gaz russe
Un terminal Fluxys de GNL, au port de Zeebruges. © AFP

La Belgique toujours plus complice du gaz russe: «C’est une question très sensible»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Via le port de Zeebruges, la Belgique contribue toujours au transit et à l’importation de gaz russe, dont la part a même augmenté en 2024. La situation devrait toutefois évoluer: sanctions européennes et forcing de Donald Trump sont dans le pipeline…

Près de trois ans de guerre en Ukraine, et pourtant… l’Europe ne parvient toujours pas à se sevrer du gaz russe. La Belgique fait même office de plaque tournante dans la redistribution, via le terminal de Zeebruges et la société Fluxys. Plus interpellant encore, l’année 2024 est marquée par une augmentation du transit de gaz naturel liquéfié (GNL) originaire de Russie, via le port flamand.

Plusieurs organisations environnementales alertent sur le phénomène dans le quotidien De Standaard. Elles dénoncent une augmentation du GNL russe en transit «de 9% par rapport à l’année 2023.» Quant au GNL russe qui sert à la consommation propre en Europe, il a bondi «de plus de 19%.» Comment expliquer ce sursaut? Les éclaircissements d’Adel El Gammal, professeur de géopolitique de l’énergie à l’ULB et secrétaire général de l’European Energy Research Alliance (EERA).

Comment aborder cette augmentation de GNL russe en Europe?

Les importations de gaz russe par pipeline ont diminué très fortement suite à la guerre en Ukraine. En conséquence, l’apport par tuyaux a été remplacé par une importation de gaz naturel liquéfié (GNL), dont la Russie reste un solide fournisseur.

Par ailleurs, la Russie, privée d’une énorme capacité d’exportation par pipeline, est obligée de booster ses exportations de gaz liquéfié, vitales pour son économie. Les gisements se situent au Nord, dans les zones arctiques, où le transport de GNL nécessite des méthaniers brise-glaces. Actuellement, le Kremlin augmente ce type de flotte, ce qui lui coûte cher. Une fois arrivés en mer du Nord, les bateaux effectuent des opérations de transbordement, vers d’autres méthaniers qui livrent ensuite dans le reste du monde. Ce sont précisément ces pratiques qui se déroulent à Dunkerque et à Zeebruges. Elles ne devraient plus durer indéfiniment, puisque des sanctions européennes interdiront le transfert de gaz russe via les ports européens à partir de mars 2025. Ces répressions sont logiques, puisque que ce gaz ne bénéficie pas directement à l’Europe, mais il contribue à financer l’industrie de guerre russe.

En revanche, aucune sanction n’a été décidée concernant les importations de gaz russe pour la consommation propre – aussi bien GNL que pipeline – en Europe. Seule la déclaration de Versailles stipule que l’Europe souhaite s’affranchir du gaz russe à l’horizon 2027. Le pétrole russe, lui, a bien été la cible de sanctions.

Pourquoi l’Europe n’est-elle pas parvenue à se débarrasser du gaz russe?

Avant le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, 45% de notre consommation de gaz était importée de Russie, essentiellement par pipeline. Jusqu’à fin 2024, l’Europe importait encore entre 15 et 20% de gaz russe pour sa propre consommation, dont 8% par pipeline, et entre 8 et 10% de GNL. L’Europe ne s’est donc pas encore affranchie du gaz russe et la question reste très sensible. Cependant, depuis janvier 2025, les importations par pipeline via l’Ukraine ont été stoppées, Zelensky ayant mis fin au contrat. Ceci explique également que la part du GNL russe augmente en compensation.

Fin 2024, l’Europe importait encore entre 15 et 20% de gaz russe pour sa propre consommation, dont 8% par pipeline, et entre 8 et 10% de GNL. L’Europe ne s’est donc pas encore affranchie du gaz russe et la question reste très sensible.

Adel El Gammal

Professeur de géopolitique de l’énergie à l’ULB

La volume de gaz qu’on importait de Russie était colossal (155 milliards de mètres cubes en 2021). Une manière de combler ce trou serait de maximiser les importations via les autres pipelines existants. Mais peu de possibilités existent (Azerbaïdjan, Algérie, Norvège, Turquie) et elles sont déjà quasi toutes saturées. L’Europe ne peut pas augmenter considérablement la capacité au niveau des pipelines. Elle compense donc avec le marché du GNL, qui est encore relativement réduit en termes de quantité. Si l’Europe voulait remplacer l’ensemble de ses importations russes par du GNL, elle aurait réquisitionné 40% du marché mondial de GNL, ce qui est impossible. Ces chaînes d’approvisionnement sont limitées et proches de la saturation. C’est entre autres pour cette raison que les prix du gaz ont explosé en 2022. Une vague d’investissements dans les infrastructures GNL a été enclenchée depuis, mais son impact se fera ressentir à peine courant 2025-2026.

La société Fluxys, à Zeebruges, est souvent pointée comme complice du gaz russe. Votre avis?

Elle a vu son importance grandir, notamment de par sa capacité à inverser les flux. L’importation par pipeline ayant fortement réduit, le schéma d’approvisionnement de l’est vers l’ouest connaît un renversement. Fluxys joue donc désormais un rôle de redistribution, mais sera bientôt contrainte d’appliquer les sanctions européennes.

Pour compenser le manque de gaz russe, l’Europe va-t-elle se tourner vers le GNL américain?

Le but est de ne plus importer de GNL russe pour la consommation propre dans un horizon de deux ans. En achetant davantage de gaz américain, l’Europe pourrait éviter la menace des taxes douanières brandie par Trump. Cette tendance semble logique, et compatible avec la doctrine de Trump qui veut relancer fortement l’exploitation fossile. On ne verrait l’effet de ce changement que tardivement, d’ici un an minimum. Relancer l’exploitation fossile, aussi mauvaise soit-elle pour l’environnement, est un projet industriel lourd et chronophage. En 2025, on observera sans doute un marché du gaz assez tendu, avant que les surcapacités soient opérationnelles.

Accentuer sa dépendance au gaz américain est-il un pari risqué pour l’Europe?

Si la situation avec le Groenland s’envenime, Trump, incernable, pourrait aussi décider de limiter ses exportations de gaz comme moyen de pression. Il est donc extrêmement risqué d’augmenter notre dépendance vis-à-vis du gaz américain, oui.

Il est extrêmement risqué d’augmenter notre dépendance vis-à-vis du gaz américain.

Adel El Gammal

Professeur de géopolitique de l’énergie à l’UCLouvain

Peut-on s’attendre à une diminution des prix du GNL?

Le prix du GNL entre davantage dans une logique de marché, et dépend de l’offre et la demande. Alors que le prix du gaz par pipeline est prédéfini avec des contrats. Un redressement économique en Asie, laquelle est concurrente de l’Europe pour le GNL, pourrait faire flamber les prix. En revanche, l’augmentation des capacités américaines aurait tendance à les faire diminuer. Globalement, le GNL reste plus cher que du pipeline, car le coût de la transformation du gaz s’ajoute au prix total. En l’absence de chocs géopolitiques, la logique voudrait que le prix du gaz américain oscille désormais entre 35 et 45 euros du mégawattheure.  

 

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