A Bruxelles, les prix de l’immobilier doublent en quelques kilomètres (analyse)
Hors du Pentagone, le marché apparaît souvent divisé entre sud et est, prisés, et nord et ouest qui le sont beaucoup moins. Une distinction à nuancer selon les quartiers, voire les rues.
Ce n’est pas un scoop: Bruxelles-Capitale est de loin la Région la plus chère de Belgique lorsqu’on parle immobilier. Pire: en moins de dix kilomètres à vol d’oiseau, les prix peuvent varier du simple au double. En 2023, par exemple, le prix médian d’une maison à Molenbeek-Saint-Jean s’élevait à 337.500 euros, tandis qu’il atteignait 736.500 euros à Woluwe-Saint-Pierre, selon le baromètre des notaires. La fourchette est un peu moins étendue pour les appartements – qui représentent la majorité de l’offre – mais elle demeure large puisque les prix médians, l’an dernier, allaient de 194.250 euros à Anderlecht à 344.500 euros à Woluwe-Saint-Pierre.
Si l’on met de côté le Pentagone, les analyses révèlent deux zones immobilières distinctes à Bruxelles: d’un côté, le nord et l’ouest (Anderlecht, Jette, Molenbeek-Saint-Jean, Berchem-Sainte-Agathe…), où les prix sont globalement inférieurs à la médiane régionale, de l’autre, le sud et l’est (Uccle, Ixelles, Woluwe, Etterbeek, Schaerbeek…), où les tarifs sont (très) élevés et où l’on trouve certaines des communes les plus chères du pays.
Schaerbeek, emblème de la nuance
Le constat n’a rien d’étonnant pour ceux qui connaissent la capitale. Mais il est un peu réducteur: «Cette division globale sud/est et nord/ouest doit être nuancée», souligne Eric De Keghel, géomètre-expert et président de la Commission du marché immobilier de l’Union des géomètres-experts de Bruxelles (Ugeb). La division suit en effet l’évolution du marché au travers d’un indice basé sur le rapport qualité-prix des biens et a notamment instauré un coefficient pour caractériser les localisations en fonction des valeurs immobilières moyennes: 1 et 2 représentent des situations de tout premier ordre ou excellentes, 3 symbolise la moyenne tandis que 6 est réservé aux zones très défavorables. «Le coefficient 1 concerne les zones les plus chères, comme le quartier du Châtelain ou les alentours de la place Brugmann, par exemple», illustre Eric de Keghel, qui relève aussi que ces localisations de tout premier ordre se situent uniquement dans le sud et l’est. Aux extrémités sud-ouest et nord-est de cette zone privilégiée se trouvent néanmoins quelques zones «inférieures à la moyenne» (4) voire «défavorables» (5), notamment à Forest ou Schaerbeek qui ont la particularité d’être assez hétérogènes en matière d’immobilier. «A l’inverse d’Etterbeek, qui est chère partout, Schaerbeek possède des situations entre 5 et 6 du côté de la gare du Nord; en revanche, près du square Plasky, on est plutôt autour d’un coefficient 2, c’est-à-dire une localisation excellente», note Eric de Keghel.
Quentin Pinte, responsable des ventes chez Latour & Petit (agence zone est de Bruxelles), constate lui aussi ces différences tout en précisant que «Schaerbeek a vraiment bien évolué ces dernières années, notamment autour des places Meiser, Dailly et des Chasseurs ardennais. Le marché a déjà commencé à se redynamiser il y a cinq à dix ans et aujourd’hui, le quartier est très sympa, amical et vert. On n’est pas loin des institutions européennes, dès lors des expatriés sont naturellement venus s’y installer et des commerces et établissements Horeca de qualité ont suivi.»
« Les jeunes contribuent à faire monter les prix des zones en vogue plus abordables, un peu comme Flagey il y a 20 ans. »
Hors de Schaerbeek, les lieux historiquement prisés (Montgomery, Flagey, Fort Jaco, place Dumon…) gardent leur cote, tandis que d’autres zones du sud et de l’est se développent ou confirment leur évolution. «Le bas de Saint-Gilles reste un peu compliqué et les prix y sont inférieurs, au contraire du haut de la commune, du Parvis ou de la zone de la maison communale, vraiment appréciés et qui ont du succès», observe Lancelot Ullens, responsable des ventes chez Latour & Petit (agence centre et sud). L’an dernier, par exemple, la commune a atteint un prix médian de 640.000 euros pour ses maisons, alors qu’elle n’avait jamais franchi le seuil des 600.000 euros auparavant. Cette hausse est encouragée, entre autres, par le fait que, faute de pouvoir acheter dans les communes les plus chères, les jeunes originaires du sud et de l’est de la capitale se tournent vers ces quartiers en vogue et plus abordables. «Ils contribuent ainsi à faire monter les prix et à étendre ces zones prisées, un peu comme il y a 20 ans à Flagey: au début, les endroits chers se concentraient uniquement vers l’avenue Louise, puis ils ont gagné l’autre côté, vers la rue Malibran», constate Eric De Keghel.
Immobilier à Bruxelles: signaux positifs dans le nord et l’ouest
La localisation étant souvent le critère principal des Bruxellois, peu d’entre eux sont disposés à migrer loin pour bénéficier de prix plus avantageux. A l’exception des néerlandophones, il est par exemple rare que des «sudistes », comme certains les appellent, s’aventurent à déménager dans le nord ou l’ouest, pourtant plus abordables. Ces zones restent en effet parfois connotées négativement, et les analyses de l’Ugeb révèlent que, d’un point de vue des valeurs immobilières, ces situations ne dépassent pas le stade de «moyennes à bonnes». Comme le reste de la Région bruxelloise, le nord et l’ouest sont toutefois hétérogènes et certaines localisations se démarquent. «Jette tire vraiment le nord de Bruxelles, même si, d’un point de vue activité immobilière, elle est dépassée par Molenbeek et Anderlecht, observe Patrick Balcaen, gérant de l’agence Immo Balcaen. Les travaux du tram ont fait du tort à beaucoup de gens, à Jette, mais force est de constater qu’aujourd’hui ce tram est devenu un atout et incite du monde à s’installer dans la commune, tout comme les nombreux parcs et forêts.» Pour preuve, en 2023, le prix médian des maisons y a dépassé pour la première fois les 400.000 euros.
«Peu de Bruxellois sont disposés à migrer pour bénéficier de prix plus avantageux. A l’exception des néerlandophones.»
D’autres communes du nord et de l’ouest sont en train d’émerger et pour d’autres raisons, comme Laeken. «L’arrivée de l’école européenne a amené des expatriés à découvrir cette zone, et cela fait monter les prix, décode Eric De Keghel. Comme ailleurs, on peut s’attendre à ce que ce phénomène fasse tache d’huile et que les prix grimpent aussi dans les beaux quartiers encore accessibles aux alentours.» Même si elles sont souvent moins bien connotées, les communes de Molenbeek et Anderlecht rencontrent elles aussi leur public, et une gentrification semble même se dessiner dans certains quartiers, selon Patrick Balcaen: «Le boulevard du Jubilé et quelques autres artères autour de Tour & Taxis commencent à vivre différemment, on y voit de plus en plus de familles qui circulent à vélo – surtout des néerlandophones.»
Les prix du nord et de l’ouest de Bruxelles restent sous ceux de l’est et de l’ouest, mais le marché s’y porte bien et est même en hausse. «Les appartements deux chambres qu’on vendait autrefois à 210.000 ou 220.000 euros atteignent facilement 240.000 euros aujourd’hui, se réjouit le gérant de l’agence Immo Balcaen. Dernièrement, nous avons même vendu un bien de ce type à 285.000 euros, ce qui est un beau budget par ici. Il s’agissait d’un appartement rénové; il y a vraiment de la demande pour ce type de beau bien.»
Un Pentagone tout en contraste
L’hétérogénéité du marché immobilier bruxellois atteint son paroxysme dans le Pentagone : malgré son périmètre réduit, les situations y varient entre 1,5 (presque tout premier ordre) et 5 (défavorable), selon les analyses de l’Ugeb. «On s’en rend vite compte lorsqu’on se promène dans les rues: entre le Sablon et les bords du canal, c’est un autre monde», observe Eric De Keghel. Malgré divers projets et rénovations ces dernières années, la zone du canal a en effet du mal à décoller, selon plusieurs observateurs. «Beaucoup pensaient que le Canal serait le prochain Dansaert, mais l’endroit n’atteint pas encore un niveau de prix élevé car l’environnement n’est pas suffisamment développé, juge Lancelot Ullens. Tour & Taxis est un pôle culturel et professionnel fantastique, mais pour trouver de la vie le soir il faut revenir vers Dansaert.»
Autour de l’hypercentre, qui reste cher en raison de ses facilités, le Pentagone semble lui aussi divisé entre d’un côté le sud et l’est, qui concentrent la plupart des zones attractives, et de l’autre le nord et l’ouest, où les situations sont moins favorables. «La zone à l’ouest entre le boulevard Lemonnier et la petite ceinture (vers le quartier Anneessens) est en très mauvais état, ça se ressent dans les prix, cite en exemple Eric De Keghel. Mais à long terme, l’endroit devrait prendre de la valeur.»
Même si un certain nombre de Bruxellois quittent le Pentagone ou la Région, la demande de logement reste élevée et les acteurs de l’immobilier n’envisagent pas autre chose qu’une évolution progressive du marché et des zones même les moins prisées.
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