clos, quelque part, le dossier pour l’année 2025.

En revanche, ce régime exceptionnel impliquait que la Belgique présente en contrepartie son plan d’ajustement avant le 1er janvier 2025. Condition qui n’a une nouvelle fois pas été respectée. L’Europe laisse à la Belgique jusqu’au 30 avril comme dernière limite pour présenter son plan budgétaire pluriannuel. Mais l’Arizona et son formateur Bart De Wever souhaitent un accord de principe pour le 31 janvier. Car, d’ici avril, le budget et le plan d’économies doivent avoir été approuvés par le Parlement et incorporés dans la loi, ce qui prend, là aussi, du temps.

Budget: pour avoir droit aux 7 ans, la Belgique doit prouver son engagement à l’Europe

La Belgique joue gros, très gros. Et aussi (un peu trop) avec le feu. L’équation est la suivante: selon les calculs de Wim Moesen, professeur de finances publiques (KU Leuven) et expert budgétaire, «une pénalisation budgétaire de 6 milliards d’euros se fera ressentir entre une période de 4 ans ou de 7 ans.» Autrement dit, si la période de 7 ans demande un assainissement budgétaire, elle est largement moins pénible que le schéma initial de 4 ans. «Depuis fin 2024, cette idée s’est enfin répandue dans la tête des décideurs budgétaires. C’est dans l’air, désormais: il faut foncer», exhorte-t-il.  

Une pénalisation budgétaire de 6 milliards d’euros existe entre la période de 4 ans et de 7 ans.

Wim Moesen (KU Leuven)

Si la Belgique veut obtenir ce schéma moins contraignant de 7 ans, «elle doit toutefois le mériter, et convaincre l’Europe de le lui octroyer», dit Wim Moesen. Pour ce faire, elle doit assurer la mise en place de mesures structurelles dans trois domaines précis: le coût de vieillissement (retraites, soins médicaux, maisons de repos), le marché du travail (4% de chômage maximum dans la population active), et la fiscalité (la nécessité d’une réforme profonde). Sans ces trois conditions inscrites dans le budget belge, l’Europe n’autorisera théoriquement pas de plan sur 7 ans… et la Belgique en paiera le prix, devant alors se plier aux exigences européennes sur 4 ans. Ce serait là un fameux obstacle, d’autant plus que les supernotas de Bart De Wever sont toutes construites selon ce schéma de 7 ans. Sans accord d’ici fin janvier, tout serait donc à refaire, en plus complexe et coûteux.

La Belgique a donc tout intérêt à obtenir ce schéma plus long. «Les négociateurs doivent retrouver de la rationalité, appelle Wim Moesen. Faire bloquer un accord pour des petites mesures de principe pourrait au final coûter 6 milliards.» Par exemple: la question de l’impôt sur les plus-values, longtemps source de blocage dans l’Arizona, procurerait un revenu à l’Etat de moins de 200 millions d’euros, calcule l’expert. «En comparaison avec une pénalisation de 6 milliards d’euros, le jeu politique en vaut-il la chandelle? Espérons que les décideurs comprennent ce message.» 

Déficit: la Belgique sous surveillance accrue

Pour l’économiste Rudy Aernoudt (UGent), la Commission européenne est forcée de tenir compte de l’absence actuelle de gouvernement. «Plus que la deadline en tant que telle, le plus préoccupant réside dans le fait que les objectifs imposés par l’Europe ne sont pas atteints, souligne-t-il. Particulièrement au niveau du déficit

Si rien ne change, la Belgique pointerait en effet à 180% de dettes sur le PIB en 2050. «Soit, en clair, la faillite du pays. Il faut donc impérativement un plan de réforme qui vise un budget à l’équilibre. En 2028, les calculs montrent que la Belgique aurait le pire déficit de l’Europe. On est sous surveillance accrue.»

«On ne peut plus fermer les yeux» face aux alarmes de l’Europe

L’Europe regarde aussi le problème belge d’un point de vue monétaire. «Sans l’euro, imaginez ce qui se passerait avec le franc belge. Il serait totalement dévalué», remarque Rudy Aernoudt.

Le défi budgétaire belge est si large que le réaliser sur 4 ans serait presque dévastateur. «Vu l’état budgétaire alarmant, les négociateurs devraient se concentrer presqu’exclusivement sur les dépenses. Chaque année, la Commission ne cesse de répéter ses exigences envers la Belgique réformer le marché du travail et la fiscalité , on ne peut plus fermer les yeux.»

Plus l’Europe sera flexible sur la deadline, moins elle le sera sur les objectifs à atteindre.

Rudy Aernoudt (UGent)

L’Europe a en effet placé la Belgique sur le banc des sanctions fiscales, avec une procédure de déficit excessif, en raison d’un trou budgétaire de 28 milliards d’euros. Réaliser ce plan de redressement en 4 ans serait presque fatal. «6 milliards, sur un budget de 150 milliards annuels, c’est énorme: on parlerait alors d’un effort de 4%», calcule Rudy Aernoudt.

Comment ferait-on ces économies? «Soit on augmente encore les impôts mais ils sont déjà les plus élevés d’Europe , soit on regarde les dépenses des pensions, des fonctionnaires, de la sécurité sociale. Ce sont des domaines qui touchent directement les gens. Mais épargner 6 milliards sans que la population n’en ressente les effets? Oubliez!».

Plus de temps, mais des objectifs plus stricts

In fine, oui, la Commission européenne va comprendre le besoin de temps belge pour former une coalition. Elle n’a pas vraiment le choix, en réalité. «Mais plus elle sera flexible sur la deadline, moins elle le sera sur les objectifs à atteindre, relève Rudy Aerndout. Elle ne fera plus de cadeaux, ce qui est normal. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre le sourire de la crémière. Ce qui manque en Belgique, c’est le sens de l’urgence. Si on est responsable, on ne se chamaille pas sur des détails alors qu’on sait le pays fonce droit vers le mur.»

Ce qui manque en Belgique, c’est le sens de l’urgence.

Rudy Aerndout (UGent)

Selon De Tijd , la lettre de Peter Moors ne contient pas de date de fin formelle, mais la Belgique pourrait «dans un avenir proche» présenter un plan «fondé sur un engagement politique fort du nouveau gouvernement fédéral».

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