Electricité: les Européens divisés sur la façon de réformer leur marché
Réforme « structurelle » ou ajustements « ciblés »? Les Vingt-Sept affichent leurs divergences sur la manière de réformer le marché européen de l’électricité dans l’attente des pistes proposées par la Commission pour éviter la flambée des prix enregistrée en 2022.
Après « les décisions temporaires d’urgence » pour amortir la crise énergétique, « nous allons discuter de solutions de long terme (…) et avancer vite », assure la ministre suédoise de l’Energie Ebba Busch, dont le pays préside les Conseils de l’UE jusqu’au 30 juin.
Réunis lundi à Stockholm, les ministres européens de l’Energie ont exprimé des attentes contradictoires avant la publication des propositions de la Commission européenne attendues pour la mi-mars qui seront négociées entre Etats et eurodéputés.
Le prix de gros de l’électricité en Europe est fixé selon le coût de la dernière capacité de production utilisée pour équilibrer le réseau, principalement des centrales à gaz: l’an dernier, les prix avaient flambé à l’unisson des cours du gaz.
Plutôt qu’un découplage strict, Bruxelles entend plutôt encourager les contrats de long terme, permettant aux consommateurs de « lisser » leur facture, tout en offrant des revenus prévisibles aux fournisseurs.
« Nous devons renforcer les instruments de long terme pour protéger les consommateurs de la volatilité du marché » et envoyer un « signal de prix incitatif » aux investisseurs, a assuré lundi la commissaire à l’Energie Kadri Simson.
« Un équilibre à trouver » sans compromettre « la sécurité de l’approvisionnement », a complété Mme Busch.
La majorité des Etats membres restent attachés au fonctionnement de « court terme » du marché qui, fortement interconnecté, permet de répondre rapidement à des pics de la demande à l’échelle du continent.
« Nous devons être extrêmement prudents pour ne pas bouleverser cela », avertit le ministre tchèque Jozef Sikela.
Et la plupart se disent favorables au développement de contrats de long terme (PPA) passés de gré-à-gré entre producteur et consommateur, ou de « contrats pour la différence » (CFD), avec un prix de vente de l’électricité garanti sur une longue durée, afin d’amortir un investissement.
Mais de vives divergences apparaissent sur les modalités et le champ d’application de tels contrats : infrastructures existantes ou nouvelles, incluant ou non le nucléaire…
« Utile et efficace »
Outre l’efficacité du marché « de court terme » qu’il faut préserver, « nous n’avons pas de marché long terme garantissant les investissements dans les nouvelles infrastructures renouvelables et à bas carbone » comme le nucléaire, car le risque de prix bas décourage les investisseurs, avance la ministre française Agnès Pannier-Runacher.
Pour Paris, la solution serait d’imposer des CFD couvrant les renouvelables comme les centrales nucléaires nouvelles et existantes, organisant ainsi l’achat d’électricité à prix fixe sur des années.
Il faut « une réforme structurelle (…) utile et efficace », qui « apporte de la visibilité » aux investisseurs, abonde la ministre espagnole Teresa Ribera. Madrid soutient les CFD pour les centrales existantes et veut ainsi garantir l’essor des renouvelables.
« Il faut une réforme plus structurelle pour que des prix moins chers de sources comme les renouvelables arrivent jusqu’aux consommateurs », renchérit la Belge Tinne van der Straeten.
La Pologne, soucieuse de doper son parc nucléaire, demande, elle, d’importants assouplissements réglementaires pour subventionner ses capacités de production électrique à côté des renouvelables. Mais il s’agit d’une ligne rouge pour une partie des pays du Nord.
« Dégâts »
L’Allemagne et six autres pays (Pays-Bas, Luxembourg, Danemark, Estonie, Finlande, Lettonie) ont conjointement mis en garde mi-février contre « toute réforme allant au-delà d’ajustements ciblés (…) adoptée dans l’urgence » sans évaluation détaillée.
Des CFD peuvent « jouer un rôle » dans la transition énergétique, mais ils « doivent rester volontaires, ne pas être imposés rétroactivement, et se concentrer sur les nouvelles infrastructures de renouvelables », ont-ils insisté.
Pour Berlin, tout changement « systémique » ne devrait intervenir qu’après les élections européennes de 2024.
Même si les prix actuels « sont encore trop élevés pour l’industrie », une réforme précipitée « peut causer beaucoup de dégâts à un système qui fonctionne », s’est alarmé lundi le secrétaire d’Etat allemand Sven Giegold.
« La structure actuelle est globalement bonne (…) Ce marché nous a sauvés cet hiver: la France aurait sombré dans le noir sans l’électricité » de ses voisins, observe son homologue luxembourgeois Claude Turmes, défendant seulement d’éventuels achats de long terme pour soutenir les renouvelables.
L’Autriche pour sa part s’oppose aux contrats de long terme finançant à prix fixe le nucléaire: « Il faut se concentrer sur les solutions disponibles, bon marché, sans effets indésirables et sans danger: les énergies renouvelables sont notre seule garantie de prix bas », a soutenu la ministre Leonore Gewessler.