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Avec l’IA, falsifier la photo d’un sinistre auto (voire la générer de toutes pièces) n’a jamais été aussi simple. Mais il en faut plus pour duper les assurances. © Getty Images

L’IA, nouvel allié des fraudeurs à l’assurance? «C’est un crime qui fait plusieurs victimes»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Avec l’intelligence artificielle (IA), falsifier une photo ou un contrat est devenu un jeu d’enfant. Une aubaine pour les fraudeurs à l’assurance, qui redoublent d’ingéniosité. Mais les outils ne manquent pas pour déceler ces supercheries.

«ChatGPT, peux-tu générer un ticket de caisse d’une valeur de 5.000 euros pour des boucles d’oreille en or?» Deux clics plus tard, l’image surgit sur l’écran. Plus vraie que nature. Hop, la facture est ajoutée au dossier d’indemnisation du cambriolage. Plus qu’à attendre le remboursement… Ces derniers mois, les témoignages de fraudes à l’assurance pullulent sur les réseaux sociaux. Les auteurs d’escroquerie se seraient emparés de l’intelligence artificielle pour affiner leur mode opératoire et maximiser leur profit.

Une tendance qui s’observe également en Belgique. «La falsification de documents est devenue bien plus facile grâce à l’IA, confirme Erwig Rutten, conseiller pour la lutte contre la fraude chez Assuralia, la fédération des assureurs belges. A l’époque, il fallait encore utiliser du Tipp-Ex pour travestir des documents. Puis d’autres outils ont fait leur apparition pour manipuler les photos. Aujourd’hui, les fraudeurs peuvent simplement demander à l’IA de créer de toutes pièces une facture ou un devis de n’importe quel montant. Tout ça sont des choses qui existent.»

Si l’IA a certes affiné les techniques de fraude, elle ne rebat pas complètement les cartes. «C’est un nouvel outil plus pointu à disposition des individus malveillants, mais qu’on ne craint pas démesurément, assure Rodolphe Van Nuffel, porte-parole d’AXA Belgium. Entre Paint et Photoshop, les fraudeurs se sont toujours adaptés aux nouvelles technologies. On n’observe d’ailleurs pas de pic particulier dans la fraude actuellement.» Même constat chez Ethias, qui ne se dit pas confrontée de «manière significative» aux tentatives d’escroquerie impliquant l’IA. De son côté, Assuralia n’opère pas de distinction entre les fraudes à l’IA et les fraudes «classiques» dans ses données chiffrées. Difficile, dès lors, d’objectiver l’étendue de la pratique à l’heure actuelle.

Un recours (quasi) systématique à l’expertise

Concrètement, l’IA pourrait surtout représenter une arme efficace dans les fraudes aux assurances «non-vie», par exemple dans le cadre de sinistres liés aux incendies, aux vols ou aux inondations. Modifier une image pour exagérer les dégâts ou générer une preuve de paiement factice pour gonfler son dédommagement pourrait être tentant. L’IA peut également être utilisée dans le cadre des assurances-vie. «On voit parfois des dossiers extrêmement spectaculaires, comme des assurés qui prétendent qu’un de leurs proches est mort dans un pays lointain et qui produisent un certificat de décès bidon, illustre Erwig Rutten. Mais ça reste des cas plutôt rares.» La fraude peut également apparaître au moment de la conclusion du contrat, avec des faux bilans de santé pour faire diminuer le montant de la prime. Des tromperies intentionnelles qui n’ont en réalité pas attendu l’IA pour exister. Mais qui sont souvent loin de porter leurs fruits.

D’abord, car une procédure d’indemnisation ne repose jamais uniquement sur une déclaration, même accompagnée de photos ou de documents, rappelle Ethias. «Dans le cadre d’un accident de la route, par exemple, une photo fournie par un client sera insuffisante pour traiter le dossier, confirme l’expert d’Assuralia. Il y a toujours un expert qui va être dépêché sur place pour prendre des clichés. Dans ce cadre, une fraude à l’IA paraît impossible.» En cas de dégât, l’intervention d’un réparateur sera aussi nécessaire. «En ce qui nous concerne, les réparations se font généralement dans des garages agréés par Axa, souligne Rodolphe Van Nuffel. Ce qui nous permet de vérifier que le devis ou la facture de réparation correspond au sinistre déclaré, et donc de déceler les intentions frauduleuses.» Une analyse approfondie des circonstances de l’accident ou du sinistre permettra en outre d’objectiver l’ampleur des dommages.

Combattre les fraudeurs à l’IA… par l’IA

Au-delà de l’expertise humaine, les assureurs misent aussi sur la technologie pour déceler les fraudes. «Nos outils internes et externes sont en partie nourris par l’IA, par exemple pour détecter une falsification de document, confirme le porte-parole d’AXA. Si on a une photo qui ne correspond pas à la date du sinistre, l’IA va pouvoir l’identifier et la dater.» Parmi les outils utilisés par Axa et Ethias, citons notamment Shift, qui permet de détecter des anomalies ou des incohérences dans les dossiers. En s’inspirant de scénarios de fraude connus, la plateforme pourra épingler les cas les plus suspects et suggérer à l’assureur de lancer une enquête plus approfondie. Une technologie qui s’adapte en permanence aux progrès numériques, pour garder une longueur d’avance sur les fraudeurs. «Au final, les techniques de détection de fraude évoluent même plus vite que les tactiques de fraude», insiste Rodolphe Van Nuffel. D’autant que les gestionnaires de dossiers sont toujours plus nombreux à bénéficier de formations consacrées aux risques que représente l’IA, ajoute Erwig Rutten.

«Les techniques de détection de fraude évoluent même plus vite que les tactiques de fraude.»

Rodolphe Van Nuffel

Porte-parole d’Axa Belgium

Bref, dans ces conditions, difficile de passer entre les mailles du filet. Les fraudeurs qui y parviennent s’exposent toutefois à de lourdes sanctions. Si la Belgique n’a pas (encore) légiféré spécifiquement sur l’utilisation de l’IA à des fins frauduleuses, la fraude à l’assurance reste civilement et pénalement répréhensible. «Quels que soient les moyens utilisés, les mêmes outils juridiques sont convoqués en cas de fraude avérée», confirme Bernard Dubuisson, professeur en droit des assurances à l’UCLouvain.

7.000 dossiers en 2024

Sur le plan civil, si l’assuré maquille un sinistre de vol ou en exagère l’étendue, l’assureur est en droit de décliner sa garantie, c’est-à-dire de ne pas intervenir dans l’indemnisation, expose le professeur. «Souvent, on demandera également à l’assuré un remboursement de tous les frais engendrés, à savoir d’expertise, d’inspection et de gestion du dossier», ajoute le porte-parole d’Axa. L’assureur est également en droit de résilier le contrat de l’assuré, et de le placer sur le fichier RSR géré par Datassur, autrement dit la «liste noire» des assureurs en Belgique. En outre, toute fausse déclaration de l’assuré au moment de la souscription du contrat entraîne la nullité de ce dernier, rappelle la loi du 4 avril 2014.

En cas de fraude avérée, l’assuré peut également faire l’objet de poursuites pénales devant le tribunal. Le fraudeur peut notamment être poursuivi pour escroquerie, faux en écriture ou faux témoignage. En cas d’escroquerie, il s’expose à une peine d’emprisonnement d’un mois à cinq ans et d’une amende de 26 à 3.000 euros

Globalement, la fraude (par le biais de l’IA ou non) coûte très cher au secteur de l’assurance. En 2024, elle concernait quelque 7.000 dossiers en Belgique, représentant un total de 150 millions d’euros de pertes, selon Assuralia. «Ce chiffre varie entre 125 millions et 155 millions sur base annuelle, rien que pour la fraude avérée, complète Erwig Rutten. En incluant les estimations de fraude non détectée, ce montant pourrait grimper jusqu’à 800 millions d’euros, uniquement pour les assurances non-vie.» Avec des conséquences néfastes sur l’ensemble de la chaîne. Plus le nombre de fraudeurs augmente, plus les clients (même honnêtes) risquent de débourser des sommes mirobolantes pour leurs primes d’assurance. Une manière de compenser les pertes. En outre, la fraude –et les investigations y afférant– ralentissent le traitement des demandes d’indemnisation légitimes. «Au final, c’est un crime qui fait plusieurs victimes», résume Assuralia.

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