Rénover sa maison avec des primes en Wallonie ? Une vraie galère !
Les Wallons désireux de rénover leur logement avec l’aide de primes anticipent peu le parcours du combattant qui les attend: pénurie d’auditeurs, incertitudes financières, pinaillage administratif… La liste des griefs est longue et freine considérablement l’indispensable amélioration du bâti.
Qu’elles semblent a priori séduisantes, les primes Habitation réformées par la Wallonie en 2019! Quand un particulier confie la rénovation de son logement à des entrepreneurs agréés dans un ordre prédéterminé, il peut bénéficier d’aides régionales substantielles, couvrant jusqu’à 70% du montant total des factures. Leur ampleur dépend de la nature des travaux et du niveau de revenus du ménage concerné. «Le passage d’un auditeur et un simple formulaire de demande de prime “Audit” débloqueront le processus qui vous permettra de recevoir des primes pour différents travaux», annonce la Wallonie sur son portail Energie. Voilà pour la théorie, en apparence lisse et soyeuse. La pratique, elle, s’avère bien plus rude et rugueuse. Bon nombre de particuliers initialement motivés, plus encore depuis la flambée des prix de l’énergie, se résolvent à renoncer à ces aides, tant les démarches s’avèrent infructueuses et chrono- phages. «Si les gens savaient à l’avance dans quoi ils s’embarquent, plutôt que de le découvrir en cours de route, la plupart n’essaieraient même pas», soupire un auditeur logement.
Je ne peux que renvoyer les gens vers d’autres auditeurs, probablement tout autant occupés que moi.
Régulièrement, les gouvernements wallon et bruxellois rappellent leur ambition de tripler la cadence des rénovations de logements dans les prochaines années, d’autant qu’une large partie du bâti affiche un certificat de performance énergétique (PEB) particulièrement médiocre. Dans la capitale, les ménages peuvent solliciter les primes «Renolution» afin de rénover leur habitation, sans obligation d’audit préalable. En Wallonie, cette étape n’est plus indispensable pour percevoir une prime liée aux travaux de toiture ou à ceux de moins de 3 000 euros hors TVA. Par ailleurs, elle est provisoirement annulée jusqu’à octobre 2023, pour le seul placement d’une pompe à chaleur ou d’une chaudière biomasse. En revanche, l’audit logement est bel et bien nécessaire dans les autres cas de figure: isolation thermique des murs ou du sol, remplacement des châssis, systèmes de ventilation, etc.
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Une obligation sensée
Sur le principe, l’obligation de solliciter un auditeur agréé a du sens, soulignent de nombreux professionnels. Elle permet de rénover un logement en respectant l’ordre logique des travaux à mener, répartis en différents bouquets. Elle pose des indispensables balises sur le plan qualitatif et donne un aperçu plus clair des dépenses à prévoir. Accessoirement, elle réduit le risque de dilapider l’argent public au profit de rénovations mal exécutées, tout en affinant les connaissances du potentiel énergétique futur du bâti existant. Mais cette contrainte a des conséquences, puisqu’elle accentue la pénurie d’auditeurs logement agréés, compte tenu de la demande subitement élevée. «On l’a d’abord vu avec la pandémie, de nombreux particuliers ont davantage réfléchi à leur habitation, expose Martin Coppens, administrateur à l’Union wallonne des architectes (UWA). Puis la rénovation est devenue une priorité pour énormément de gens avec la hausse des prix de l’énergie.»
Aujourd’hui débordés, certains auditeurs n’acceptent plus de nouveau dossier. D’autres, bien que toujours référencés dans la liste des experts agréés, ont abandonné cette mission il y a quelques années. En conséquence, l’offre ne parvient plus à suivre la demande. «Chacun trouve un moyen de trier les demandeurs, témoigne Françoise Buyse, auditrice logement à Libramont et formatrice au centre IFAPME (institut wallon de formation en alternance et des indépendants et PME) Luxembourg. Il m’arrive fréquemment de décliner des demandes, faute de temps. J’ai choisi de limiter mon périmètre d’action à 25 kilomètres autour de mon domicile, ce qui est vraiment très restreint en province de Luxembourg. Les gens comprennent, mais sont souvent dépités. Je ne peux que les renvoyer vers d’autres auditeurs, qui sont probablement tout autant occupés que moi.» Même ressenti chez cet autre auditeur dans le Brabant wallon, souhaitant garder l’anonymat: «Le milieu de l’audit est victime du succès des rénovations. Comme c’est le cas dans le secteur de la construction, on privilégiera généralement les missions les plus rentables.»
A l’heure actuelle, la Wallonie recense 531 auditeurs agréés dans la liste consultable sur son portail Energie. Un nombre visiblement erroné, puisque le cabinet du ministre de l’Energie, Philippe Henry (Ecolo), en répertorie 488, dont 402 en activité. «L’administration reçoit plus ou moins 700 dossiers par mois, sur la base des données des douze derniers mois, détaille-t-il. Ces dossiers sont déposés, en moyenne, par 190 auditeurs différents. Cela représente plus de 3,5 dossiers par mois pour ces derniers, ce qui constitue une charge importante sachant que, très généralement, ce n’est pas leur activité principale.»
Le niveau de formation requis pour devenir auditeur agréé est bien plus élevé que celui permettant d’accéder à la fonction de certificateur PEB. Chaque centre de formation attend de compter un nombre suffisant de candidats pour sa seule structure avant de prévoir une nouvelle session. Si la crise sanitaire a provoqué un coup d’arrêt dans la continuité des formations et des examens, la discontinuité du soutien politique a, par le passé, incité bon nombre de professionnels à se détourner de cette mission. «Je sais que j’aurai du travail en tant qu’auditrice aussi longtemps que le politique l’impose», résume Françoise Buyse.
L’incertaine chasse aux primes
Pour le demandeur comme pour l’expert mandaté, la chasse aux primes s’avère incertaine. Les projections effectuées dans le logiciel ne correspondront pas nécessairement à la réalité des travaux tels qu’exécutés par l’entrepreneur, ni à l’interprétation par l’administration compétente. «Pour l’isolation d’une toiture, par exemple, elle ne prend pas nécessairement en compte l’ensemble des travaux effectués dans ce cadre-là pour calculer le plafond des primes, commente Martin Coppens. Il existe un flou immense par rapport à cela. Or, pour un grand nombre de particuliers, il est important d’avoir des certitudes sur le montant des primes qu’ils percevront et sur le moment de leur versement.»
Il est désolant de voir que peu de monde semble disposé à faire avancer les choses.
Facturation imprécise, preuves manquantes, matériaux non conformes à ce qui est prescrit… Tout se complique si l’administration bloque le dossier pour l’une ou l’autre raison, une fois les travaux effectués. Les particuliers doivent alors à nouveau faire appel à un auditeur pour corriger le tir, notamment en recontactant les différents corps de métier. «Je comprends que l’administration soit rigoureuse, vu les errements qu’il y a pu y avoir par le passé dans l’octroi de primes, constate l’un d’eux. Mais parfois, certains dossiers sont bloqués pour des clopinettes, malgré une réalisation maîtrisée. J’écris donc des e-mails kilométriques pour que les gens demandent à l’entrepreneur de reprendre textuellement les termes nécessaires dans leur facture. S’ils respectent scrupuleusement toutes les étapes à la lettre et si les entrepreneurs sont bien drillés, alors il y a des chances pour que ça passe, même s’il faudra attendre jusqu’à huit mois avant d’obtenir les primes.»
De ces tribulations peut résulter un climat de défiance entre l’administration et les auditeurs. «Quand on reçoit une réponse négative de la Région, on a parfois l’impression d’être considérés comme des élèves qui ont mal appris, observe Françoise Buyse. Je pense qu’il y a moyen d’être plus coopérants.» A cet égard, l’asbl PEEB, qui représente les professionnels des études énergétiques, propose régulièrement des pistes d’amélioration à l’administration et à la classe politique.
Délais de réponse, coûts prohibitifs des procédures pseudosimplifiées, double emploi entre responsables PEB et auditeurs… «Hormis des modifications logicielles ponctuelles, nous ne recevons, en général, aucun écho à nos propositions. Il est désolant de voir que peu de monde semble disposé à faire avancer les choses», regrette Alain Meessen, ingénieur architecte et vice-président de l’association. «En raison de la charge de travail des agents et facilitateurs de l’administration, ceux-ci s’occupent des demandes urgentes, par exemple celles qui bloquent l’envoi de documents ou qui font part d’erreurs de calculs, rétorque le cabinet du ministre de l’Energie. Le reste des demandes est listé et réparti en interne selon les compétences.»
En off, certaines sources indiquent que l’administration dispose déjà d’un dossier visant notamment à fusionner auditeurs et responsables PEB, ce qui implique de dégager des budgets. «Tant que le politique ne le met pas au-dessus de la pile, rien ne bougera, indique l’une d’elles. Mais je pense que les solutions arrivent.» En avril dernier, la Wallonie a confié une mission de 18 mois au consortium Reno+, composé de trois partenaires du secteur de la construction – le pôle de compétitivité Greenwin, la Confédération construction wallonne (CCW) et le Centre scientifique et technique de la construction (CSTC) – afin d’accélérer et augmenter les rénovations de logements. Cette initiative ne convainc toutefois pas tout le monde. «J’y vois surtout une élucubration de théoriciens qui ne font pas d’audit, soupire Alain Meessen. En attendant, elle a déjà capté un subside de 3,25 millions d’euros. Il faut d’abord discuter des priorités: la massification des rénovations viendra toute seule si on remet les choses en ordre pour que ce soit massifié.»
D’après le cabinet du ministre Henry, la proportion de refus de primes ne s’élèverait qu’à environ 5% des dossiers introduits, principalement en raison du non-respect des critères. Un chiffre qui ne dit cependant rien du parcours du combattant bien réel pour faire aboutir les 95% restants.
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