L’Europe (et la Belgique) croulent sous les panneaux solaires chinois : « Tout bénef pour les particuliers, mais… »
Les fabricants européens de panneaux photovoltaïques tirent la sonnette d’alarme. Asphyxiés par la concurrence chinoise, ils seraient sur le point de couler. Cet afflux de panneaux solaires chinois est-il problématique pour l’avenir énergétique européen ?
Une course contre-la-montre ». C’est ce dans quoi sont engagés les fabricants européens de panneaux solaires, selon le European Solar Manufacturing Council (ESMC), l’organisation qui défend leurs intérêts. Depuis plusieurs mois, le secteur multiplie les cris de détresse. Le principal responsable pointé du doigt ? La Chine.
En un rien de temps, les panneaux solaires chinois ont inondé le Vieux Continent. Désormais, pratiquement tous les panneaux photovoltaïques installés en Europe ont transité par la Chine. Il y en aurait même trop. L’ESMC estime qu’il existe actuellement un stock de 140 à 170 millions de modules photovoltaïques dans les ports et entrepôts européens. Soit une capacité de 70 à 85 GW.
« Les décisions critiques potentielles doivent être prises aujourd’hui, sans quoi les générations futures seront affectées, ce qui sapera sérieusement les aspirations de l’UE à un avenir énergétique durable et résilient. »
Johan Lindhal secrétaire général de l’ESMC.
Grâce à de généreuses subventions, la Chine propose des prix très attractifs. Trop, selon l’industrie européenne, qui ne peut pas lutter. Les derniers fabricants européens se retrouvent avec d’énormes stocks d’invendus. Forcément, leur santé financière s’en retrouve fortement affaiblie. Le secteur appelle le monde politique à la rescousse. « Les décisions critiques potentielles doivent être prises aujourd’hui, sans quoi les générations futures seront affectées, ce qui sapera sérieusement les aspirations de l’UE à un avenir énergétique durable et résilient », alerte Johan Lindhal, secrétaire général de l’ESMC.
Des prix riquiqui, oui, mais quid de la qualité ?
Selon les fabricants européens, les risques liés à cette dépendance à la Chine sont nombreux et mettraient en péril la sauvegarde (et la création) d’emplois en Europe. Mais au niveau qualitatif, les panneaux européens et chinois présentent-ils des différences ?
« Les particuliers savent que tout vient de Chine, mais ils s’en moquent. L’essentiel, c’est que ça préserve leur portefeuille. 100% des panneaux que j’installe sont chinois. »
Hamza El Hajjaji, patron de Solar Group
A priori, le matériel importé de Chine est de bonne qualité, assure Hamza El Hajjaji, patron de l’entreprise wallonne d’installation photovoltaïque Solar Group. « Honnêtement, les panneaux solaires chinois sont très bons. Et comme ils sont beaucoup moins chers, c’est impossible de les concurrencer. C’est un rouleau compresseur, explique-t-il. « Aujourd’hui, le particulier peut faire installer dix panneaux pour 5.000 à 6.000 euros. Il y a un an, c’était encore inconcevable ».
De la qualité à petits prix : les particuliers sont preneurs. « Ils savent que tout vient de Chine, mais ils s’en moquent, ajoute Hamza El Hajjaji. « L’essentiel, c’est que ça préserve leur portefeuille. 100% des panneaux que j’installe sont chinois. »
Si l’afflux de panneaux clairement estampillés made in China est récent, l’importation de produits chinois l’est par contre moins. « Cela fait déjà de nombreuses années que les cellules et les onduleurs viennent de Chine, assure-t-il. Mais avant, les marques européennes ajoutaient une finition et en profitaient pour indiquer que les panneaux étaient fabriqués en Europe. Maintenant, la provenance est assumée. On vend ‘chinois’ et on achète ‘chinois’ : c’est presque devenu un gage de qualité ».
Du côté de l’industrie, on rappelle tout de même que certaines entreprises européennes restent à la pointe en termes d’innovation. En témoigne le record d’efficacité établi la semaine dernière par la société britannique Oxford PV : un panneau atteignant un rendement de conversion de 25%.
Alors, où est le problème, avec les panneaux solaires chinois ?
Si on n’a visiblement rien à reprocher à la qualité des panneaux chinois, les fabricants européens ont d’autres arguments à faire valoir. En premier lieu, la volonté (affichée par la Commission elle-même) de sauver le made in Europe. L’Europe a tiré des enseignements de sa dépendance à la Russie sur le plan des combustibles fossiles et voudrait, idéalement, éviter de reproduire pareil schéma pour le renouvelable.
Il y a aussi le volet purement économique. Selon PowerSolar Europe, un secteur solaire européen robuste pourrait employer 1 million de travailleurs en 2025. Un fameux bond par rapport aux 650.000 de fin 2022.
D’autant plus que là où on ne peut pas faire apparaître par magie du pétrole ou du gaz sur le Vieux Continent, il doit y avoir moyen de redynamiser une industrie du photovoltaïque en Europe, souligne Francesco Contino, professeur à l’Ecole Polytechnique de l’UCLouvain. « Ici, la dépendance à la Chine n’est pas une dépendance subie, estime-t-il. « On peut même presque parler d’une dépendance qui nous arrange, vu que les coûts sont réduits. »
Ici, la dépendance à la Chine n’est pas une dépendance subie. On peut même presque parler d’une dépendance qui nous arrange, vu que les coûts sont réduits. »
Francesco Contino, professeur à l’Ecole Polytechnique de l’UCLouvain
Il ajoute que comme la transition doit s’accélérer, on n’a pas forcément le temps d’être trop regardant sur l’origine des panneaux photovoltaïques. Bien qu’il faille tout de même s’assurer de la solidité des standards environnementaux et sociaux chinois, nuance-t-il.
Du travail forcé à l’origine des panneaux solaires chinois
Le professeur Contino ne croit pas si bien dire. Il est prouvé que les plus grands fabricants de panneaux solaires s’approvisionnent en matières premières extraites ou traitées dans le Xinjiang. Une région connue pour être un haut lieu de la production de polysilicium, un élément de base des panneaux photovoltaïques. Or, c’est aussi dans le Xinjiang que des Ouïghours sont placés dans des « camps de rééducation » par le Parti communiste chinois et soumis à du travail forcé. En 2021, une étude de la Sheffield Hallam University a permis d’établir que 11 entreprises du secteur profitaient directement de travail forcé et que 90 autres voyaient leur chaîne d’approvisionnement affectée par ce phénomène. L’an dernier, lors d’une mise à jour de cette étude, les chercheurs n’ont observé que très peu de changements : pire, ce qu’il reste de transparence s’efface progressivement.
C’est un terrain sur lequel les entreprises européennes estiment se démarquer. « En termes d’avantages, nous savons que l’Europe dispose de normes environnementales et sociales parmi les plus élevées au monde, ce qui constitue un avantage concurrentiel indéniable et mérite d’être soutenu », avance SolarPower Europe, une autre organisation représentant le photovoltaïque européen.
Du côté de l’ESMC, on met aussi en avant une étude allemande concluant à une plus faible empreinte carbone (environ 40%) des modules photovoltaïques fabriqués en Europe par rapport à ceux issus de Chine.
Quelles solutions ?
Du côté de l’industrie, on appelle à la mise en œuvre de mesures de soutien d’urgence. Celles prévues par le Net-Zero Industry Act (NZIA) sont les bienvenues, mais elles risquent d’arriver trop tard. Selon l’EMSC, il faut agir d’ici deux mois. En établissant, par exemple, un mécanisme de rachat au niveau de l’UE pour les stocks de modules photovoltaïques accumulés en son sein.
Sans cela, des mesures de défense commerciale deviendront « le dernier recours inévitable », prévient l’EMSC. Pour le coup, l’UE serait particulièrement mal positionnée. « Toute mesure potentielle doit être mise en balance avec les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de transition énergétique », a encore rappelé ce lundi la commissaire européenne aux Services financiers, Mairead McGuinness. Traduction : l’Europe dépend déjà tellement de la Chine qu’elle ne peut plus vraiment revenir en arrière.
En 2023, les pays de l’UE ont installé 55,9 GW de nouvelles capacités d’énergie solaire. Soit 40% de plus qu’en 2022. Et les produits chinois y sont pour beaucoup.
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