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«Faire offre à partir de»: quand les agents immobiliers vont trop loin
![Christophe Leroy](https://img.static-rmg.be/a/view/q75/w150/h100/5893975/940a6627-jpg.jpg)
Monopole des notaires pour tout achat immobilier, les enchères se sont frayé une place tolérée dans le privé avec la formule «faire offre à partir de». Mais certains agents se soucient bien peu des règles.
«Si la maison vous intéresse, sachez que j’ai déjà reçu une offre à 351.000 euros. Il y a encore des visites dans trois jours.» Etonnante tactique commerciale que celle de cet agent immobilier, travaillant pour une société bien connue en Wallonie. Ce n’était pas une confidence maladroite. Par deux fois, l’agent a glissé à Jonathan (1) le montant d’une offre reçue, alors qu’il s’apprêtait à en remettre une: en face-à-face, au terme de la visite, puis par téléphone, le lendemain. A supposer que l’offre en question existe vraiment, une telle manœuvre donne systématiquement l’avantage au dernier candidat-acquéreur venu, informé du plus haut montant à battre. Cette spirale d’enchères, poussant au maximum les curseurs de la formule «faire offre à partir de», permet évidemment au vendeur du bien (le commettant) d’obtenir le meilleur prix et à l’agent, la plus lucrative commission. Mais pour la déontologie, voire même la légalité de la démarche, on repassera.
«Dévoiler le montant des offres reçues s’apparente à des enchères, strictement réservées au domaine notarial.»
Annabelle Collard
Chargée de cours en déontologie de l’immobilier à la Haute Ecole Charlemagne.
En effet, «un agent immobilier ne peut agir de la sorte, affirme Annabelle Collard, qui enseigne la déontologie de l’immobilier à la Haute Ecole Charlemagne (HECH). Cette pratique s’apparente à des enchères, strictement réservées au domaine notarial, c’est-à-dire aux ventes publiques.» Ces dernières présentent trois caractéristiques, émanant d’un arrêt du 9 juin 2016 de la Cour de cassation, expose Thibaud Lodewyckx, juriste à l’Institut des professionnels de l’immobilier (IPI). «D’abord, le public doit être réuni physiquement ou virtuellement. Ensuite, chacun doit avoir connaissance des offres émises, mais pas de l’identité des offrants. Enfin, il est acquis dès le départ que le notaire adjugera le bien au plus offrant.» Comme l’explique Renaud Grégoire, porte-parole de la Fédération des notaires (Fednot), «le but est de s’assurer que tous les acquéreurs soient logés à la même enseigne, dans la logique d’un cahier des charges.»
Les agences immobilières, elles, ont recours à deux types de procédure pour vendre un bien. La première, la plus classique, consiste à annoncer un prix demandé, supérieur ou égal à ce que souhaite le propriétaire. Un bien soumis à cette formule est en principe adjugé au premier candidat remettant une offre ferme à ce montant. Il arrive d’ailleurs qu’un bien soit vendu à la première visite. A défaut d’une offre correspondant au prix demandé, le commettant choisit celle qui se rapproche le plus de ses critères (prix, acompte, absence de conditions suspensives…).
L’essor des formules «faire offre à partir de»
Depuis quelques années, toutefois, les agences utilisent une autre procédure de vente, controversée mais devenue monnaie courante. C’est la formule visant à «faire offre à partir de», popularisée par la frénésie immobilière des années Covid, en raison de taux hypothécaires bas et de l’attention accrue portée au logement. «Le marché immobilier étant compliqué, même les professionnels ne savent pas toujours quel prix fixer, souligne Renaud Grégoire. En cas de divergence de vue avec le vendeur sur le prix, cette stratégie permet de trouver un terrain d’entente.» Elle incite les candidats-acquéreurs à remettre leur offre la plus haute, sans connaître, en principe, celles des autres intéressés. A la différence d’une vente publique, cette procédure ne garantit pas que l’offre la plus élevée l’emportera. L’agent immobilier a le devoir de toutes les transmettre au commettant, qui sera libre de retenir celle qu’il souhaite.
«Tant qu’un agent ne communique pas le montant des offres reçues aux différents candidats, on peut dire qu’il reste plus ou moins dans les clous, indique Renaud Grégoire. Toutefois, il est vrai qu’il doit aussi assumer son statut, qui lui impose de prendre fait et cause pour le vendeur, et donc de lui obtenir le meilleur prix.» De son côté, l’IPI botte d’ailleurs étonnamment en touche face à ce cas rapporté. «Il revient à la chambre exécutive (tribunal disciplinaire) de s’assurer de la bonne application du code de déontologie et de l’interprétation éventuelle de ces articles (comme les juridictions ordinaires)», répond l’Institut. Mais «nous n’avons, à ce jour, pas de jurisprudence concernant la possibilité de dévoiler le montant d’une offre lors d’une mise en vente « faire offre à partir de ».» Jusqu’ici, aucune plainte n’aurait donc été déposée à ce sujet.
Rien qu’en 2023 et du côté francophone, la chambre exécutive de l’IPI a ouvert 586 dossiers sur la base de plaintes diverses ou à la demande de l’assesseur juridique (un avocat nommé par le ministre des Classes moyennes), dont 75% ont été classés sans suite, en l’absence de fautes ou après un accord à l’amiable. «Il peut s’agir de problèmes entre confrères, de démarchage déloyal, de contrats non conformes aux clauses devant y figurer, voire dans les cas les plus graves, de détournement d’argent, énumère Thibaud Lodewyckx. Les sanctions disciplinaires peuvent aller de l’avertissement jusqu’à la suspension et à la radiation.»
Contacté par Le Vif, le CEO de l’agence concernée déplore ce type de pratique dans ses rangs. «C’est quelque chose qu’on ne cautionne absolument pas», affirme-t-il. «Nous procédons parfois avec enveloppe fermée, précisément afin d’être certain de ne pas dévoiler les montants des offres», indique la responsable juridique. Pourquoi parfois, et pas systématiquement? «C’est une discussion qu’il faut avoir avec le commettant, ajoute-t-elle. Mais l’agent immobilier doit être très prudent.» Ce qui, visiblement, n’est pas toujours le cas.
(1) Prénom d’emprunt.La clause suspensive bientôt obligatoire
Pour le moment, les candidats-acquéreurs jetant leur dévolu sur un bien immobilier peuvent se démarquer des autres en faisant sauter la clause suspensive de l’obtention d’un prêt hypothécaire auprès d’un organisme bancaire. L’offre ferme qui en résulte a généralement davantage de chances de convaincre le vendeur, en particulier quand il est pressé. Mais le nouveau gouvernement fédéral veut mettre un terme à cette latitude. «Les personnes qui contractent un prêt hypothécaire seront mieux protégées en inscrivant dans la loi que le contrat de vente est automatiquement assorti d’une condition suspensive jusqu’à l’obtention du crédit nécessaire, mentionne l’accord. Sans cette condition, le contrat n’est pas valable. Nous garantissons ainsi non seulement la sécurité financière de l’acheteur mais renforçons aussi la confiance dans le marché immobilier.» Le timing de cette adaptation de la loi n’est pas encore connu.
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