Bertrand Candelon
Il y a une urgence absolue à rétablir le niveau de notre éducation
Le 15 mai, nous avons appris le décès de Robert Lucas, prix Nobel 1995 et figure majeure de la science économique. Ses recherches ont révolutionné la macroéconomie, grâce au développement de concepts comme les anticipations rationnelles ou la fameuse «critique de Lucas», notions que rencontre tout étudiant en économie au cours de son cursus universitaire.
Robert Lucas a aussi contribué à l’analyse de la croissance en incluant, dès 1988, l’existence d’un facteur de capital humain dans les fonctions de production. Ce faisant, il a posé les bases de la théorie de la croissance endogène dont les implications en politique économique sont considérables puisqu’elles remettent en cause la convergence (conditionnelle ou inconditionnelle) des croissances entre les pays, obtenue à partir des modèles de croissance exogène à la Solow (développée par Robert Solow, prix Nobel d’économie 1987). En termes plus béotiens, ces modèles de croissance endogène montrent qu’un pays dont les niveaux de recherche et d’enseignement sont faibles verra sa croissance économique se réduire de façon durable, relativement à celle de ses concurrents qui, eux, ont un niveau de capital humain plus élevé.
Ironie de l’histoire, le lendemain du décès de Robert Lucas, les résultats de l’étude Pirls de 2021 étaient publiés. Ces derniers évaluent la capacité à la lecture des élèves de 4e primaire, et permettent, au même titre que les évaluations Pisa et Timss, d’obtenir une comparaison internationale des niveaux d’éducation et, donc, de capital humain. Encore une fois, on peut noter que la Belgique francophone se situe en queue de peloton, loin derrière tous nos voisins européens, et même dépassée cette fois par la Turquie. Si certains observateurs peuvent y voir une stabilisation du classement de la Belgique francophone alors que nos voisins flamands baissent davantage (tout en restant néanmoins nettement mieux classés que nous) ou remettent en cause cette évaluation partielle alors que les récentes enquêtes Pisa suivent la même tendance, ces résultats confirment le ressenti de la majorité des enseignants et parents d’élèves. Ils sonnent une nouvelle alarme pour notre système éducatif.
Les causes de cette déroute sont multiples mais ne peuvent pas être seulement imputées à un sous-financement de notre système éducatif. La fraction du PIB allouée à l’éducation étant largement supérieure à celle de nombreux pays mieux classés que nous, comme la France et à la Turquie, un manque d’efficience est clairement présent et nécessite une refonte en profondeur de notre système d’enseignement. A cet égard, il serait fort avisé d’analyser et d’appliquer les recettes qui font le succès des premiers de classe, comme Singapour ou la Finlande. En reprenant les modèles de Robert Lucas, on peut facilement évaluer les conséquences négatives de ces résultats et s’en effrayer pour notre croissance potentielle et cela, pour les décennies à venir. A celles-ci, il convient d’ajouter les implications sociétales, l’éducation étant le principal vecteur d’égalité des chances et d’apprentissage de la démocratie. Il y a donc une urgence absolue à rétablir le niveau de notre éducation pour qu’il redevienne enfin digne de ce qui est attendu pour un pays avancé.
Bertrand Candelon est professeur de finance à l’UCLouvain et directeur de recherche – Louvain Finance.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici