Bruno Colmant, économiste, professeur à l'ULB et specialiste de la dette publique. © belga

Inquiétantes, les critiques du FMI envers la Belgique ? L’avis de Bruno Colmant

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le FMI met la pression sur la Belgique. L’institution internationale recommande de réaliser des économies correspondant à 0,8% du PIB et de revoir l’indexation automatique des salaires. Pour l’économiste Bruno Colmant (ULB), il ne faut pas toucher à ce dernier système, qui est « le mur mitoyen de la concertation sociale belge. » Pour l’expert, la clé du problème réside plutôt dans la réforme des pensions. Il rassure, toutefois. « La Belgique n’est pas en situation périlleuse, grâce à la richesse de son épargne. »

Durant les crises sanitaire et énergétique, les autorités belges ont puisé dans leurs réserves. Un peu trop, pour le Fonds Monétaire International (FMI), qui a ouvertement pointé la Belgique du doigt, mercredi. Il y a un mois, c’est la Commission européenne qui critiquait également la Belgique pour son bilan budgétaire, lui reprochant notamment de ne pas avoir suffisamment ciblé ses aides énergétiques.

Des dépenses qui vont accentuer le déficit budgétaire en 2023, selon le FMI. Pour l’institution internationale, le Royaume doit se serrer la ceinture sans plus tarder. Elle formule deux principales recommandations : réaliser des économies à hauteur de 0,8% du PIB l’an prochain, et revoir le système d’indexation automatique des salaires.

Des objectifs atteignables ? Oui, pour l’économiste Bruno Colmant (ULB). « Par rapport aux 31 milliards de déficit prévus, 0,8% du PIB représente un montant assez faible, il pourra être trouvé. Ce que le FMI met surtout en évidence, c’est l’absence de réforme de notre gouvernement. Le message fondamental est donc qu’il y a une réforme du marché de travail, des pensions et de la fiscalité qui doit être faite. Là-dessus, rien n’a avancé récemment. »

Ce que le FMI met surtout en évidence, c’est l’absence de réforme de notre gouvernement.

BRUNO COLMANT

Pour l’économiste et professeur à l’ULB, c’est surtout la réforme des pensions, en particulier, qui sera importante. « Elle est décisive. Elle avait été bien formulée par Karine Lalieux, je trouve. En ce qui concerne la réforme fiscale, c’est vrai qu’on peut trouver des aménagements, mais elle demande une telle réflexion que se précipiter ferait prendre des mauvaises décisions. Structurellement, c’est donc plutôt la réforme des pensions qui doit être envisagée. C’est la clé », dit-il.

Le FMI estime que des efforts peuvent être engrangés dans les dépenses publiques. Cela sous-entend-t-il que l’Etat belge n’a pas suffisamment ciblé ses aides de soutien aux familles et aux entreprises ? « Oui, les aides ont été maximées, c’est vrai, reconnaît Bruno Colmant. Mais dans l’urgence, il aurait été difficile de faire autrement. La leçon à tirer pour le futur, c’est qu’il faut avoir des chiffres beaucoup plus fins, granulaires. C’est-à-dire savoir précisément quelles sont les dépenses énergétiques par ménage, pour voir si on doit fiscaliser les dépenses énergétiques. Donc, faire un travail statistique sur base des revenus imposables. On a vu que c’était inabouti, c’est maintenant qu’il faut préparer l’avenir. »

D’un point de vue statistique, la Belgique est « hyper mal équipée, pointe l’économiste. C’est dû à un manque d’effort politique d’une part, mais il y a aussi une volonté d’éviter d’ostraciser des populations. Il faut déjà jongler entre la partie néerlandophone et francophone. Quelque part, il y a une volonté de vivre dans le flou statistique et dans l’inefficacité plutôt que d’aller heurter certaines sensibilités », analyse-t-il.

La Belgique est un pays qui est pauvre de l’Etat, mais qui a un taux d’épargne extrêmement important.

Bruno colmant

Pour le FMI, une nouvelle crise pourrait plonger la Belgique dans une situation précaire. Ce n’est pas l’avis de Bruno Colmant, qui évoque des arguments rassurants. « Je ne crois pas que la Belgique soit en situation périlleuse. On a un endettement public qui reste raisonnable. Et surtout, le pays est extrêmement riche, dans le sens où il possède des centaines de milliards d’épargne chez les particuliers et les entreprises. Si l’Etat belge avait un problème de financement, il pourrait emprunter auprès de ses propres banques. »

Le FMI est-il trop pessimiste ? « Le FMI doit être alarmiste, c’est son rôle, admet Bruno Colmant. On est un pays dont l’Etat est pauvre, mais qui a un taux d’épargne extrêmement important. Donc, si on avait un problème de financement, les banques seraient d’une grande utilité pour prêter à l’Etat. Je ne pense pas que structurellement, il y ait un danger. Je ne l’ai d’ailleurs jamais cru », rassure-t-il.

L’autre grande recommandation du Fonds Monétaire International est de revoir le système d’indexation des salaires, propre à la Belgique. Une mauvaise idée, selon Bruno Colmant. « L’indexation automatique des salaires est le mur mitoyen de la concertation sociale en Belgique. Tous les deux ans, l’accord interprofessionnel détermine le niveau d’augmentation des salaires hors inflation. Mais cela reste une concertation. Pour la compenser, il y a cette automaticité qui est mise en place. Elle permet d’éviter les conflits sociaux. Le système n’est donc pas parfait, il coûte cher, mais il crée un certain apaisement social au sein des structures de l’Etat belge. »

Dans son argumentaire, l’institution financière explique que l’indexation automatique fait porter trop de charges aux employeurs, ce qui pourrait diminuer, à terme, la concurrence des entreprises belges. « Ils ont raison, acquiesce Bruno Colmant. Mais cela ne veut pas pour autant dire que l’indexation doit être diminuée. On peut repenser l’indexation autrement en la limitant aux seuls salaires, par exemple, car il n’y a pas de raisons que les gens très riches en bénéficient. Alors que les indépendants n’en bénéficient pas. Il y a donc des inégalités qui pourraient être revues. Mais il faut envisager cette révision avec beaucoup de doigté et surtout pas dans la précipitation. Si on a l’impression d’être poussé dans le dos par le FMI, cela va créer un rejet politique », prédit-il.

L’indexation automatique des salaires est le mur mitoyen de la concertation sociale en Belgique. Elle permet d’éviter les conflits sociaux.

BRUNO COLMANt

En substance, le FMI plaide pour exclure de l’indice santé, -qui sert de base à l’indexation automatique des salaires- les prix de l’énergie particulièrement volatils, comme l’essence et le diesel. « L’idée serait d’exclure aussi d’autres sources d’énergie dont les prix peuvent tantôt fortement augmenter, tantôt fortement baisser, comme le gaz naturel, l’électricité et le pétrole », explique l’institution.

Bruno Colmant n’adhère pas. « Le tabac, l’alcool et les frais de carburant sont déjà exclus de l’indice santé. Si on enlevait en plus les frais de chauffage et autres, l’index perdrait alors tout sa signification. Ce serait une très mauvaise idée. » Il ajoute : « Plus je regarde cet indice des prix et l’indexation, plus je trouve que c’est un système qui a le mérite d’être stable, sans toutefois être parfait. » 

Le gouvernement a déjà réagi aux recommandations du FMI. « Le FMI souligne plusieurs décisions importantes prises par le gouvernement au cours de l’année écoulée, comme la réponse forte et rapide à la crise énergétique et la décision du gouvernement de respecter la norme salariale », a réagi Alexander De Croo. « Mais de toute évidence, le travail n’est pas achevé, reconnaît-il. Le rapport du FMI est donc un encouragement à poursuivre sur cette voie, pour que notre pays sorte renforcé de cette cascade de crises. Nous l’avons montré lors de la crise du coronavirus en étant l’un des premiers pays à renouer avec la croissance. Nous allons le prouver une nouvelle fois. »

Pour Alexander De Croo, le FMI reconnait aussi que la Belgique fournit d’importants efforts pour renforcer son indépendance énergétique et « que le gouvernement belge fait le bon choix en instaurant un système d’accises indépendamment de la TVA sur l’énergie« . Ce point a fait l’objet d’âpres débats lors des discussions budgétaires à la Chambre.

Le gouvernement prévoit de réaliser un contrôle budgétaire au mois de mars 2023. « Ils vont se donner trois ou quatre mois pour prendre quelques mesures », conclut Bruno Colmant.  

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