Ivo Van Isterdael (CREG) : « Le prix du gaz pourrait à nouveau exploser »
Le prix du gaz est tombé en dessous de 80 euros par mégawattheure. Mais il pourrait bientôt exploser à nouveau, met en garde Ivo Van Isterdael, conseiller principal de la CREG, auprès de notre confrère de Knack.
Le prix du gaz européen est revenu au niveau de début 2022, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En août, lorsque la Russie a cessé de fournir du gaz par le gazoduc Nord Stream 1, le prix du gaz était de 350 euros par mégawattheure, début décembre il tournait autour de 135 euros et maintenant il est tombé en dessous de 80 euros. Comme le prix de l’électricité dépend du prix du gaz, il a également baissé. Donc rien que des bonnes nouvelles en ce début d’année.
« C’est le constat à court terme », met en garde Ivo Van Isterdael, conseiller principal de la CREG, l’organisme fédéral chargé de réguler les marchés de l’électricité et du gaz naturel dans notre pays. Il remonte plus loin dans le passé : jusqu’à la mi-2021, le prix du gaz était très stable, à un niveau bas, entre 15 et 25 euros par mégawattheure. Mais à partir de septembre 2021, le prix du gaz a commencé à augmenter pour un certain nombre de raisons« , explique Ivo Van Isterdael. « Notre économie a rebondi rapidement après la pandémie de coronavirus, la demande en Chine a augmenté, le printemps a été froid, il y avait moins de vent et donc moins d’énergie éolienne, et il y a eu l’élimination progressive du charbon ‘sale’ et des centrales nucléaires ‘dangereuses’ en Allemagne. Le résultat est qu’à la fin de 2021, le prix du gaz atteignait déjà les 100 euros. »
« Lorsque la Russie a déclenché la guerre en Ukraine en février 2022 et a lentement fermé le robinet du gaz, les prix du gaz ont grimpé en flèche« , poursuit Ivo Van Isterdael. Cela s’explique également par le fait que l’Europe devait alors reconstituer ses réserves de gaz et que les pays européens ont commencé à se faire concurrence pour obtenir du gaz. Ivo Van Isterdael : « Au lieu d’agir de manière unie et organisée au niveau européen, nous avons surtout vu que c’était chacun pour soi, sans stratégie claire ».
Plusieurs acteurs du marché ont alors fait des affaires en or. Des entreprises publiques comme le Russe Gazprom, le Norvégien Equinor et Qatargas ont enregistré des bénéfices records, tout comme le géant américain du gaz et du pétrole ExxonMobil, le Britannique Shell, le Français Total, l’Italien Eni, etc. Les grands négociants internationaux de matières premières comme Trafigura, Vitol et Gunvor et les acteurs financiers comme Goldman Sachs ont également été les grands gagnants de cette histoire. Les grands perdants ont été les ménages, les entreprises, les écoles et les hôpitaux européens qui ont dû payer des factures d’énergie plus élevées, ainsi que les gouvernements venus à la rescousse avec toutes sortes de mesures de soutien.
Vague de froid
Le prix actuel du gaz est bien inférieur aux 350 euros de l’été, mais il reste trois à quatre fois supérieur au prix que nous avons payé pendant des années. Le gaz n’est donc pas bon marché aujourd’hui. « Si le prix du gaz a baissé ces dernières semaines, c’est dû à la douceur de l’hiver en Europe« , explique Ivo Van Isterdael. « De plus, c’était Noël, une période où les grands consommateurs industriels ont besoin de moins de gaz. Mais plus tard, lorsque les entreprises recommenceront à fonctionner et si nous devions avoir un sérieux pic hivernal, le prix pourrait remonter en un rien de temps ».
Notre consommation a effectivement diminué de 15 à 20 % au cours des derniers mois, mais « lorsqu’il gèle dehors, notre consommation d’énergie remonte rapidement à des niveaux normaux », note Ivo Van Isterdael. « Manifestement, quand il gèle, on augmente le thermostat de quelques degrés ». Autre observation importante : « Si la consommation d’énergie devait diminuer parce que les entreprises délocalisent leur production hors d’Europe, ce serait mauvais pour notre tissu industriel et notre prospérité ».
Ces derniers mois, l’Europe a bien reconstitué ses réserves de gaz. « Il n’y aura peut-être pas de gros problème cet hiver, mais qu’en sera-t-il pour le reste de l’année 2023 ? Nous disposons d’une capacité de stockage de quelque 100 milliards de mètres cubes », affirme Ivo Van Isterdael. Combien en restera-t-il après l’hiver ? Au cours d’une année normale, il nous reste environ 50 milliards de mètres cubes de gaz, mais que se passe-t-il si janvier et février sont très froids ? Alors il ne nous restera peut-être que 20 milliards de mètres cubes de gaz. La demande de gaz en 2023 dépendra largement de la quantité de gaz que nous devrons reconstituer pour ramener nos approvisionnements à la normale. La météo des deux ou trois prochains mois déterminera en grande partie le prix du gaz en 2023. »
Guerre et covid
Même si on entame le printemps avec de grandes réserves de gaz, certains facteurs pourraient faire remonter les prix du gaz. Il y a évidemment aussi le déroulement de la guerre en Ukraine. Ivo Van Isterdael : « Les approvisionnements en gaz russe ont diminué de plus de la moitié en raison de la disparition des gazoducs Nord Stream, mais il y a encore du gaz russe qui arrive par des gazoducs à travers l’Ukraine et la Turquie et aussi par des navires GNL. Environ 20 % du gaz entrant en Belgique et dans d’autres pays européens est du gaz liquéfié russe. Est-ce que ça va rester comme ça ? Si ces approvisionnements en gaz russe devaient également disparaître, cela ferait grimper les prix ».
Autre facteur d’incertitude : les tensions à la frontière entre la Serbie et le Kosovo. Cela aussi pourrait entraîner une hausse des prix de l’énergie. Un autre élément est l’évolution de la crise du Covid en Chine et la rapidité avec laquelle l’économie de ce pays va redémarrer. L’Europe a pu importer du GNL à des prix intéressants parce que la Chine a connu un creux économique, mais que se passera-t-il si la Chine a de nouveau besoin de plus de gaz ?
La moindre étincelle
Une question clé est également de savoir comment l’Europe va réagir cette fois-ci. « Y aura-t-il une autre réaction de panique comme en 2022? », s’interroge Ivo Van Isterdael. Tous les grands pays consommateurs de gaz de l’Union européenne ont leurs propres grandes entreprises énergétiques : « L’Italie a Eni, en Allemagne le secteur du gaz a été nationalisé de facto avec le rachat d’Uniper et de Gazprom Germania (Securing Energy for Europe), la France compte sur Électricité de France et Engie, etc. Si cela redevient du chacun pour soi, cela aura à nouveau un effet désastreux sur les prix du gaz. Espérons que cette fois, il y aura une approche européenne avec des achats groupés et que nous pourrons conclure des contrats à long terme avec la Norvège à des prix fixes ».
En définitive, le marché du gaz restera très volatil, même en 2023. » La moindre étincelle pourrait entraîner une explosion du prix du gaz. Pour moi, il est certain que le prix du gaz va augmenter à nouveau », déclare Ivo Van Isterdael. « Je ne sais pas s’il atteindra à nouveau 350 euros, mais ce que je sais, c’est que le prix du gaz sera structurellement élevé pendant plusieurs années encore. Nous ne sommes pas près de payer à nouveau 20 euros par mégawattheure de gaz, comme cela a été le cas pendant des décennies ».
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