Alexander De Croo et Tinne Van der Straeten.

Nucléaire: voici le plan du gouvernement fédéral pour les négociations avec Engie (info Le Vif)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La prolongation de dix ans des réacteurs nucléaires de Doel 4 et Tihange 3, décidée en mars par le gouvernement De Croo, fait l’objet de négociations difficiles avec l’exploitant, Engie-Electrabel. Alexander De Croo et la ministre de l’Energie Tinne Van der Straeten ont présenté la situation à leurs collègues ministres. Voici leur plan.

Le 28 octobre, Alexander De Croo convoquait ses vice-premiers ministres pour un kern notamment consacré au nucléaire. Avec l’écologiste Tinne Van der Straeten, il a fait le point sur l’évolution des négociations avec Engie, et obtenu des représentants des sept partis de la Vivaldi, un mandat clair, visant à les boucler avant la fin de l’année. Cette note de sept pages nous est parvenue. « L’équipe Belgique », comme ils s’appellent dans cette négociation, est composée du libéral et de l’écologiste flamands, avec, bien entendu, une batterie de collaborateurs et de fonctionnaires, mais aussi le conseil de cabinets spécialisés (Eubelius, Clifford Chance, Lazare et l’homme d’affaires Gérard Lamarche). Trois groupes de travail ont été installés : le premier sur le « LTO » (la prolongation de l’exploitation à long terme des centrales nucléaires Doel 4 et Tihange 3) à proprement parler, le deuxième sur la gestion des déchets nucléaires, et le troisième sur la structure à donner à l’entité chargée d’exploiter ces deux réacteurs.

Le « LTO »

Après avoir signalé que, pour ce qui relevait de sa seule responsabilité, le gouvernement était dans les temps pour que les deux réacteurs soient bien relancés en novembre 2026 (l’étude d’impact environnemental sera ainsi prête pour fin 2022), Alexander De Croo et Tinne Van der Straeten rappellent un planning déjà un peu dépassé : « En exécution de cette notification, Engie et le gouvernement belge ont signé une lettre d’intention non contraignante le 21 juillet 2022, dans laquelle les deux parties ont convenu de poursuivre les discussions sur la faisabilité et les conditions du LTO de D4 et T3, en vue de la signature d’un Heads of Terms (HoT) (définissant les principaux termes et objectifs de la transaction), d’un Joint Development Agreement (relatif au lancement des études et à la préparation du LTO et au partage des coûts éventuels de celui-ci) d’ici fin septembre 2022, et d’accords juridiques définitifs d’ici le 31 décembre 2022 », expliquent-ils, avant de déplorer qu’à « ce jour, le gouvernement n’a pas reçu d’engagement de la part d’Engie pour commencer les études et les travaux préparatoires du LTO. Engie continue de lier le démarrage à la signature du JDA et du HoT, ce qui accroît la pression sur la livraison du LTO en temps voulu, au plus tard en novembre 2026 ».

C’est une des premières « key issues » que soulignent les deux ministres : le calendrier et les coûts du « LTO ». « En ce qui concerne le calendrier de redémarrage des unités D4/T3, Engie ne souhaite pas s’engager sur la disponibilité de D4/T3 d’ici novembre 2026 car un certain nombre de variables échappent à son contrôle », déplorent les coéquipiers gouvernementaux. N’empêche, insistent-ils, « l’équipe belge demande instamment que les études sur le LTO se poursuivent /démarrent immédiatement ». Engie, notamment, veut que le coût, astronomique, de gestion des déchets nucléaires, soit plafonné. Et spécialement, bien sûr, pour les déchets produits par les deux réacteurs prolongés à la demande, précipitée, du gouvernement belge. Elle veut aussi que les autorités belges interviennent dans le coût du démantèlement. La multinationale, en position de force, veut des garanties de l’Etat à cet égard. « En ce qui concerne le coûts du LTO, Engie demande un mécanisme de soutien basé sur les frais encourus, une sorte de système cost-plus, avec un rendement minimum et le remboursement des coûts fixs en cas de non fonctionnement des centrales et ce quelle qu’en soit la cause », explique la note. Or, insistent Tinne Van der Straeten et Alexander De Croo, « Engie, qui sera l’exploitant des installations nucléaires, doit assumer la coresponsabilité opérationnelle et financière de leurs performances et de leur disponibilité ». A la question, posée par le Premier ministre et sa ministre de l’Energie sur cette key issue, leurs collègues vice-premiers ministres ont répondu par l’affirmative : « Le gouvernement maintient-il le lien entre le plafond sur le coût des déchets et la disponibilité des D4/T3 avec un LTO ? Le gouvernement peut-il accepter une exception s’il est démontré que le retard est dû à des modifications réglementaires ou à des décisions prises par les instances publiques concernées ? »

Les déchets

Pour ce qui concerne le cap plus lointain des déchets nucléaires, la dernière estimation de l’ONDRAF, l’organisme chargé de les calculer, les jauge à 10 milliards d’euros, à charge d’Electrabel et de Synatom (la société codétenue par l’Etat-qui n’en a qu’une action- et Electrabel et qui  se charge des coûts de démantèlement des centrales et des coûts de gestion des combustibles usés jusqu’à leur stockage définitif, à charge, lui, de l’ONDRAF).

L’occasion de cette négociation est idéale pour Engie, qui y voit une manière d’alléger cette gigantesque facture, aux dépens des comptes publics du royaume. Engie, expliquent les deux membres de l’équipe Belgique, « ne souhaite pas que les marges et les sensibilités soient prises en compte dans le calcul du plafonnement du coût des déchets : elle s’écarte d’un scénario de base déterministe ».  « En pratique, cela signifierait que l’Etat belge paierait le coût du stockage à partir de 2032 au lieu de 2066 », établissent-ils.

A ces deux questions, posées par le Premier ministre et sa ministre de l’Energie sur cette key issue, leurs collègues vice-premiers ministres ont répondu par la négative :

« En ce qui concerne la méthode et le champ d’application du plafond, le Kern devrait commenter la dérogation demandée par Engie à la méthode utilisée par l’ONDRAF pour déterminer les passifs financiers liés aux déchets :

  • Le gouvernement fédéral est-il prêt à accepter le stockage dit provisoire (et donc pas seulement les déchets acceptés et gérés par l’ONDRAF) et à y associer le transfert du risque jusqu’en 2032 au lieu de 2066 ?
  • Le gouvernement fédéral est-il prêt à faire abstraction des sensibilités/marges des provisions ? »

La structure

L’idée d’Engie est déjà ancienne : la multinationale française veut fonder une filiale, une société distincte, dans laquelle elle rangerait toutes ses activités en lien avec le nucléaire. Cette entité juridique nouvelle serait celle qui, conjointement avec l’Etat belge, en constituerait une autre, un Special Purpose Vehicle (SPV), spécifiquement pour les deux réacteurs de Doel 4 et Tihange 3. En devenir propriétaire impliquerait, évidemment, une responsabilité plus grande dans le coût du démantèlement et de traitement des déchets, au moins des deux réacteurs concernés. C’est pourquoi, dit la note validée par le kern, « l’équipe de négociation belge ne voit pas la nécessité de prendre la moitié de la propriété de ces centrales ». Bref,  « l’Etat belge accepte, comme indiqué dans la lettre d’intention, de participer financièrement à 50/50 à la SPV et de partager les bénéfices et les risques de l’exploitation des deux réacteurs », mais sans plus.

A la question, posée par le Premier ministre et sa ministre de l’Energie sur cette key issue, leurs collègues vice-premiers ministres ont répondu par l’affirmative : « Le gouvernement souhaite-t-il demander à Engie d’autres garanties ou des garanties supplémentaires ou à la place dela PCG (c’est-à-dire une garantie non plafonnée de la société mère Engie SA) afin de s’assurer que la SPV peut continuer à faire face à toutes ses obligations (y compris tous les coûts de démantèlement, le remboursement des prêts, la sous-performance des investissements…) ? »

On le voit, le mandat donné, sous forme de réponses à ces questions, aux deux négociateurs de l’équipe Belgique, est assez serré. Et durci. Il témoigne de la difficulté dans laquelle se trouve la Belgique face à un opérateur qui n’était pas demandeur de cette prolongation nucléaire. En conclusion de leur présentation, Alexander De Croo et Tinne Van der Straeten font toutefois assaut d’optimisme. « La position d’Engie, disent-il, permet de constater des progrès : Engie est prêt à financer entièrement la prime de risque. En outre, Engie comprend également les préoccupations du gouvernement belge concernant la viabilité de l’opérateur nucléaire à créer et la nécessité de fournir les garanties nécessaires. » La multinationale française devrait donner ses réponses, sur les trois key issues dans les jours qui viennent. C’est urgent. Et depuis longtemps.

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