les prix du gaz
Pour l'expert des questions énergétiques Damien Ernst (ULiège), les prix du gaz pourraient baisser de 15% d'ici janvier.

« Les prix du gaz pourraient diminuer de 10 à 15% en décembre » : la crise énergétique est-elle vraiment derrière nous ?

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les prix du gaz sont stabilisés mais toujours deux fois supérieurs à l’avant crise énergétique. Quelles perspectives pour cet hiver ? Passage en revue des différents enjeux avec Damien Ernst, professeur à l’ULiège et spécialiste des questions énergétiques, et Adel El Gammal, professeur en géopolitique de l’énergie (ULB).

Quelle est la situation actuelle concernant les prix du gaz ?

Damien Ernst (ULiège) : « Les prix du gaz sont légèrement à la baisse par rapport à ce qu’on observait fin septembre. Pour le gaz, on se situe aux alentours de 42-43 euros par mégawattheure. La seule période durant ces deux dernières années où les prix ont été inférieurs aux prix actuels, c’était tout début octobre, où le prix du gaz se situait aux alentours de 41 euros par mégawattheure. Ensuite, la guerre entre Israël et le Hamas a créé une instabilité géopolitique, dans une région très productrice de combustibles fossiles. Cela a relancé les prix à la hausse. Depuis deux semaines, ils sont repartis à la baisse. On est en train de rejoindre ce niveau de début octobre. »

Adel El Gammal (ULB) : « Le gaz en Europe se situe depuis plusieurs mois dans une tranche de 45 à 55 euros du mégawattheure. Maintenant, il se stabilise en 40 et 45. On semble pouvoir anticiper une stabilisation dans cette fourchette de prix. »

Peut-on s’attendre à une stabilisation pour les prix du gaz sur le long terme, voire une baisse des prix ?

Damien Ernst : « Les fondamentaux du marché poussent les prix vers le bas. D’ici janvier, le prix du gaz se situera probablement au niveau de 35 euros par mégawattheure. Sur les marchés de gaz (mais aussi de l’électricité), on peut s’attendre à une diminution de 10 à 15% d’ici la fin de l’année. Sauf en cas de nouveaux événements géopolitiques/militaires. Des attaques sur des gazoducs ou des bateaux, ou des embargos de certains pays pourraient créer de grosses instabilités sur les marchés. Mais sans cela, il est probable qu’on perde 15%. Cependant, il est toujours bon de contextualiser : 42 euros par mégawattheure, c’est tout de même deux fois plus élevé que le prix que l’on payait avant la crise du gaz. »

Adel El Gammal : « Vu le contexte géopolitique extrêmement perturbé et tendu, on ne peut en effet pas exclure un acte de sabotage soit sur des méthaniers, soit sur des pipelines. Beaucoup d’éléments exogènes pourraient relancer la crise. »

Quels sont les facteurs qui expliquent cette stabilisation ?

Adel El Gammal : « Les stocks de gaz européens sont remplis à ras bord. Mi-novembre, ils l’étaient à 99%. Ils sont si remplis qu’il y a même eu des exportations en-dehors de l’Europe. En 2021, avant la guerre en Ukraine, les réserves pointaient seulement à 72%.

Ensuite, on constate peu de tensions sur le marché du LNG, du fait que la croissance économique est relativement faible pour le moment, notamment en Chine. Le marché du LNG réagit très fort à la croissance économique chinoise, grande consommatrice de gaz. Et comme la consommation de gaz est plus faible que prévu, cela contribue à réduire les tensions sur le marché.

Quatre éléments peuvent expliquer la stabilisation des prix sur le marché du gaz: un début d’hiver doux, peu de tensions sur le marché des LNG, des stocks européens remplis et une diversification de l’approvisionnement.

Adel El Gammal

Enfin, l’amortissement du choc peut aussi s’expliquer par le fait que l’Europe a énormément progressé sur la diversification de son approvisionnement. En d’autres termes, on a réussi à remplacer une grande partie de l’apport russe en pipeline par des approvisionnements de LNG (notamment avec des importations américaines en très nette augmentation). L’UE reste encore très dépendante des apports extérieurs puisqu’elle en produit peu, hormis la Norvège. Des mécanismes de régulation des prix ont également été mis en place l’année passée par la Commission européenne. Par ailleurs, le début de l’hiver a été assez doux. »

Est-ce qu’on peut dire pour autant que la crise du gaz appartient au passé ?

Damien Ernst : « Avant, faisait face à une « extra-crise ». Maintenant, on a juste une crise avec des prix deux fois plus élevés que la moyenne. Cela reste une crise. On le voit aussi dans l’évolution du secteur industriel européen, qui souffre beaucoup par rapport aux Etats-Unis. Donc, je ne dirais pas que la crise est finie, elle est plus lancinante. On n’est plus en phase aigüe, on est dans une phase chronique qui n’en demeure pas moins appauvrissante pour les citoyens et les entreprises. »

Avant, faisait face à une « extra-crise ». Maintenant, on a juste une crise avec des prix deux fois plus élevés que la moyenne. Cela reste une crise.

Damien Ersnst

Adel El Gammal : « Beaucoup d’incertitudes planent quant à une éventuelle reprise économique asiatique en cours d’année. La dureté de l’hiver reste aussi incertaine. En Europe, une grande partie du gaz est utilisée pour le chauffage domestique. En cas d’hiver rigoureux, la demande de gaz sera donc beaucoup plus importante. »

Par ailleurs, l’importance du Qatar n’est pas à sous-estimer. Car le pays, désormais médiateur central dans la guerre entre Israël et le Hamas, est aussi et surtout le 3e exportateur mondial de gaz, après les Etats-Unis et la Russie. Son action sur les marchés est incertaine. »

L’Europe a-t-elle gagné son duel face à la Russie ?

Damien Ernst : « Au niveau de ses exportations de pétrole, la Russie n’a quasiment rien perdu. Elle a pu contourner toutes les sanctions de l’Occident. Mais elle a perdu gros avec le marché européen du gaz. Elle a été incapable d’envoyer des volumes reconfigurés parce qu’elle a peu d’alternative. »

Quelle est la proportion de gaz russe utilisée par l’Europe ?

Damien Ernst :  « Elle a été fortement réduite. Avant, on importait 1.500 térawattheure par an. Maintenant, l’arrivée -par pipeline- est inférieure à 200 térawattheure. Il arrive encore un peu par l’Ukraine et par le Turkish Stream. D’ici fin 2024, la volonté est de ne plus importer de gaz de la Russie. Mais la dépendance aux combustibles fossiles reste toujours colossale en Europe. »

La dépendance aux combustibles fossiles reste toujours colossale en Europe. 

Damien Ernst

Adel El Gammal : « On peut attribuer beaucoup de crédit à l’Europe quant à la gestion de la crise énergétique. Mais on continue quand même à importer une quantité non négligeable de gaz de la Russie, à la fois par certains pipelines (Yamal, via la Pologne, ou le Turkish Stream). On oublie aussi qu’une certaine quantité de gaz russe continue à être importée sous forme de LNG. On est passé d’une dépendance au gaz russe qui représentait 45% de nos importations à 10 ou 15%. Si la Russie devait couper soudainement et complètement ses exportations de gaz vers l’Europe, cela créerait tout de même un choc non-négligeable. Moins impactant que celui qu’on a connu en 2022, car l’Europe est désormais mieux préparée, mais avec un effet temporaire important sur les marchés du gaz. »

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