Marché de l’électricité: les pays de l’UE en quête d’un accord, le nucléaire divise

Les Européens tentent lundi de s’accorder sur une réforme de leur marché de l’électricité pour éviter que se répète la flambée des prix de 2022, sur fond de divergences entre Paris et Berlin quant aux modalités du soutien étatique aux centrales nucléaires existantes.

Plutôt qu’une refonte complète découplant les prix de l’électricité des cours du gaz –qui avaient alimenté l’envolée l’an dernier–, la Commission européenne avait proposé mi-mars d’accroître le recours aux contrats de long terme pour les énergies décarbonées, afin de protéger les consommateurs de la volatilité et d’encourager les investissements dans les renouvelables et le nucléaire.

Les ministres européens de l’Energie mènent au Luxembourg d’ultimes négociations pour arrêter leur position, en vue de pourparlers avec les eurodéputés.

Si nombre d’aspects font consensus –comme le déploiement de contrats de gré-à-gré entre producteur et consommateur (PPA)–, les Vingt-Sept se déchirent sur les modalités de « contrats pour la différence » (CFD) à prix garanti par l’Etat.

Dans ce mécanisme, le producteur d’électricité doit reverser les revenus engrangés si le cours sur le marché de gros est supérieur au prix garanti, mais perçoit une compensation dans le cas contraire.

Bruxelles proposait que tout soutien public à de nouveaux investissements dans la production d’électricité décarbonée se fasse impérativement via des CFD. Y compris dans le nucléaire et les centrales existantes s’il s’agit de doper leur capacité ou de prolonger leur existence.

C’est un point crucial pour la France, qui pourrait ainsi financer la réfection du parc nucléaire français.

L’absence d’un tel mécanisme pour prolonger les centrales nucléaires pourrait entraîner « des difficultés importantes en matière de sécurité d’approvisionnement comme de capacité à tenir nos objectifs climatiques », a plaidé lundi la ministre française Agnès Pannier-Runacher.

D’autres Etats, Allemagne en tête, s’y opposent farouchement: le ministre allemand de l’Economie Robert Habeck a pointé le danger de « distorsions de marché » entre pays aux mix énergétiques très divers.

« Cadeau »

Le Luxembourgeois Claude Turmes a fustigé « un énorme cadeau au nucléaire français », qui bénéficierait d’une manne conséquente au risque d’handicaper l’essor des renouvelables. 

Les discussions reflètent la vive division entre les pays de l' »alliance pro-nucléaire » réunie par Paris, qui misent sur l’atome pour accélérer leur décarbonation, et les pays rétifs au nucléaire, emmenés par Berlin.

Ce désaccord a compliqué les négociations sur la loi « renouvelables »: plusieurs mois après l’accord conclu entre Conseil (Etats membres) et eurodéputés, les Vingt-Sept l’ont entériné vendredi avec un compromis permettant à la France de tenir compte de l’hydrogène produit avec de l’électricité nucléaire pour calculer ses cibles d’hydrogène vert.

Le différend hante aussi les discussions sur le texte « industrie zéro émission nette » promouvant les technologies vertes.

Autre pomme de discorde lundi: l’usage des recettes tirées des CFD, que la Commission proposait de redistribuer entièrement aux clients sur la base de leur consommation: « Il faut des flexibilités accrues » pour soulager significativement les industriels, a argué M. Habeck.

Espagne et Portugal souhaitent également pérenniser le plafonnement des revenus des renouvelables et du nucléaire, aux coûts de production très en-deçà du marché: une mesure de crise adoptée en 2022, mais dont la prolongation dissuaderait les investisseurs aux yeux d’une majorité d’Etats membres.

« Climaticide »

Bruxelles entend généraliser les « mécanismes de capacité », dans lesquels l’Etat peut rémunérer la capacité disponible d’une centrale, pour garantir son maintien et ainsi se prémunir contre toute pénurie d’électricité. 

La Pologne réclame d’appliquer momentanément cet outil aux centrales à charbon dont elle dépend fortement. « Si un pays est en danger (énergétique), tous le sont », fait valoir sa ministre Anna Moskwa. 

Pour la satisfaire, un projet de compromis abaisse les standards d’émission fixés, mais c’est une ligne rouge pour nombre d’Etats (Autriche, Allemagne, Belgique, Luxembourg etc).

« Nous avons (encore) besoin des centrales au charbon mais leur donner des subventions accrues » est « une erreur, incompatible avec les objectifs climatiques », a fustigé M. Habeck. « Nous avons besoin d’un marché pour l’avenir et non pour le passé », a fait valoir l’Autrichienne Leonore Gewessler.

« Il faut tenir compte des réalités de chaque pays pour s’assurer de sa capacité à fournir en énergie sa population », a cependant relevé Mme Pannier-Runacher. 

L’ONG Greenpeace et la coalition Réseau Action Climat se sont alarmés d’un possible soutien de Paris à cette « proposition climaticide ».

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