Quand les panneaux photovoltaïques s’arrêtent net: quel impact pour les propriétaires?
Trop de panneaux tuent le panneau… Des installations photovoltaïques s’arrêtent net car le réseau électrique est incapable d’absorber leur production. Avec quelles répercussions pour le rendement et le portefeuille des propriétaires concernés ?
Le chemin vers la transition énergétique n’est pas sans embûches. Certains propriétaires de panneaux photovoltaïques l’ont découvert à leurs dépens. Car si de plus en plus de petits rectangles bleus ou noirs garnissent nos toits, le rythme de ce développement s’accompagne aussi de désagréments. Parmi ceux-ci, le problème de décrochage de l’onduleur, ce boîtier qui convertit le courant continu généré par les panneaux en courant alternatif adapté au réseau électrique de la maison.
Petite mise au point technique pour comprendre: lorsque l’électricité produite par les panneaux photovoltaïques n’est pas consommée, elle est injectée sur le réseau de distribution. Lorsqu’il y a beaucoup de panneaux dans une rue ou un quartier, il y a donc aussi beaucoup d’électrons qui rejoignent le réseau simultanément. Parfois trop. Le réseau est alors en «surtension» et envoie un signal à l’onduleur qui se met en mode «sécurité», forçant les panneaux à stopper leur production. Pour le prosumer (le propriétaire de panneaux photovoltaïques), c’est donc une perte. «Il faut imaginer de l’eau dans un canal. A partir du moment où la capacité de celui-ci est atteinte, ça déborde. L’électricité ne déborde pas, mais les fils fondent. Pour éviter ça, l’onduleur décroche», détaille Jean-Michel Brebant, porte-parole d’Ores, le gestionnaire de réseau (GRD).
Certains utilisateurs connaissent des décrochages quotidiens. La perte peut alors se chiffrer à plusieurs centaines d’euros.
Des centaines de plaintes
Le problème n’est pas nouveau, mais plus il y a de panneaux photovoltaïques regroupés dans un même endroit, plus il y a d’injection sur cette portion de réseau et plus il s’intensifie. S’il est impossible d’avoir une vue précise sur quel onduleur décroche et à quel moment (puisque les boîtiers se trouvent chez les particuliers), le nombre de plaintes, lui, ne cesse de grimper.
En région liégeoise, le GRD local, Resa, en a reçu quatre cents l’an passé. Chez Ores, elles sont passées de 929 en 2020 à 1 590 l’année dernière (+ 71%). Même en Flandre, où le réseau est plus performant, Fluvius compte également son lot de mécontents. «En 2022, nous avons reçu 2 500 plaintes de clients, notamment durant les périodes très ensoleillées. Dans la majorité des cas, le décrochage dure de quelques minutes à un quart d’heure», précise son porte-parole Björn Verdoodt. Sauf qu’ici et là, on reconnaît que le problème est sans doute sous-estimé. «Pour l’instant, ce n’est pas un phénomène “massif”, mais il ne s’agit que des plaintes enregistrées et il est clair qu’il existe davantage de cas», reconnaît Jean-Michel Brebant. «C’est en effet plus répandu qu’on ne le pense. Car si le prosumer ne surveille pas son onduleur, il ne se rend même pas compte qu’il a décroché», s’agace Rémi Thirion, vice-président de l’asbl Beprosumer, qui défend les propriétaires de panneaux.
Surtout en zones rurales
Où les onduleurs décrochent-ils? Principalement dans les zones rurales à forte concentration de panneaux. Excluons d’emblée Bruxelles, où le problème est quasi inexistant, car on y compte peu de panneaux et un réseau très maillé. Sur le réseau Ores, les plaintes viennent en grande majorité de localités de la province de Namur, puis dans une moindre mesure de la province de Luxembourg, du Brabant wallon et de la partie sud de Charleroi. «C’est dû à la fois à la pénétration du photovoltaïque et aux conditions d’exploitation du réseau», explique Jean-Michel Brebant. En Flandre, c’est surtout dans le Limbourg que ça pêche. «Notamment à la campagne, quand il n’y a pas beaucoup d’habitations et où les maisons sont connectées sur des lignes du réseau électrique assez longues», note le porte-parole de Fluvius. Niveau timing, les onduleurs décrochent surtout quand il y a beaucoup de soleil et que les panneaux tournent à plein régime. «Le mois de mai est le pire, indique Rémi Thirion. Les panneaux sont plus performants car les températures restent fraîches et l’ensoleillement est bon.»
Des pertes photovoltaïques variables
Pour le prosumer, tout cela est évidemment synonyme de pertes de rendement, et donc d’argent. Combien? Tout dépend de l’installation, mais aussi de la fréquence et de la durée des coupures. Pas évident, dans ces circonstances, d’avancer des chiffres précis. Chez Techlink, la fédération des installateurs photovoltaïques, on s’est tout de même risqué à un petit calcul sur la base d’une installation moyenne de 5 kWc (environ treize à quatorze panneaux), avec une orientation moyenne. Le résultat montre un impact plutôt limité.
«Si on prend un arrêt d’une quinzaine de minutes en plein mois de juin à 13 heures, cela représente une perte de 1 kWh, soit 50 centimes de perte. C’est assez négligeable», commente Arnaud Etienne, responsable énergies renouvelables dans la structure. Si les coupures sont fréquentes, ça peut tout de même chiffrer rapidement. Chez Beprosumer, on assure que certains utilisateurs connaissent des décrochages quotidiens lorsqu’il y a du soleil. La perte est alors de plusieurs dizaines, voire centaines d’euros. Sans doute pas de quoi entamer la rentabilité des panneaux (toujours estimée entre quatre et sept ans en Wallonie, selon l’installation et l’orientation des panneaux), mais tout de même exaspérant. D’autant qu’en Flandre, une compensation annuelle de 7,50 euros par kVA est prévue pour les clients concernés. Dans le sud du pays: nada.
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D’indispensables investissements
A son échelle, le prosumer peut mettre en place quelques actions pour limiter les décrochages. Autoconsommer au maximum (consommer l’électricité au moment où elle est produite) lorsqu’il fait beau, par exemple, pour éviter que les panneaux n’envoient trop d’électricité sur le réseau. Chez Beprosumer, on ajoute une autre piste, un brin technique. «Certains onduleurs ne sont pas réglés aux normes actuelles et décrochent trop facilement. En rentrant dans l’interface de l’onduleur, on peut modifier ça. Mais la démarche est épineuse», prévient Rémi Thirion.
Dans tous les cas, mieux vaut rapidement contacter son GRD. «Parfois, il suffit de connecter l’installation sur une autre phase du réseau, qui n’est pas encombrée par les voisins. Le problème, c’est que les GRD n’ont aucune idée de qui est connecté où, sur quelle phase. Les connexions ont été réalisées de manière aléatoire», tempête notre interlocuteur. Dans le futur, les choses devraient être plus facilement détectables grâce au déploiement des compteurs communicants.
Parfois, le souci se règle directement à la cabine électrique. «On peut y faire des réglages. Si ça ne suffit pas, on peut installer une cabine supplémentaire. Mais l’opération peut prendre plus d’un an.» En réalité, le problème de fond ne sera pas résolu sans investissements massifs dans les réseaux électriques, non conçus aujourd’hui pour faire face aux nouvelles habitudes de consommation. Avec des enjeux qui vont bien au-delà des problèmes de décrochage de l’onduleur. «Dans le futur, notre réseau électrique doit pouvoir accueillir tant les nouvelles productions que les nouveaux usages: mobilité électrique, rechargement des voitures, pompes à chaleur, panneaux photovoltaïques, etc.», reconnaît-on chez Resa. Pour cela, l’entreprise publique prévoit un plan industriel d’investissements de plus de 820 millions pour les vingt prochaines années (en cours de validation par la Cwape, la Commission wallonne pour l’énergie). Chez Ores, un même plan prévoit notamment une modernisation du réseau à 400 volts (contre 230 actuellement). En Flandre, enfin, quatre milliards d’euros viennent d’être ajoutés au plan initial pour rendre le réseau électrique plus performant. Tout cela sera-t-il suffisant? Tout le monde n’en est pas convaincu. «Par ce manque d’investissements, on se dirige, selon nous, vers un scandale plus grand que celui de la bulle photovoltaïque de 2013», lâche Rémi Thirion.
Gare aux travaux et aux saletés
Outre le phénomène de décrochage de l’onduleur, on relève d’autres facteurs qui réduisent ou coupent directement la production photovoltaïque. Premier exemple: les travaux sur une ligne électrique. Un groupe électrogène est alors installé par le gestionnaire de réseau pour fournir du courant à la rue. «Il provoque le décrochage de l’onduleur car le niveau de tension ne correspond plus», précise Jean-Michel Brebant, porte-parole d’Ores. En général, les prosumers sont prévenus et le désagrément est négligeable si l’intervention ne dure que quelques heures. Si elle perdure plusieurs mois, c’est une autre affaire, pour laquelle il n’existe pas de solution, si ce n’est prendre son mal en patience.
D’autres petits pépins peuvent être causés par une salissure excessive. «Ça peut être la poussière parce qu’il y a une carrière ou une cimenterie à proximité, des fientes d’oiseau, etc.» ou l’arbre du voisin qui a poussé et qui fait de l’ombre, énumère Arnaud Etienne, de Techlink, qui assure que ces situations, hormis l’ombrage, sont plutôt rares car les panneaux s’autonettoient grâce à leur inclinaison et la pluie. Enfin, le problème peut découler d’un défaut de fabrication du panneau. «Le plus embêtant, c’est la panne de l’onduleur. Le principal conseil que l’on donne, c’est de bénéficier d’une garantie de minimum dix ans», insiste Olivier Lesage, expert énergie chez Testachats, qui rappelle qu’en cas de problème, il est aussi possible de faire appel à son assurance incendie (ou habitation) qui couvre théoriquement les panneaux.
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