Le projet Slowheat veut réchauffer les corps plutôt que les bâtiments
A Bruxelles, le projet de corecherche Slowheat explore des pratiques qui pourraient révolutionner notre rapport au chauffage et apporter des réponses aux enjeux énergétiques actuels. Son principe est pourtant simple: chauffer les corps des occupants plutôt que l’air et les murs des bâtiments.
Chauffer son logement à 20°C pourrait bientôt appartenir au passé, tant pour des raisons économiques qu’ écologiques. L’ explosion des prix de l’énergie comme l’urgence climatique conduisent au changement. En Région bruxelloise, par exemple, le chauffage serait responsable d’environ un tiers des émissions directes de gaz à effet de serre et représenterait pas moins de 83% de l’énergie consommée dans les logements!
Pour diminuer à la fois la facture des ménages et l’impact environnemental du chauffage, le gouvernement bruxellois mise, comme les autres Régions, sur la rénovation énergétique du bâti. Sa stratégie Renolution vise ainsi à diviser par trois, en moyenne, la consommation d’énergie des logements d’ici à 2050. Selon Denis De Grave, architecte et chercheur à la cellule Architecture et climat de l’institut Lab de l’UCLouvain, ce plan est évidemment pertinent «mais ses objectifs sont trop lents et insuffisants pour faire face aux enjeux liés à la santé, au dérèglement climatique, à la disponibilité des ressources ou encore à la dépendance par rapport à certaines énergies et aux pays qui les produisent. Tous ces éléments font que, de manière choisie ou subie, nous devrons réduire notre consommation d’un facteur 7 dans les prochaines années.»
En deux à trois semaines, on peut déjà s’habituer à baisser la température ambiante de 2 à 4°C.
C’est face à ce constat que Denis De Grave et son collègue Geoffrey Van Moeseke, chargé de recherche au Lab Institute et professeur à l’UCLouvain, ont souhaité explorer d’autres solutions, complémentaires à la rénovation du bâti. «On s’est notamment demandé si le système de chauffage central qui consiste à chauffer les murs et l’air avait encore du sens face aux enjeux actuels, indique Denis De Grave. Notre point de départ était donc de trouver des solutions pour réchauffer non plus les bâtiments mais les corps, tout en s’inscrivant dans une optique de durabilité et de résilience par rapport aux problématiques énergétiques que l’on connaît.»
De cette idée est né Slowheat, un projet de recherche bruxellois financé par Innoviris et mené en cocréation avec des citoyens et différents partenaires comme l’asbl Habitat et participation, l’Institut de gestion de l’environnement et d’aménagement du territoire (Igeat) de l’ULB ou encore l’Institut de recherche en sciences psychologiques (Ipsy) de l’UCLouvain. Le groupe, d’une trentaine de personnes, s’est d’abord réuni pour discuter du sujet et établir les grands principes de cette corecherche, dont l’ objet est d’établir dans quelle mesure et à quelles conditions il est possible de réduire l’utilisation de chaleur externe. L’ objectif espéré est de diminuer rapidement la dépendance à certaines ressources non renouvelables et les effets sur le climat, mais aussi d’atténuer les conséquences des crises énergétiques sur la société.
Quels risques pour la santé?
L’hiver dernier, les participants au projet Slowheat ont expérimenté pour la première fois différentes pratiques qui s’articulaient, entre autres, autour de la perception du confort thermique et de l’utilisation de moyens de chauffage simples, multiples et appropriables. «Nous laissons à chacun la liberté d’essayer les solutions qu’il préfère pour dissocier le chauffage du corps de celui du bâtiment, et parvenir à baisser son thermostat et sa consommation, insiste Denis De Grave. Il y a, entre autres, l’acclimatation progressive à des températures plus faibles, l’utilisation de vêtements adaptés, le recours à l’activité physique ou encore l’utilisation de dispositifs de confort personnel comme des panneaux radiants. Ceux-ci consomment en moyenne 200 à 300 Watts, contre environ 1 500 Watts pour un seul radiateur classique.»
Utilisation de plusieurs sources d’énergie, régulation du chauffage maîtrisée et active plutôt qu’automatique et passive, référence au confort comme indicateur principal au lieu de la température… Les pratiques expérimentées par Slowheat sont simples mais rompent avec des habitudes de chauffage qu’on remettait rarement en question jusqu’à présent. Cela suscite inévitablement des interrogations, voire des craintes, surtout en ce qui concerne les effets potentiels de températures plus basses sur l’humidité des bâtiments et la santé de leurs occupants. «Nous nous sommes beaucoup renseignés sur ce dernier sujet et il n’existe aucune contre-indication à vivre à des températures plus faibles. Il est scientifiquement prouvé que le corps a la faculté de s’y habituer et un froid modéré a même des vertus sur le diabète, l’obésité et les maladies cardiovasculaires», précise Denis De Grave. En ce qui concerne les bâtiments, le chercheur rappelle qu’«une bonne partie des logements bruxellois ont été conçus avant l’apparition du chauffage central et n’ont pas besoin d’être chauffés entièrement. Par contre, la ventilation est très importante, même en hiver.»
50% d’économie en moyenne
Le projet Slowheat est encore en cours et ses conclusions devraient être publiées fin 2023, mais les premières expérimentations ont déjà permis d’écarter certaines craintes et de mettre en évidence plusieurs bénéfices. Selon leur composition, leur type de logement et leurs habitudes, les participants ont réussi à réduire leur consommation de chauffage de 30 à 90%. «Certains sont encore en début de parcours et d’autres vont presque jusqu’à couper leur chauffage central, mais je pense qu’à terme, on devrait atteindre environ 50% de diminution en moyenne», se réjouit Denis De Grave.
«Les expériences de l’hiver ont aussi confirmé qu’en deux à trois semaines, on pouvait déjà s’habituer à baisser la température ambiante de deux à quatre degrés. Comme pour la mobilité, il n’existe pas de recette toute faite, mais au fur et à mesure du projet, on commence à identifier des familles d’outils et de solutions plus adaptées à certains types de personnes.» Les résultats définitifs de Slowheat devraient déboucher sur la création d’une boîte à outils à destination des citoyens. Elle est prévue pour octobre 2023, mais l’objet de leur expérimentation est devenu un tel sujet d’actualité que les chercheurs envisagent déjà d’en partager une première version cet automne. De quoi donner quelques clés pour se chauffer autrement et, surtout, devenir plus résilients face à la crise énergétique.
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