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Exit WhatsApp? Pourquoi tant d’utilisateurs passent soudainement à Signal
L’application de messagerie alternative Signal gagne en popularité en Belgique. «Les gens ne migrent pas seulement par souci de protection de leur vie privée, mais aussi par engagement citoyen», explique Mariek Vanden Abeele, professeure de culture numérique. «Par cet acte, ils expriment leur opposition à l’ingérence politique de l’industrie technologique».
Aux Pays-Bas, Signal figure depuis plusieurs semaines en tête des applications les plus téléchargées. En Belgique, le nombre d’inscriptions a également augmenté ces dernières semaines. Ce week-end, l’application a même atteint la deuxième place dans la catégorie «réseaux sociaux» de l’App Store belge d’Apple, surpassant ainsi Telegram et WhatsApp.
«Signal est, tout comme WhatsApp, un service de messagerie mobile permettant d’envoyer des messages texte, des messages vocaux, des photos et des vidéos, en tête-à-tête ou en groupe, explique Mariek Vanden Abeele (Université de Gand). En termes de fonctionnalités, les deux applications se ressemblent beaucoup».
Mais contrairement à WhatsApp – et à sa maison mère Meta – Signal n’est pas une entreprise, mais une organisation à but non lucratif. Pour Meredith Whittaker, présidente de la Signal Foundation, l’application doit fonctionner comme un service de base auquel tout le monde a droit.
«Signal n’a pas d’objectif lucratif, son financement repose sur les dons, explique Mariek Vanden Abeele. Ils ne conservent aucune donnée de leurs utilisateurs, ce qui n’est pas le cas de WhatsApp. Chez Meta, les données sont le cœur du modèle économique».
Un argument majeur: la protection de la vie privée
La grande différence est donc que Signal revendique une protection totale de la vie privée de ses utilisateurs. «Dans le contexte géopolitique actuel, où les « broligarques » semblent émerger, les citoyens s’interrogent sur la sécurité de leurs données entre les mains des géants de la tech», analyse-t-elle.
Si WhatsApp est soumis au règlement européen GDPR, il est autorisé à stocker un grand nombre de métadonnées. Meta ne sait peut-être pas de quoi vous parlez, mais il sait avec qui et à quelle fréquence vous communiquez. «Vu la quantité de données que Meta collecte via ses autres applications, cela représente tout de même une véritable mine d’or», souligne Mariek Vanden Abeele.
Les entreprises technologiques sont allées trop loin. Elles ont exploité les citoyens, et la contre-offensive est en marche.
Mariek Vanden Abeele
professeure de culture numérique
Une montée en flèche après une décision de Mark Zuckerberg
Cette prise de conscience des utilisateurs se reflète dans la hausse des téléchargements de Signal, qui a commencé après la première semaine de janvier dans plusieurs pays européens. A ce moment-là, Mark Zuckerberg – CEO de Meta (WhatsApp, Instagram, Facebook et Threads) – a annoncé qu’il mettait fin à sa collaboration avec les fact-checkers aux Etats-Unis. Le modèle de modération sur certains sujets allait également être modifié. Le 20 janvier, Zuckerberg a occupé une place de choix lors de l’investiture du président américain Donald Trump – après avoir, mi-décembre, fait un don d’un million de dollars pour l’événement.
Les gens se soucient-ils vraiment davantage de leur vie privée aujourd’hui, ou faut-il voir la soudaine popularité de Signal comme un doigt d’honneur à Zuckerberg?
Mariek Vanden Abeele: Je pense que les gens ne passent pas à Signal uniquement par souci de protection de leur vie privée, mais aussi par engagement citoyen. Par cet acte, ils expriment leur opposition à l’ingérence politique de l’industrie technologique. Le revirement de Zuckerberg (NDLR: Trump et Zuckerberg ont longtemps entretenu une relation tendue. Après l’assaut du Capitole en 2021, Meta avait suspendu l’ex-président de Facebook et Instagram) irrite de nombreuses personnes.
Cela s’inscrit cependant dans un mouvement plus large, où les citoyens cherchent à reprendre le contrôle de la technologie. On le voit avec les restrictions des smartphones dans les écoles, avec le droit à la déconnexion inscrit dans la législation du travail, avec le Digital Services Act, qui considère les designs addictifs comme un risque systémique pour les citoyens européens et avec la montée du «débranchement numérique» dans la société. Les entreprises technologiques sont allées trop loin. Elles ont exploité les citoyens, et la contre-offensive est en marche. Les gens en ont assez d’être les esclaves de la technologie.
Tant que tout le monde ne change pas d’application, il est difficile de jeter WhatsApp à la corbeille. Est-il naïf de croire que nous allons bientôt tous remplacer WhatsApp par Signal?
Deux éléments sont nécessaires pour qu’une migration réussisse. Il faut une alternative équivalente. Avec Signal, nous l’avons. L’application n’offre pas encore toutes les fonctionnalités de WhatsApp, mais les différences sont minimes. Et puis, il faut une masse critique d’utilisateurs. Tant que tout le monde communique via WhatsApp, la transition restera compliquée. Mais l’histoire montre que les utilisateurs peuvent changer d’habitudes. Facebook a été immensément populaire, mais beaucoup ont migré vers Instagram. Les jeunes ont délaissé Facebook pour Snapchat.
Cela dit, j’espère que nous ne perdrons pas de vue les aspects positifs des réseaux sociaux.
Mariek Vanden Abeele
professeure de culture numérique
Récemment, quelqu’un m’a suggéré d’instaurer le 15 mars comme «Journée de la transition». C’est le jour où Rome s’est libérée du dictateur Jules César en 44 av. J.-C., après son assassinat par les sénateurs. Une telle journée pourrait accélérer la migration vers Signal. Mais les utilisateurs peuvent aussi commencer petit: Convaincre leur entourage d’adopter Signal, et utiliser temporairement les deux applications en parallèle. Si beaucoup de personnes prennent cette décision, les choses peuvent radicalement changer en deux ans.
Prévoyez-vous un mouvement similaire pour les autres applications de Meta?
Je le pense, oui. Reste à voir combien d’alternatives européennes verront le jour sur le marché. Sur European Alternatives, les citoyens peuvent déjà explorer les plateformes existantes. Cela dit, j’espère que nous ne perdrons pas de vue les aspects positifs des réseaux sociaux.
Les recherches montrent que ces plateformes favorisent la formation de communautés, qu’elles permettent aux utilisateurs d’exprimer leur identité et qu’elles peuvent être une source d’inspiration. Espérons que nous pourrons conserver ces avantages, mais avec des applications qui exploitent moins les individus.
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