BCE
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La baisse des taux de la BCE est un tournant: l’immobilier respire, l’épargne grimace, la croissance hésite

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La décision de la BCE de baisser ses taux directeurs pour la première fois depuis 2019 marque un nouveau chapitre. Avec un taux d’inflation à 2% dans le viseur. Comment cette diminution peut-elle impacter l’économie du quotidien?

La BCE a tranché: en baissant ses taux directeurs pour la première fois depuis cinq ans (!), l’institution prend un virage clair, même si attendu depuis des mois. La diminution est minime (-25 points de base), mais elle dit déjà beaucoup de la tendance actuelle. Avec, en ligne de mire, l’objectif de retrouver une inflation à 2% en 2025. Comment expliquer cette décision, et à qui peut-elle profiter (ou non)?

1. La BCE baisse ses taux: bonne décision?

Sans surprise, la décision de la BCE de baisser ses taux à 3,75% n’a pas créé de remous. Elle était plus qu’annoncée et n’a pas eu d’impact majeur sur les marchés financiers, qui l’avaient déjà intégrée à leurs modèles. «La BCE a pris la bonne décision, juge l’économiste Eric Dor (IÉSEG School). Dans la zone euro, l’inflation est tendanciellement en baisse. Un scénario de convergence vers les 2% se dessine. En revanche, des chocs géopolitiques ou des surprises sur les salaires peuvent toujours amener la Banque centrale à revoir sa position.»

Pour Bernard Delbecque, spécialiste de la politique monétaire (UCLouvain) et directeur de la recherche à l’EFAMA, la maîtrise de l’inflation reste incertaine. «La question est de savoir si l’inflation va continuer à baisser pour rejoindre l’objectif des 2%. Ceci étant, il faut tenir compte des effets potentiellement négatifs des taux d’intérêt élevés sur la croissance.»

2. L’impact sur le marché immobilier

Le premier bénéficiaire de cette légère baisse des taux directeurs est sans nul doute le marché immobilier. La décision pourrait permettre aux futurs acheteurs de contracter des crédits à des taux plus abordables, même si la seule baisse de 0,25% n’est pas extraordinaire. «La politique monétaire étant graduelle par tradition, cette tendance va se poursuivre dans les prochains mois, mais on ignore à quel rythme», prédit Bernard Delbecque.

«C’est pour le marché immobilier que la baisse des taux est la mieux accueillie.»

Eric Dor

Economiste (IÉSEG School)

Un tournant a donc clairement été pris, même si certains observateurs redoutent une situation où un rebond de l’inflation pousserait la Banque centrale à revenir sur sa décision. Pour l’économiste, cette hypothèse est toutefois peu probable. «Il fallait commencer à baisser graduellement les taux d’intérêt au vu du bon travail qui a été réalisé sur l’inflation. Cela donne un peu d’oxygène au secteur immobilier.»

Eric Dor abonde. «C’est pour le marché immobilier que la baisse des taux est la mieux accueillie. Des taux élevés nuisent aux intérêts des jeunes ménages qui veulent accéder à la propriété. Ces derniers ont d’ailleurs subi une double peine: ils ont à la fois hérité de prix gonflés par des années de taux bas, et ensuite de mensualités de prêts beaucoup plus élevées.»

3. L’impact sur l’épargne

A l’inverse du marché immobilier, l’épargne pourrait subir les conséquences de cette décision de la BCE. Extrêmement réticentes à augmenter leurs taux d’intérêt, les banques privées ne devraient pas laisser passer l’occasion de suivre la tendance à la baisse. «C’est une possibilité, même s’il ne faut pas s’attendre à des changements radicaux. On a pris un virage, mais pas à angle droit», illustre Bernard Delbecque.

Pour Eric Dor, il fait peu de doutes que les banques grefferont leur politique sur cette décision. «Il ne faut plus se faire beaucoup d’illusions quant à une amélioration du taux des dépôts d’épargne. La surenchère des banques pour attirer l’argent du bon d’Etat, via les bons de caisse ou les comptes à terme, sont surtout des coups temporaires sur des produits spécifiques. Structurellement, la donne ne change pas.»

4. L’euro déprécié face au dollar après la baisse des taux de la BCE?

La BCE est la première banque centrale à baisser ses taux. La Fed et la Banque d’Angleterre n’ont pas encore suivi le mouvement. «On ne sait pas si c’est un signe de courage, mais la BCE montre en tout cas une direction. A court terme, l’institution européenne pouvait se le permettre, sans devoir nécessairement se calquer sur les Etats-Unis. Des éléments de coordination entre banques centrales pourraient cependant intervenir pour éviter des effets sur les taux de change», estime Bernard Delbecque.

Pour Eric Dor, le fait que la BCE soit la première banque centrale à aller dans ce sens risque de faire déprécier l’euro par rapport au dollar. «Autrement dit, cela renchérit le prix en euro de tout ce qu’on achète en dollar. Mais comme les deux-tiers du commerce des pays de la zone euro est interne, les effets devraient être contrôlables. La BCE ne les craint en tout cas pas.»

5. L’impact sur la croissance

La zone euro a longtemps souffert d’un déficit de croissance. La politique monétaire peut contribuer à relever la barre. Mais, dans le contexte actuel, d’autres facteurs influencent fortement la situation économique: la guerre en Ukraine, les élections aux USA, ou les élections européennes, pour ne citer qu’elles. «Il ne faut donc pas penser que cette décision va fondamentalement changer la donne. C’est un premier pas qui peut marquer la volonté de la BCE de vouloir minimiser les effets négatifs des intérêts élevés sur la croissance. Mais c’est plus un art qu’une science exacte», relève Bernard Delbecque.

C’est un premier pas qui peut marquer la volonté de la BCE de vouloir minimiser les effets négatifs des intérêts élevés sur la croissance. Mais c’est plus un art qu’une science exacte.

Bernard Delbecque

Economiste (UCLouvain)

Par ailleurs, le débat futur sera aussi de déterminer si l’exigence est toujours de plafonner l’inflation à 2%. «On peut se demander si cet objectif reste pertinent aujourd’hui compte tenu de l’évolution démographique et des tensions sur le marché du travail. Faudrait-il accepter que le taux moyen d’inflation soit plus proche des 3%?», s’interroge le professeur de l’UCLouvain.

6. Des nouvelles baisses en septembre et décembre?

Il est peu probable que la BCE baisse à nouveau ses taux en juillet ou en août. Pour l’économiste Eric Dor, miser sur une nouvelle diminution de 0,25% en septembre puis en décembre est envisageable. Le taux directeur afficherait alors 3,25%. «La BCE est claire: on ne reviendra plus à des taux 0. Après dix hausses successives entre juillet 2022 et juillet 2023 (NDLR : +4,5% au total), on devrait retourner vers un taux dit ‘neutre’, à savoir entre 2 et 2,5% à l’horizon 2025.»

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