Hausse des faillites en 2024: pourquoi il ne faut pas s’inquiéter (analyse)
Les chiffres des faillites sont en augmentation en ce début 2024. De quoi s’inquiéter? Non. Car cette hausse s’explique de multiples façons et est à prendre avec nuances. Décryptage.
Le compteur, bloqué à la fin du mois de février dernier, s’est arrêté pile sur 1.936. En janvier et février, 1.936 entreprises ont été déclarées en faillite en Belgique. Elles étaient 1.627 durant les mêmes mois de 2023 et 1.742 au début de 2019, les années intermédiaires, dites années Covid, n’étant représentatives de rien d’autre que de cette période économiquement et socialement brouillée. En matière d’emplois, 5.197 postes ont été perdus à la suite de ces fermetures survenues après l’an neuf, pour 6.037 en 2023 et 4.485 en 2019 (voir les graphiques). Ces dernières ont donc été moins sanglantes pour le personnel que ne le furent les deux premiers mois de 2023.
En janvier et février 2022, la proportion d’emplois perdus par faillite était de 2,50. Un an plus tard, de 3,71. Et, en 2024, de 2,68. En règle générale, l’écrasante majorité des faillites (autour de 90%) enregistrées concerne des entreprises de moins de cinq personnes.
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Si l’on ajoute le mois de mars à ce décompte, on arrive à 3. 053 sociétés faillies, soit 14,1 % de plus qu’en 2023. «On est au début d’une forte zone de turbulences, a d’ailleurs assuré Pieter Timmermans, le directeur de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), qui représente les plus importantes d’entre elles. Je pense que 2024 et 2025 seront compliquées.» D’aucuns regardent avec inquiétude vers la France, qui a moins bien résisté à la crise que la Belgique, et qui a enregistré un bond de 34,4% des faillites entre janvier et décembre 2023.
«Il est trop tôt pour dire si ces faillites sont le reflet d’un problème structurel ou non.»
Thierry Bodson, président de la FGTB.
Minute, papillon. Les années à venir seront peut-être compliquées. Mais peut-être pas. Les deux premiers mois de 2024 n’indiquent qu’une tendance que bien des éléments peuvent venir bousculer. «A ce stade, il n’y a pas de quoi crier au feu», tempère l’économiste Philippe Defeyt. A l’Union des classes moyennes (UCM), on confirme que l’on ne verse pas dans la panique tout en jugeant la situation préoccupante. Quant à la FGTB, elle se dit lasse des prédictions alarmistes de la FEB, «qui jamais ne se confirment, estime le président du syndicat socialiste, Thierry Bodson. Il est trop tôt pour dire si ces faillites sont le reflet d’un problème structurel ou non. L’économie fonctionne à la confiance. Ces messages alarmistes ne rendront les choses que plus compliquées.»
Les secteurs les plus touchés par les fermetures, c’est-à-dire la construction, l’Horeca et le commerce, ne démentiront pas. Les consommateurs non plus, eux dont l’indicateur de confiance, calculé par la Banque nationale de Belgique, a replongé sous zéro depuis janvier pour s’établir à -5. Soit deux fois moins quand même que celui des employeurs, qui flirte avec les -10.
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«Il devient impossible pour un indépendant de faire vivre sa famille avec un seul point de vente, embraie Olivier Vandenabeele, conseiller économie au service d’études de l’UCM. Certains en ouvrent plusieurs pour obtenir des marges bénéficiaires suffisantes et nous leur conseillons d’ailleurs d’augmenter la voilure et de diversifier leurs activités. Il est clair que nous préférons quinze magasins de sport à une seule grande surface spécialisée dans ce domaine.»
1.936
entreprises ont été déclarées en faillite en janvier et février derniers.
Ces dernières semaines, les faillites du fabricant de cars Van Hool et de l’enseigne de vêtements Esprit ont marqué les esprits: 1.800 personnes perdront leur emploi chez le premier cité et 148 chez le second. Les raisons de ces glissements de clé sous le paillasson sont pourtant très différentes. Chez Van Hool, ce sont des erreurs de gestion liées à des conflits familiaux qui sont en cause. Esprit, en revanche, n’aura pas survécu aux coups de boutoir de l’e-commerce, ni à l’augmentation des coûts de l’énergie ni à des loyers élevés pour des surfaces de vente surdimensionnées. Ces deux faillites ne sont toutefois pas le reflet de l’état de santé actuel de l’économie belge. «Les faillites suivent toujours l’évolution de la conjoncture avec un temps de retard estimé entre six et douze mois», rappelle Eric Van den Broele, directeur recherche et développement chez GraydonCreditsafe. Replongeons-nous donc dans la dernière année écoulée.
2023 fut marquée par la hausse des prix de l’énergie qui a touché les entreprises un peu plus tard que les particuliers, victimes, eux, de cette mauvaise surprise dès 2022, lors du déclenchement de la guerre en Ukraine: les entreprises disposent, en effet, dans leur majorité, de contrats de fourniture annuels qui ont pris fin l’an dernier. Deuxième choc: l’indexation des salaires, très importante en 2023 en raison de la forte hausse de l’inflation l’année précédente. Celle-ci suit l’évolution de l’indice des prix à la consommation, et fluctue donc en fonction des prix des produits vendus par les entreprises elles-mêmes. La FEB réclame régulièrement l’abandon de cette indexation automatique, phénomène quasi unique en Europe. Mais les PME, qui dépendent largement du pouvoir d’achat de leurs clients, auraient souffert bien davantage si les salaires n’avaient pas été adaptés l’an dernier.
Autre phénomène dont l’impact a frappé de plein fouet certaines entreprises: l’augmentation des prix des matières premières, notamment dans l’alimentation. Les restaurateurs n’ont pas toujours pu, ou voulu, répercuter cette hausse de leurs frais dans les factures de leurs clients, ce qui a encore raboté leurs marges bénéficiaires. «Il y a toujours autant de gens qui fréquentent les restaurants, observe Eric Van den Broele, mais ils consomment moins.»
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Certaines entreprises, sur le fil de la survie financière, ont tenu le coup ces dernières années grâce aux aides fournies par les gouvernements fédéral et régionaux dans le cadre de la crise Covid. Elles ont aussi bénéficié de la possibilité de reporter à plus tard les paiements dus au fisc et à l’ONSS. Cette mesure d’assouplissement a cependant pris fin à l’été 2022, contraignant les entreprises à régler leurs dettes envers ces deux institutions. Ce que toutes n’ont pas immédiatement fait, tentant encore d’écoper l’eau qui envahissait leur navire… jusqu’à la faillite. «A Bruxelles, assure Eric Van den Broele, l’ONSS est responsable de 70% à 80% des faillites déclenchées.» Il lui arrive toutefois de demander une dissolution plutôt qu’une faillite, pour des raisons pratiques: si la société ne dispose plus d’aucun actif, il est inutile de nommer un curateur et de laisser espérer, en vain, des créanciers qui ne seront de toute façon pas remboursés.
«Il devient impossible pour un indépendant de faire vivre sa famille avec un seul point de vente.»
Olivier Vandenabeele, conseiller économie à l’UCM.
Zombies et fantômes
Si le nombre d’entreprises en bonne santé recensées en Belgique diminue, c’est aussi en raison d’un changement de politique intervenu en 2018 du côté des autorités judiciaires: celles-ci font désormais plus activement la chasse aux entreprises frauduleuses et aux sociétés fantômes. Ces structures, qui existent sur papier, ne développent pas ou peu d’activité économique. Ce qui n’est pas illégal en soi. Mais ces coquilles vides peuvent être utilisées dans un but moins avouable, comme des escroqueries. Certains arrondissements judiciaires, dont celui de Bruxelles, ont pris le problème à bras le corps, contraignant nombre de structures à fermer leurs portes. Ainsi, Bruxelles recensait quelque 10.000 sociétés fantômes en 2019. Depuis lors, 7.533 ont été contraintes à la dissolution, dont 2.313 rien que l’an dernier, selon les chiffres du tribunal francophone bruxellois de l’entreprise. Une bonne nouvelle, sur le fond. Mais dès lors qu’il s’agit de dissolutions, ces entreprises condamnées par la justice ne figurent pas dans les chiffres des faillites annuelles.
Outre les sociétés fantômes, la Belgique compte aussi son lot d’entreprises zombies, des sociétés âgées de plus de 10 ans qui, durant trois années consécutives, ont enregistré des profits insuffisants pour couvrir la charge d’intérêt de leur dette. A ne pas confondre, toutefois, avec des sociétés en difficultés temporaires! Des sociétés zombies, il en existerait environ 60.000 en Belgique, endettées et non rentables, ce qui représente quelque 11% de l’ensemble des sociétés tenues de publier un bilan. Selon la BNB, cette proportion est en recul ces dernières années: elle s’élevait à 15% en 2010.
60.000
sociétés zombies existeraient en Belgique, endettées et non rentables.
Extrêmement vulnérables, ces entreprises succombent généralement lorsque les taux d’intérêt sont revus à la hausse et/ou que les conditions d’accès au crédit se resserrent. Ce qui a été le cas en 2023. Certes, cette donnée pénalise tous les acteurs économiques. Et peut d’ailleurs expliquer en partie l’augmentation du nombre de faillites en ce début d’année. Mais en frappant les entreprises zombies par le relèvement du taux d’intérêt, les banques opèrent une sorte de nettoyage du tissu économique. «C’est un argument à manier avec précaution, insiste Marcus Dejardin, professeur d’économie à l’UNamur et à l’ULouvain. Mais la disparition des sociétés zombies libère effectivement des ressources au profit d’entreprises en meilleure santé financière. Notamment du personnel qui peut se révéler précieux en période de pénuries.»
Créations versus faillites
Si nombre d’entreprises ferment leurs portes, d’autres, plus nombreuses encore, les ouvrent. Selon les chiffres de Statbel, la Belgique comptait 1.143.403 entreprises assujetties à la TVA au 31 décembre 2022, personnes physiques et morales additionnées. Ces données étant publiées avec un décalage de neuf mois, celles qui concernent 2023 ne seront disponibles qu’en octobre 2024.
Ce chiffre de 2022 indique une hausse de 4,5%, bien au-delà des 3,2% de croissance observés, en moyenne, ces dix dernières années et du taux de 4,2% de 2021. Quant au nombre d’entreprises créées en 2022, il s’est élevé à 126.858 unités, soit 10,7% de plus qu’en 2021 (année marquée par le Covid) tandis que 78.062 entreprises ont cessé leurs activités, soit 10,4% de plus qu’en 2021. «Le solde entre les entreprises qui voient le jour et celles qui ferment reste positif, remarque Eric Van den Broele. Mais cette croissance est très faible.»
Les nouvelles entreprises créées ne sont, en effet, pas celles qui occupent d’emblée le plus de personnel. Et rien ne dit qu’elles survivront longtemps puisque, en moyenne, 25% des sociétés font faillite entre leur cinquième et leur dixième année d’existence.
«Le solde entre les entreprises qui ferment et celles qui ouvrent reste positif. Mais il est faible.»
Eric Van den Broele, directeur Recherche et Développement chez GraydonCreditsafe.
Et maintenant?
Ces multiples constats posés, quels sont les leviers à actionner pour tenter de diminuer le nombre de faillites que certains pronostiquent pour la suite de 2024?
D’abord, revoir la fiscalité sur les revenus du travail, cette promesse récurrente mais jamais concrétisée. Le but: augmenter le salaire poche du personnel et diminuer le coût global pour l’employeur.
Ensuite, interroger les pratiques des banques en matière de taux d’intérêt et d’accès au crédit. Fort malmenées lors de la crise financière, les institutions bancaires ont, depuis, retrouvé toutes leurs couleurs. Alors? «Le renforcement des conditions d’accès au crédit se justifie-t-il?, interroge Marcus Dejardin. Ou les banques gardent-elles sous le coude des fonds qui pourraient utilement servir le tissu économique?» C’est une question dont le gouvernement pourrait s’emparer.
Il pourrait également se pencher sur la perpétuelle question des prix de l’énergie en Belgique, plombés par les taxes et cotisations imposées… par l’Etat. Ainsi que sur le prix des services de téléphonie, sensiblement plus élevés chez nous que dans les pays voisins. Selon la dernière étude comparative de l’IBPT, l’Institut belge des services postaux et des télécommunications, le coût des services mobiles, ainsi que celui des forfaits Internet fixe et télécoms sont plus élevés en Belgique que dans les pays voisins.
Ces mesures sont d’autant plus nécessaires que de gros investissements seront inévitables à court et moyen termes pour que les entreprises évoluent vers une société bas carbone. Si rien n’est fait, le risque de voir les faillites augmenter de plus belle sera autrement patent. «La différence entre une cessation d’activités et une faillite, c’est que dans le premier cas, il y a souvent une reprise, précise utilement Marcus Dejardin. En cas de faillite, en revanche, les créanciers ne sont souvent pas tous honorés, ou pas totalement, ce qui crée un risque de fermetures en cascade.» Structurellement dangereux.
En regardant le paysage entrepreneurial belge avec un peu de hauteur, on observe, en tous cas, que le tissu économique se renouvelle plus lentement que celui des pays voisins. Autrement dit, les taux de fermetures et de créations d’entreprises restent relativement faibles. Selon les chiffres de la BNB, 3% des entreprises, en moyenne, disparaissent chaque année en Belgique, contre 6% à 7% en France et aux Pays-Bas et jusqu’à près de 9% en Allemagne. A contrario, le taux de création s’établit à 6% en Belgique, alors qu’il avoisine les 10% dans les pays proches.
«Je fais le pari que 2024 et 2025 ne seront pas aussi sombres qu’annoncé, lance Thierry Bodson. Les chiffres du chômage temporaire indiquent que les entreprises ne souhaitent pas se séparer de leur personnel et escomptent une reprise de leurs activités. C’est un signe encourageant.»
- Pieter Timmermans
- Fédération des entreprises de Belgique
- Philippe Defeyt
- Union des classes moyennes
- FGTB
- Thierry Bodson
- Banque nationale de Belgique
- Olivier Vandenabeele
- Van Hool
- Eric Van den Broele
- GraydonCreditsafe
- ONSS
- Marcus Dejardin
- UNamur
- Statbel
- Institut belge des services postaux et des télécommunications
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