Le prix du gaz sursaute, c’est tout sauf anodin: «Désormais, le moindre grain de sable a un impact»
Les prix du gaz connaissent un soubresaut. Le plus important en 2024. Il s’explique doublement et questionne la stratégie énergétique européenne. Si les stocks sont au beau fixe, le faible nombre d’acteurs dans l’approvisionnement et le manque d’alternatives au gaz pourraient causer des problèmes au long cours.
Simple incident ou prémices d’un problème au long cours pour l’Europe? Cette semaine, le prix du gaz a bondi de plus de 10% pour atteindre les 38,70 euros par mégawattheure. Un pic qui n’avait plus été mesuré depuis décembre 2023. Comment l’expliquer et quelles conséquences pour le consommateur?
Prix du gaz en hausse: quelles causes?
Les causes qui expliquent cette remontée du gaz sont multiples.
Premier élément: des problèmes légaux affecteraient l’achat résiduel de gaz à la Russie pour des raisons contractuelles. En particulier avec la compagnie pétro-gazière autrichienne OMV. «Une rupture totale de l’approvisionnement du gaz russe n’est pas à exclure. On parlerait de 4 à 7% du volume importé en Europe actuellement», estime Adel El Gammal, spécialiste de la géopolitique de l’énergie (ULB).
Deuxième élément: un incident est intervenu sur un terminal gazier en Norvège. Le pays nordique est devenu le premier fournisseur de gaz en Europe depuis le début de la guerre en Ukraine et livre près de 30% du gaz consommé sur le continent. «Le récent incident pourrait affecter jusqu’à 20% du transit norvégien vers l’Europe. La panne est évidemment temporaire mais il est difficile d’évaluer le temps de la remise en service complète», note Adel El Gammal.
Prix du gaz en hausse: diversification insuffisante et forte demande en LNG
Selon l’expert, la Norvège étant un pays ami et stable, la forte dépendance au gaz norvégien ne représente aucun risque géopolitique. «En revanche, en raison de la faible diversification des sources d’approvisionnement, tout incident technique peut désormais avoir un impact important sur le prix du gaz, qui de ce fait reste volatil. La liaison de la Norvège vers l’Europe étant assurée en grande partie par pipeline, on pourrait redouter un sabotage de la Russie, dans la mer Baltique notamment.»
La menace de destruction volontaire est réelle, mais pourrait ne pas provenir uniquement de Russie. «La question énergétique est devenue un enjeu stratégique européen, avec une course à la compétitivité. Cela impacte non seulement l’économie, mais aussi les souverainetés nationales», indique Florence Carlot, partner en charge de la practice énergie chez Arthur D Little.
«Au moindre grain de sable dans les rouages, des conséquences directes se font ressentir»
Florence Carlot
Partner en charge de l’énergie (Arthur D Little)
Si les approvisionnements par pipeline sont contraints, comme c’est le cas actuellement, la pratique habituelle est de se tourner vers le gaz naturel liquéfié (LNG). «A cet égard, la demande en LNG est relativement forte en Asie (NDLR: une vague de chaleur actuelle augmente la consommation de gaz)», remarque Adel El Gammal.
«De manière générale, l’Europe reste assez fragile depuis la crise ukrainienne. Elle extrêmement dépendante des importations, souligne Florence Carlot. Au moindre grain de sable dans les rouages, des conséquences directes se font ressentir.» Ici, la combinaison de deux événements (Norvège + Asie) crée inéluctablement une tension sur le marché. «Les sources d’approvisionnement ne sont pas infinies pour l’Europe. Quand une demande s’accélère dans une partie du monde, effectivement, l’autre partie en subit les conséquences.»
Des stocks de gaz rassurants
Toutefois, l’Europe peut se targuer d’une belle réussite, celle du remplissage de ses stocks. En ce moment, ils pointent à 70%, un taux plus que rassurant au sortir du printemps. «Légalement, l’objectif est d’atteindre les 90% chaque 1er novembre. Cette année, on pense déjà pouvoir y parvenir en septembre», avance Adel El Gammal.
«Légalement, l’objectif est d’atteindre un remplissage des stocks de 90% chaque 1er novembre. Cette année, on pense déjà pouvoir y parvenir en septembre.»
Adel El Gammal
Spécialiste en géopolitique de l’énergie (ULB)
L’hiver passé, très doux, a également permis de ne pas trop puiser dans les stockages. Et le printemps, plutôt mausade, fait que l’air conditionné est moins utilisé dans les pays du sud, et ce alors que les pays du nord ne chauffent plus ou presque. «Il n’y a aucune raison que le marché s’emballe comme on l’a connu avec la dernière crise énergétique», rassure Florence Carlot.
Si les prix du gaz actuels sont inférieurs à ceux de l’année passée à la même période, ils restent deux fois supérieurs aux prix en vigueur avant-crise. Le gaz étant une source d’énergie primaire très importante, toute augmentation est évidemment problématique. «Cela provoque aussi des coûts supplémentaires pour l’industrie en Europe, qui s’en passerait bien», commente le spécialiste en géopolitique de l’énergie.
Quelles autres options?
Dès lors, que peut faire l’Europe pour minimiser les risques à l’avenir? D’autres pipelines passent par l’Italie, l’Algérie ou l’Azerbaïdjan. Mais elles sont moins recommandables d’un point de vue coûts/risques. Le LNG américain est une option majeure, mais reste très chère.
«On est soumis à une compétition, pour l’achat de LNG, avec l’Asie et la Chine de façon générale, constate Adel El Gammal. Dans le futur, on doit s’attendre à rester assez dépendant, le tout dans un marché assez volatile. La marge de manœuvre sur les approvisionnements est faible, souligne-t-il. C’est pour cette raison que l’Europe est très active pour assurer le remplissage de ses stocks le plus tôt possible afin d’être en capacité d’encaisser des chocs éventuels, poursuit le spécialiste. Là où elle peut également agir, c’est dans l’accélération de la transition énergétique afin de diminuer sa dépendance sur les énergies fossiles.»
Pour Florence Carlot, assurer des contrats d’approvisionnement sur le long terme avec les sources existantes est une nécessité. «Mais les Européens doivent davantage se pencher sur les alternatives au gaz, avec une tendance vers l’électrification et l’hydrogène.»
Prix du gaz: quel impact sur la facture du consommateur?
L’incident norvégien combiné à la forte demande en LNG peuvent-ils directement impacter le consommateur belge? Difficile à dire, car un nombre important de mécanismes et d’acteurs interviennent entre le prix de gros du gaz et le prix du détail. «Si l’augmentation se prolonge, l’effet sera inévitable, mais un pic tel qu’on l’a connu cette semaine ne va pas impacter de façon majeure le consommateur. Qui plus est, en saison estivale, la consommation de gaz est relativement faible», relève Adel El Gammal. Pour minimiser les risques de crise, «il faut le plus possible modérer la consommation et s’inscrire dans un modèle de suffisance énergétique, ce qui a pour effet direct de diminuer les tensions sur le marché», juge enfin l’expert.
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