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Les prix du gaz à nouveau en hausse: «L’Europe aurait dû sécuriser d’énormes volumes»
![Christophe Leroy](https://img.static-rmg.be/a/view/q75/w150/h100/5893975/940a6627-jpg.jpg)
Le prix du gaz naturel a augmenté de 97% en un an en Europe, dépassant à nouveau la barre des 55 euros par MWh. Malgré un contexte défavorable, aurait-elle pu éviter ce scénario?
Les ménages se chauffant au gaz naturel seront peut-être surpris du montant de leur facture de régularisation s’ils n’ont pas adapté à la hausse leur acompte mensuel. Alors que les coûts de distribution ont augmenté en 2025, il en va de même pour le prix du gaz naturel. Le 10 février, sur le marché Dutch TTF, le principal marché de gros européen, celui-ci a atteint 58 euros par mégawattheure, affichant une hausse plus ou moins linéaire de presque 97% sur une base annuelle. Ce montant reste largement inférieur aux sommets atteints lors de la crise de 2021-2022: la reprise économique post-Covid et, surtout, le début de la guerre en Ukraine avaient conduit le prix du gaz à un sommet de 339 euros par MWh le 26 août 2022, la moyenne s’élevant à 133 euros par MWh cette année là.
Par la suite, les prix avaient fortement chuté au cours de l’année 2023. «Les acteurs de marché ont appris à gérer le changement complet de l’approvisionnement en gaz en Europe, explique Stéphane Bocqué, responsable de la communication à la Fédération belge des entreprises électriques et gazières (Febeg). Il va désormais d’ouest en est, et non plus d’est en ouest. La part de LNG, de gaz naturel liquéfié, a considérablement augmenté, alors que le marché reposait davantage sur les pipelines auparavant. C’est désormais un véritable marché mondial, et non plus européen. On est en compétition avec les autres continents pour obtenir ce gaz liquéfié qui, en mer, décide d’aller vers le plus offrant.» Les pays asiatiques, par exemple, constituent en ce moment des stocks en prévision d’un été chaud et d’une demande accrue de climatisation.
Une baisse plus rapide des réserves de gaz
Outre cette compétition accrue, trois facteurs expliquent la hausse observée actuellement. Il y a d’abord la géopolitique, l’Europe se voyant coincée entre un président américain soucieux d'augmenter les droits de douane –les Etats-Unis sont le premier fournisseur de LNG– et l’indésirable Russie. Il y a ensuite le rôle de la météo, particulièrement défavorable cet automne et cet hiver. Elle s’est caractérisée par des températures plus froides (à l’échelle du continent) qu’attendu, une absence de soleil et une longue absence de vent, un phénomène appelé dunkelflaute (sécheresse énergétique). Ces deux derniers paramètres ont porté préjudice à la production d’électricité renouvelable et de ce fait, a conduit de nombreuses centrales à gaz à tourner à plein régime. Pour cette même raison, il y a enfin l’état préoccupant des réserves restantes de gaz, alors que le volume stocké a augmenté ces dernières années.
Grâce aux capacités disponibles de ses différents pays, l’Europe peut en effet stocker presque un tiers de sa consommation annuelle de gaz. Avec son unique installation d’une capacité commerciale de 7,6 TWh, à Loenhout, la Belgique est un Petit poucet en la matière. «A titre de comparaison, la consommation des particuliers et PME en 2023 et 2024 était d’environ 80 TWh, commente Fluxys, le gestionnaire du transport du gaz naturel en Belgique. Le stockage permet de couvrir la consommation annuelle d’environ 450.000 ménages.» A la suite de la crise énergétique et afin d’aborder les hivers plus sereinement, l’Europe a imposé, avec succès, un taux de remplissage des réserves d’au moins 90% au 1er novembre de chaque année. Les acteurs possédant des quotes-parts de stockage doivent payer des amendes s’ils ne respectent pas cet objectif. Mais cette année, du fait des conditions météorologiques évoquées précédemment, les réserves en gaz ont diminué plus rapidement que lors des hivers 2022-2023 et 2023-2024.
Le 12 février, elles affichaient un taux de remplissage de 46% à l’échelle européenne, et de 34% en Belgique. Il n’est toutefois pas possible de descendre à 0%, car il s’agit de gaz comprimé. En outre, une nouvelle vague de froid, avec des températures inférieures aux normales saisonnières, gagne l’Europe dès ce 14 février. Comme il s’agit d’une composante importante de la sécurité d’approvisionnement européenne, les marchés guettent avec attention le taux de remplissage de ces réserves de gaz. Désormais, ils s’attendent à ce que l’Europe ait d’autant plus besoin de volumes dans les prochains mois pour les remplir à nouveau, d’où une spéculation tirant les prix vers le haut. «Avant la crise, les prix du gaz étaient généralement plus bas en été qu’en hiver, souligne Stéphane Bocqué. Dorénavant, l’écart est moins important, ce qui peut poser problème pour la compétitivité du stockage.»
«A ce prix, l’économie européenne ne peut rivaliser avec les dix ou douze euros par mégawattheure que l’on observe aux Etats-Unis.»
Damien Ernst
Professeur à l’ULiège et expert de l’énergie
Pour Damien Ernst, professeur à l’ULiège et expert en énergie, l’obligation européenne en matière de stockage du gaz est certainement une bonne mesure. Mais, comme le prouve la hausse actuelle des prix , elle reste selon lui largement insuffisante. «Nous sommes à nouveau confrontés à une crise du gaz, estime-t-il. A 55 euros le mégawattheure, on peut dire que c’est le cas. A ce prix, l’économie européenne ne peut rivaliser avec les dix ou douze euros par mégawattheure que l’on observe aux Etats-Unis.»
Deux grandes mesures
L’Europe, critique-t-il encore, aurait dû procéder à deux grandes mesures pour éviter une nouvelle envolée de la facture. «D’abord, elle aurait dû sécuriser d’énormes volumes de LNG en achats centralisés, quand les prix sont retombés à 30 euros par MWh. Elle aurait pu si nécessaire revendre l’excédent aux prix du marché au-delà d’une certaine valeur, dégageant des recettes pour soutenir les consommateurs.» En 2023, l’UE a lancé un mécanisme d’achats groupés appelé AggregateEU, pour permettre à des entreprises européennes d’obtenir des offres par un autre biais que les marchés existants. L’initiative n’est toutefois pas comparable avec celle que préconise Damien Ernst.
«Ensuite, l’Europe aurait dû activer l’option de réparer Nord Stream 1 et 2 (NDLR: deux gazoducs connectant la Russie et l’Allemagne) pour pouvoir commercer à nouveau avec la Russie s’il y a une paix en Ukraine. Les Danois ont déjà donné l’autorisation à la Russie de réparer Nord Stream 2. Même sans utiliser les gazoducs, cela enlèverait la peur sur les marchés et permettrait de rééquilibrer la position stratégique de l’Europe face aux Etats-Unis.» Sur le long terme, Damien Ernst estime par ailleurs que l’Europe aurait dû, dès 2022, ouvrir les vannes pour l’exploitation du gaz de schiste et en mer du Nord. Au détriment des objectifs climatiques? «C’est un problème planétaire, conteste le professeur. L’Europe importe de toute façon le gaz qu’elle ne produit pas, donc ça ne change rien.»
Entre les facteurs géopolitiques et concurrentiels, rien ne laisse augurer, à situation inchangée, une baisse substantielle des prix du gaz pour cette fin d’hiver, voire même dans les prochains mois.
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