Tout-puissant, le PEB? Les biens immobiliers aux labels énergétiques A, B ou C se vendent comme des petits pains sur le marché belge. © BELGA/BELPRESS

Comment l’avènement du certificat PEB a bouleversé le marché immobilier: «Son impact sur les prix va encore s’intensifier»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La crise énergétique et les nouvelles règlementations européennes ont fait du PEB un facteur déterminant sur le marché immobilier. L’écart de prix entre un bien ultra-performant et une passoire énergétique peut aujourd’hui grimper jusqu’à 44%. A raison?

Il y a 20 ans, l’acquéreur belge rêvait d’un villa quatre façades, d’un vaste jardin pour faire gambader son chien et d’une terrasse orientée sud. Aujourd’hui, il ne jure plus que par trois lettres: PEB. La performance énergétique des bâtiments a acquis tellement d’importance sur le marché immobilier ces dernières années que la plupart des sites de ventes en ligne en ont fait un filtre de recherche à part entière, au même titre que la superficie du bien ou de son année de construction. «Il y a encore une dizaine d’années, le PEB était le cadet des soucis des futurs propriétaires, confirme Emmanuel Deboulle, business developpement manager chez ERA et porte-parole en Wallonie et à Bruxelles. C’est à peine s’ils l’avaient consulté avant de signer le compromis de vente. Aujourd’hui, c’est devenu un critère incontournable

La flambée des prix du gaz et de l’électricité en 2022 n’est pas étrangère à cette tendance. «La crise énergétique a été synonyme de prise de conscience pour de nombreux Belges, souligne Caroline Lejeune, présidente de la Fédération des agents immobiliers francophones (Federia) et courtière depuis 22 ans en région liégeoise. Alors que par le passé, les futurs acquéreurs se renseignaient parfois sur la consommation moyenne du bien, ils sont aujourd’hui nombreux à exiger des copies des factures d’énergie des six derniers mois pour anticiper ce qu’ils auront à débourser.»

Un écart jusqu’à 44%

Surtout, les nouvelles règlementations de rénovation énergétique des bâtiments imposées par l’Union européenne commencent à être transposées en droit belge. Ainsi, depuis janvier 2023, tout acquéreur d’une habitation énergivore en Flandre a l’obligation de la rendre plus économe en énergie (label D, au minimum) dans un délai de cinq ans. Si la Wallonie n’imposera cette mesure qu’à partir du 1er juillet 2026, elle interdit déjà aux propriétaires de biens au PEB G de les mettre en location. Elle se fixe également pour ambition de tendre vers un label A pour l’ensemble de ses logements d’ici 2050. Enfin, à Bruxelles, l’objectif est de faire disparaître les label F et G pour 2033, puis les PEB D et E pour 2043. Bref, la traque aux passoires énergétiques est bel et bien lancée.

Sans surprise, l’étiquette énergétique pèse donc de plus en plus lourd sur l’attractivité d’un bien, tant sur son prix que sur la rapidité de sa vente. Ainsi, en 2024, un bien labellisé A se vendait généralement 26% plus cher qu’un bien labellisé D sur le marché immobilier flamand, selon le baromètre annuel d’ERA. A l’inverse, un logement énergivore de label F perdait environ 13% de sa valeur comparé à un bien de label D. «Au total, l’écart des prix peut grimper jusqu’à 44% entre deux biens», note Emmanuel Deboulle.

Dans le viseur des banques

Une tendance également observable en Wallonie, malgré une entrée en vigueur plus tardive des obligations de rénovation énergétique. Ainsi, selon une étude publiée par Immoweb en avril 2024, la différence de prix entre les passoires énergétiques et les maisons écologiques s’est creusée ces trois dernières années. Alors que les biens aux labels les plus performants (A, B ou C) ont connu une hausse de prix de 6,4% entre 2022 et 2024, les biens aux labels F ou G n’ont augmenté que de 2,9% sur la même période. «Aujourd’hui, l’écart de prix entre un PEB G et un PEB A s’élève en moyenne à 22%, si l’on isole uniquement la performance énergétique», observe Jonathan Frisch, économiste chez Immoweb. Gare, en effet, à ne pas comparer des pommes et des poires: indépendamment de sa performance énergétique, un bien neuf (généralement au PEB A ou B) se vendra logiquement bien plus cher qu’une vieille maison construite en 1950 pour laquelle d’importantes rénovations (énergétiques mais aussi esthétiques) sont à prévoir.

Avec la panoplie de nouvelles règlementations planifiées jusqu’en 2050, l’influence du PEB ira crescendo dans les années à venir. «Son impact sur les prix va encore s’intensifier», présage Emmanuel Deboulle. «Les biens neufs qui répondent aux normes énergétiques risquent de devenir presque inaccessibles pour la classe moyenne», craint Caroline Lejeune. D’autant que les banques capitalisent aujourd’hui sur ce certificat énergétique: en cas de label performant, elles proposent généralement des taux plus avantageux. A contrario, en cas de piètre label, les crédits hypothécaires sont parfois refusés, ou conditionnés à une réserve de fonds propres uniquement destinée aux frais de rénovation, regrette la présidente de Federia.

«Un non-sens»

Si le certificat PEB apparaît aujourd’hui déterminant dans un projet d’achat, la pertinence de la norme est pourtant fréquemment remise en cause. D’abord, car son mode de calcul diffère d’un certificateur à l’autre, mais aussi d’une Région à l’autre: la Wallonie et Bruxelles disposent en effet d’un label supplémentaire (G), alors que la Flandre s’arrête à la lettre F dans sa classification. «Ainsi, une même maison au Nord ou au Sud du pays ne se verra pas forcément délivrer le même certificat, déplore Caroline Lejeune. C’est un non-sens, alors que la norme est censée répondre à des objectifs de sobriété énergétique nationaux et même européens

Récemment, un collectif d’ingénieurs et d’architectes est également monté au créneau pour dénoncer la politique inégalitaire du PEB et son inefficacité environnementale. Trop théorique, la classification en oublierait également les réalités de terrain, pointent les auteurs de la carte blanche, qui plaident pour une ouverture du débat quant à la «pertinence de la stratégie européenne centrée sur le concept de PEB», et quant aux «modalités de sa transposition dans le droit régional.»

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