Lois, sécurité et éthique: Elon Musk au pied du mur chez Twitter

L’acquisition de Twitter par Elon Musk a suscité de l’enthousiasme, de l’épouvante, et aussi beaucoup de commentaires narquois d’observateurs qui ne donnent pas cher du patron de Tesla face à la tâche gargantuesque qui l’attend, surtout s’il licenciait de nombreux employés.

Car la « place publique » qu’il a rachetée pour 44 milliards de dollars a des responsabilités légales, éthiques et techniques disproportionnées par rapport à ses moyens. Twitter ne dispose pas des ressources humaines et financières de ses voisins Meta et Google, mais doit gérer des problématiques similaires, de la modération des contenus à la cybersécurité en passant par la mise en conformité avec des lois différentes selon les pays.

Or Elon Musk a congédié la direction et envisage de remercier quelque 75% des 7.500 employés de Twitter, selon le Washington Post.  Plus de 700 personnes sont déjà parties cet été, de leur plein gré, d’après un salarié qui souhaitait rester anonyme.

La plateforme « a un nombre infini de problèmes de sécurité et de sûreté », remarque Rebekah Tromble, professeur à la George Washington University. « Ma pire crainte à ce stade, c’est un plan de licenciements massif ou des démissions en masse. Cela ferait largement régresser un système déjà imparfait ». Twitter ne comptait « que » 238 millions d’utilisateurs actifs au quotidien fin juin, une fraction de la fréquentation de Facebook ou YouTube, mais l’assiduité des décideurs politiques et autres personnalités médiatiques le place régulièrement au cœur des controverses.

« Prison de Twitter »

Le réseau social est critiqué aussi vertement par la droite américaine, qui s’estime censurée, que par la gauche et de nombreuses ONG qui prônent une lutte plus ferme contre les abus. Actuellement, Twitter applique des sanctions allant de l’avertissement, au retrait de tweets et à la suspension de compte pour des infractions comme une fausse information sur le Covid-19, un message raciste ou de l’incitation à la violence. « Ce n’est pas efficace à 100%. Et quand la haine ou le harcèlement passe à travers les mailles, cela se traduit par des préjudices dans la vie réelle », souligne Rebekah Tromble.

Elon Musk semble déjà avoir tempéré son approche absolutiste de la liberté d’expression, pour rassurer les annonceurs, généralement soucieux de ne pas associer leur marque à des contenus non consensuels. Le nouveau patron a promis que Twitter ne deviendrait pas « infernal » et qu’il doterait la plateforme d’un « conseil de modération des contenus » pour prendre les décisions.

« Twitter a déjà eu un comité de ce type dans le passé, comme d’autres réseaux sociaux. Cela ne débouche jamais sur grand-chose », juge Rebekah Tromble.Les sociétés technologiques ont aussi mis au point des algorithmes sophistiqués pour filtrer les contenus problématiques, « mais en pratique, la modération est faite à la main par des dizaines de milliers de personnes sous payées », ajoute-t-elle.

Vendredi, Elon Musk semblait déterminé à assurer lui-même le service après-vente.  « Ceux qui ont été suspendus pour des raisons mineures ou douteuses seront libérés de la prison de Twitter », a-t-il par exemple répondu à une utilisatrice qui lui demandait de laisser son père revenir sur la plateforme.

« Bienvenue en enfer »

Le multimilliardaire va subir la pression de ses fans, mais aussi celle des nombreux gouvernements qui remettent en cause les pouvoirs des réseaux sociaux. « Sa marge de manœuvre va être réduite par les nouvelles règles adoptées en Europe et en Inde », juge Emma Llanso de l’ONG Center for Democracy and Technology.,Les Etats-Unis ont longtemps été plus laxistes, mais certains Etats conservateurs veulent désormais aussi réguler la modération. 

« Musk va se retrouver dans une position difficile si la loi votée au Texas impose de garder certains contenus que l’Europe oblige à retirer », résume la spécialiste. « Avez-vous hâte que le gouvernement chinois trouve des moyens de menacer les affaires de Tesla en Chine à cause de contenus qui apparaissent sur Twitter? Parce que cela va arriver », a de son côté écrit vendredi Nilay Patel, le rédacteur en chef de The Verge, dans un éditorial adressé à l’entrepreneur.

Le réseau des gazouillis doit par ailleurs repousser des cyberattaques au quotidien, venant aussi bien de hackers que de groupes criminels et d’agences travaillant pour le compte d’Etats étrangers. En juillet 2020, les comptes de personnalités américaines dont Joe Biden, Barack Obama, Jeff Bezos (le fondateur d’Amazon) et… Elon Musk avaient été piratés par de jeunes Américains qui avaient obtenu les identifiants de salariés. « Vous êtes maintenant le roi de Twitter et les gens pensent que vous êtes désormais personnellement responsable de tout ce qui s’y passe », s’est moqué Nilay Patel. « Bienvenue en enfer. C’était votre idée ».

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