Faut-il taxer les loyers? « La fiscalité immobilière fédérale est légère, mais les taxes régionales plombent le tout »
Taxer les loyers réels? Pourquoi pas puisque le système du revenu cadastral est dépassé. Cela collerait mieux à la réalité, selon François Parisis, juriste patrimonialiste, mais risquerait d’ébranler un édifice déjà fragile auquel le politique ne touchera pas.
En 2013, vous étiez entendu au Parlement sur le sujet de la taxation du patrimoine. Vous disiez que les loyers étaient fort peu taxés? Est-ce toujours vrai?
Il faut nuancer. C’est vrai qu’à l’échelon fédéral, la fiscalité sur les revenus immobiliers est relativement légère. On le sait, le régime du revenu cadastral est désuet. Depuis sa création au début des années 1970, il n’y a jamais eu de péréquation comme c’était prévu tous les dix ans. Les données cadastrales sont donc historiques. Elles ne correspondent plus à la réalité. Un immeuble situé à Anderlecht peut avoir un revenu cadastral bien plus élevé qu’une villa à Lasne, alors que la cote des quartiers où les deux sont situés a bien évolué depuis un demi-siècle. A partir de 1991, on a certes imposé une indexation à ce système, mais ce n’est guère suffisant. On pourrait changer les règles, mais plusieurs partis ne le veulent pas et, surtout, l’administration rechigne.
Je crois que le ministre des Finances pèche par excès d’optimisme en pensant pouvoir changer ce qui est en place depuis les années 1970.
Pour quelle raison?
Si on taxait les loyers réels, il faudrait logiquement autoriser les propriétaires à déduire les charges réelles liées à la gestion de leurs biens. Une multitude de choses pourraient être déductibles. Or, les fonctionnaires sont naturellement « paresseux ». Aux Finances, ils veulent éviter de devoir contrôler ces charges imputées sur le revenu immobilier comme ils le font déjà pour les revenus professionnels. C’est un travail colossal et très chronophage. Le fisc ne veut pas avoir la charge de nouveaux contrôles de cette importance, a fortiori lorsque le nombre de ses agents diminue d’année en année.
Mais il existe d’autres pistes que les charges réelles…
Une autre solution serait la déduction forfaitaire des charges. On considérerait que celles-ci représentent, par exemple, 40 ou 50% du loyer qui serait alors taxé sur 60 ou 50% de son montant. Ce serait finalement un système assez proche du revenu cadastral mais qui collerait beaucoup mieux à la réalité. En revanche, l’alternative du forfait ne pousserait pas les propriétaires à rénover le parc immobilier qui en a bien besoin, en particulier à Bruxelles, vu qu’ils paieraient d’office les mêmes charges, qu’ils le fassent ou non. Même si cela collerait mieux à la réalité, je ne suis pas un chaud partisan de la taxation des loyers réels car, si on prend la fiscalité immobilière dans ensemble, soit au-delà de l’échelon fédéral, cela augmenterait la pression fiscale globale. N’oublions pas qu’à l’échelle régionale, les taxes prévues lors de l’acquisition d’un bien immobilier sont très lourdes. En particulier les droits d’enregistrement. Les taux wallons et bruxellois font partie des plus élevés d’Europe.
Ne pourrait-on pas revoir la fiscalité immobilière dans son ensemble?
Oui, mais, pour cela, il faudrait l’accord des Régions. Pensez-vous que la Région wallonne aurait les moyens de réduire les droits d’enregistrement de 12,5 à 8%, par exemple? Je ne crois pas, surtout après la pandémie durant laquelle beaucoup d’argent public a été dépensé. C’est justement parce qu’elles impliquent différents niveaux de pouvoir que les réformes fiscales n’avancent pas dans notre pays. Si les Flamands peuvent se permettre de faire des cadeaux au fédéral, ce n’est pas le cas des Wallons et des Bruxellois.
Les loyers réels sont taxés partout en Europe. L’exception belge est-elle justifiée?
Jusqu’à nouvel ordre, chaque Etat fait ce qu’il veut avec sa fiscalité. En outre, la Belgique est un petit pays attractif pour les détenteurs de patrimoine, puisque nous ne sommes pas non plus taxés sur les plus-values boursières. Pour se distinguer des grands pays, les petits se doivent de conserver des niches fiscales. Ils savent qu’en les rognant, ils auraient plus à perdre qu’à gagner. En Belgique, une telle taxe irait à l’encontre de la culture bien connue de « la brique dans le ventre ». Si les autorités publiques ont incité les Belges à devenir propriétaires, c’est aussi pour ne pas devoir construire trop de logements sociaux, qui coûtent très chers à l’Etat. Les propriétaires privés ont donc été privilégiés pour louer leur bien à ceux qui n’ont pas les moyens d’en acheter.
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Mais la hausse des prix de l’immobilier ne rend-elle pas ce scénario caduc?
C’est vrai qu’on arrive à la limite du système. Les prix de l’immobilier ont grimpé en Belgique, notamment parce que le secteur de la construction ne suit pas la demande mais aussi à cause de la DLU (NDLR: déclaration libératoire unique) de Didier Reynders, en 2004, qui a vu les amnistiés fiscaux investir l’argent qu’ils avaient régularisé dans la brique.
Vous ne croyez donc pas à la réforme de la fiscalité immobilière?
Non, et pour une autre raison encore: bon nombre de retraités utilisent le placement immobilier comme un complément à la pension légale dont le niveau belge est, on le sait, très bas par rapport au reste de l’Union européenne. Si le gouvernement change les règles en matière de loyers, il déséquilibrera tout un édifice. Et les personnes âgées, de plus en plus nombreuses, sont des électeurs que les politiques ont l’habitude de choyer. On a vu durant la pandémie à quel point leur sort était privilégié par les règles sanitaires adoptées par le gouvernement. Par ailleurs, si réforme il y a, elle est annoncée pour la prochaine législature. Pas sûr que la majorité suivante voudra suivre la même politique. Je crois que le ministre des Finances pèche par excès d’optimisme en pensant pouvoir changer ce qui est en place depuis les années 1970. Il ne pourra pas mener un tel chantier. On a toujours changé la fiscalité par très petites touches en Belgique, en prenant soin d’éviter l’effet domino. Je ne pense pas qu’il en sera autrement à l’avenir, surtout si la Belgique veut garder son attractivité au sein de l’Europe.
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