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Accord sur le nucléaire: vers d’autres prolongations ?

Après qu’Engie et le gouvernement belge ont signé un accord sur la prolongation des réacteurs nucléaires Doel 4 et Tihange 3, le Forum nucléaire espère d’autres prolongations.

Engie et le gouvernement belge ont signé un accord intermédiaire sur le nucléaire pour prolonger les réacteurs Tihange 3 et Doel 4. L’accord fixe un montant forfaitaire, de 15 milliards d’euros, pour les coûts futurs liés au traitement des déchets nucléaires.

Les deux parties s’engagent à tout faire pour pouvoir redémarrer les deux réacteurs dès novembre 2026.
Selon l’accord, le groupe Engie ne sera donc plus exposé à l’évolution des coûts futurs liés au traitement des déchets grâce au transfert de l’ensemble des obligations liées aux déchets nucléaires au gouvernement.

« En contrepartie, le groupe constatera une charge en résultat non récurrent de l’exercice 2023 correspondant à l’augmentation de ses engagements au titre de cet accord, nette de l’ajustement des provisions nucléaires, pour un montant de l’ordre de 4,5 milliards d’euros avant impôts. »

Le Forum nucléaire espère d’autres prolongations

Le secteur nucléaire se réjouit de l’accord intermédiaire conclu jeudi entre le gouvernement et Engie sur la prolongation des réacteurs Doel 4 et Tihange 3. Ce « premier pas » doit cependant s’accompagner d’autres démarches, comme la prolongation de tous les réacteurs actuels, si les conditions techniques et de sécurité le permettent, commente le Forum nucléaire.

Le secteur demande d’abolir la loi sur la sortie du nucléaire, votée il y a vingt ans. « Cette nouvelle décision sera indispensable afin de permettre la commercialisation de nouveaux réacteurs d’une part, mais aussi de prolonger tous les réacteurs actuels qui pourront l’être, d’un point de vue technique et en toute sûreté, et ce aussi longtemps que possible (au-delà des dix ans prévus actuellement), d’autre part », estime-t-on.

« Qui a gagné ? C’est Engie »

Engie a gagné son bras-de-fer avec l’État belge, ont estimé les députés d’opposition François De Smet (DéFI), Georges Dallemagne (Les Engagés) et Sofie Merckx (PTB) jeudi lors de la séance des questions d’actualité à la Chambre.

François De Smet a regretté que cette prolongation ne porte que sur 10 ans. Il s’est également interrogé sur les montants alloués à la recherche sur les petits réacteurs modulaires (SMR) diminués de moitié (à 50 millions d’euros) en faveur du programme spatial. Pour Georges Dallemagne, cet accord aurait dû avoir lieu il y a trois ans. « Engie fait passer le risque financier sur l’État belge en payant 15 milliards comme solde de tout compte. Engie a gagné son bras-de-fer à l’égard de la Belgique. », a-t-il conclu.

« Qui a gagné ? C’est Engie », a renchéri Sofie Merckx, faisant remarquer que le communiqué de presse avait été publié juste avant l’ouverture de la bourse. Depuis les bancs de la majorité, Marie Christine Marghem (MR) a exhorté le gouvernement à poursuivre le travail de prolongation « après le premier bon pas que vous venez de faire ». « J’ai mis une robe à fleurs pour vous adresser mes félicitations », a-t-elle lancé au Premier ministre Alexander De Croo.  » Mais, naturellement les fleurs sont périssables, pas comme les bonbons, et ils comportent des épines… », a-t-elle ironisé en paraphrasant Jacques Brel. À ses yeux, une prolongation de 10 ans reste insuffisante. « Il n’y a qu’un gagnant, et c’est le citoyen belge », leur a répondu la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen).

L’accord sur le nucléaire pourrait devenir le « plus grand hold-up de l’histoire de la Belgique »

Les organisations environnementales Bond Beter Leefmilieu (BBL), Greenpeace et Canopea sont scandalisées par cet accord sur le nucléaire. Elles estiment que le renouvellement des deux dernières centrales nucléaires, Tihange 3 et Doel 4, pourrait devenir « le plus grand hold-up de l’histoire de la Belgique ». Selon les organisations environnementales, tout le monde est perdant dans cette affaire, sauf Engie. Les organisations préviennent qu’aucun site ou technologie n’est encore disponible pour l’élimination des déchets nucléaires : il n’y a que des études et des hypothèses, dont le calcul n’est pas public jusqu’à aujourd’hui.

Ces associations considèrent l’accord comme la preuve ultime que l’énergie nucléaire n’est pas rentable. Engie refuse d’assumer le risque d’investissement, ce qui oblige l’État à participer, affirment les organisations. Aucune entreprise privée ne veut se brûler les doigts en prolongeant la durée de vie des vieilles centrales nucléaires.

Le gouvernement belge ne tire aucune leçon de la crise nucléaire en France

Jan Vande Putte, expert en énergie chez Greenpeace

En outre, Engie n’offre aucune garantie en termes de sécurité d’approvisionnement, mais seulement un engagement à faire le maximum. « Le gouvernement belge ne tire aucune leçon de la crise nucléaire en France, où près de la moitié des centrales nucléaires ont été mises hors service l’année dernière, en partie à cause de problèmes de corrosion du système de refroidissement », a déclaré Jan Vande Putte, expert en énergie chez Greenpeace. « Le gouvernement mise sur l’énergie nucléaire après avoir démontré son manque de fiabilité en Belgique et en France.

Alexander De Croo et Tinne Van der Straeten saluent l’accord

Le Premier ministre Alexander De Croo et la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten, ont salué l’accord conclu avec le groupe énergétique français Engie sur la prolongation de dix ans de la durée de vie des réacteurs Tihange 3 et Doel 4.

« La prolongation des centrales de Doel 4 et de Tihange 3 pour 10 ans est désormais bétonnée. Cet accord est important pour notre futur énergétique et pour les ménages belges. Il renforce notre approvisionnement en électricité, réduit la dépendance énergétique de notre pays et garantit la production en Belgique d’une électricité décarbonée et bon marché. Je remercie le management d’Engie pour tout le travail réalisé ces derniers mois pour aboutir à cet accord », a affirmé M. De Croo (Open Vld) dans un communiqué conjoint avec Engie.

« L’accord que nous avons négocié est un bon accord pour tous les Belges: nous apportons des certitudes sur le coût des déchets nucléaires et sur l’approvisionnement de notre pays », a pour sa part commenté Mme Van der Straeten (Groen).

« Cet accord permet aussi à la Belgique de sécuriser le financement de la gestion des déchets nucléaires pour les générations futures. La guerre en Ukraine a profondément changé le paysage énergétique européen et il était devenu urgent de se défaire de notre dépendance aux énergies fossiles et de reprendre notre énergie en main. Ce que nous faisons en prolongeant deux réacteurs nucléaires et, en même temps, en accélérant la transition énergétique. Je tiens à remercier Engie pour les négociations constructives de ces derniers mois, ainsi que mon administration, l’Ondraf (l’Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies,NDLR) et la Commission des Provisions nucléaires pour leur expertise », a ajouté la ministre écologiste.

L’accord sur le nucléaire, »une facture énorme pour le contribuable »

Ecolo a salué la conclusion de l’accord « historique » entre l’État belge et Engie sur le nucléaire. « Suivant le principe du pollueur payeur, Engie réglera un montant minimal de 23 milliards d’euros dont 15 milliards iront directement sur les comptes de l’Etat belge », a souligné le co-président, Jean-Marc Nollet qui a mis en avant le « combat avec Engie ».

« Avec les Verts au gouvernement, nous avons enfin une certitude: c’est le pollueur qui paie, pas le contribuable« , a-t-il ajouté. Malgré cette prolongation du nucléaire, les Verts soutiennent toujours le recours massif au renouvelable pour réduire les factures énergétiques combiné au déploiement de batteries, au stockage de l’énergie, aux interconnexions, à la bonne gestion des pics de demande, à l’efficacité énergétique et à la lutte contre le gaspillage et la surconsommation.

« La seule option durable, c’est le 100% renouvelable. C’est l’énergie la moins chère et la plus verte qui soit. C’est à la fois bon pour planète, les emplois localisés chez nous et pour les factures de nos citoyens et de nos entreprises », a-t-il encore dit.

La N-VA juge insuffisant l’accord conclu. « Une mini-prolongation qui envoie une facture énorme au contribuable », ont affirmé les nationalistes flamands, dans l’opposition. Une prolongation réduite à deux réacteurs ne garantit pas la sécurité d’approvisionnement, selon le député Bert Wollants qui met également en avant l’incertitude du coût de l’enfouissement des déchets nucléaires.

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