Des dizaines de milliers de compteurs électriques bientôt remplacés
L’installation des compteurs électriques «communicants» va s’accélérer en Wallonie et à Bruxelles. Un chantier de grande ampleur, annonçant un changement des usages.
Ce ne sera pas le premier ni le dernier objet du quotidien à disparaître de nos logements. Les ampoules à incandescence et autres téléviseurs à tube cathodique ne sont-ils pas rangés au rayon des anti- quités? Mais c’est un fait: ces bons vieux compteurs électromécaniques, avec leur disque qui tourne dans un sens – et dans l’autre, pour les producteurs d’électricité – feront bientôt partie du passé. Place aux compteurs électriques communicants. Ou digitaux, voire intelligents, c’est selon.
L’avènement de cette nouvelle génération de compteurs électriques se concrétise petit à petit dans l’esprit des usagers, particulièrement en Wallonie, où la date du 31 décembre 2023 a été fixée par les autorités régionales pour mettre fin au mécanisme de compensation, le fameux système du «compteur qui tourne à l’envers». Cela ne concerne que les prosumers, donc les détenteurs de panneaux photovoltaïques, mais constitue néanmoins un changement de taille dans la façon de mesurer la consommation et l’injection d’électricité sur le réseau. En réalité, les prosumers disposant d’une installation photovoltaïque posée avant la fin de cette année bénéficieront toujours de la compensation, jusque fin 2030. Pour eux, le compteur continuera de tourner indistinctement à l’endroit ou à l’envers.
Reste à savoir de quelle manière les consommateurs d’électricité accueilleront ces nouveaux compteurs électriques.
Ceux qui se lanceront dans la production photovoltaïque à partir du 1er janvier 2024 tomberont sous un autre régime, qui impose que soient séparés le décompte de la consommation et de la production. Cela implique que, comme cela a été décrété au niveau wallon, toute nouvelle installation sera obligatoirement assortie de la mise en place d’un compteur communicant, également appelé compteur double-flux, capable de mesurer séparément ce qui entre et ce qui sort. Le surplus de production sera vendu au fournisseur d’électricité, à un tarif cependant moindre que le prix d’achat. En d’autres termes, pour les futurs nouveaux prosumers, le principe qui prévaudra sera celui de l’autoconsommation: consommer, autant que faire se peut, au moment où l’on produit.
Des centaines de milliers de compteurs électriques
Ce changement de système, s’il met en lumière l’arrivée à grande échelle des nouveaux compteurs électriques, ne constitue pas le point de départ de leur déploiement. La décision de se lancer dans cette transition a été prise en 2018 par les Régions wallonne et bruxelloise, l’année suivante par la Flandre.
Cette dernière a avancé à grands pas, puisque le gestionnaire du réseau de distribution (GRD) du nord du pays, Fluvius, indiquait déjà, en mai, avoir installé 2,5 millions de compteurs.
En Région bruxelloise, l’objectif consiste à remplacer 80% des compteurs électriques à l’horizon 2030, «c’est-à-dire environ 540 000 compteurs», précise Charles Tiétard, responsable de la communication de Sibelga, le GRD bruxellois. Durant les quatre dernières années, quelque 35 000 compteurs digitaux ont été installés, en ciblant principalement les constructions neuves ou les grandes rénovations.
Les Bruxellois vont assister à un coup d’accélérateur. «Pour 2026, nous espérons franchir la barre des 200 000, ce qui représente 30% du parc total de compteurs», ajoute Charles Tiétard. Une nouvelle application sera par ailleurs lancée en mars prochain, proposant aux consommateurs de mieux gérer leur consommation.
En Région bruxelloise, contrairement à la Wallonie, les détenteurs de panneaux photovoltaïques ne s’inscrivent pas dans le système du compteur qui tourne à l’envers, mais toute installation doit d’ores et déjà être assortie d’un com pteur bidirectionnel, qui n’est donc pas nécessairement communicant, mais qui distingue consommation et injection.
En Wallonie, on attend le décret
Etablir des projections s’avère un tout petit peu plus complexe en Wallonie où, selon le cabinet du ministre de l’Energie, Philippe Henry (Ecolo), près de 300 000 compteurs communicants sont actuellement placés, sur un parc qui compte «près de 2,2 millions de compteurs d’électricité». En effet, le décret encadrant le déploiement des compteurs communicants prévoit, à ce stade, une couverture de 80% à l’horizon 2030. Mais l’adoption du Plan Air Climat par le gouvernement wallon, en mars 2023, a permis de revoir les ambitions à la hausse: un déploiement intégral pour le 31 décembre 2029. Le décret «est en discussion actuellement pour être approuvé en deuxième lecture, indique- t-on au cabinet de Philippe Henry. L’approbation par le parlement de Wallonie ne se fera que début 2024, au premier trimestre.»
En attendant, faute de décret approuvé, les différents GRD wallons, s’ils peuvent se préparer pour le déploiement à 100%, ne disposent pas encore des moyens qui y sont associés, fixés par la Commission wallonne pour l’énergie (Cwape). C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il faut comprendre les informations encore imprécises d’Ores, le principal GRD de Wallonie, desservant 197 communes. «Un peu plus de 200 000 compteurs communicants sont installés sur le réseau géré par Ores», sur un total d’environ 1,4 million de clients pour l’électricité, précise la porte-parole, Annabel Vanbéver. La volonté de déployer massivement l’outil est réelle, mais le GRD attend l’officialisation de la décision et l’approbation du cadre légal pour communiquer un agenda.
Depuis le 1er janvier 2023, la mise en place est systématique pour les nouvelles installations, le remplacement des compteurs à budget, les appareils très anciens et les clients qui en faisaient explicitement la demande. Les nouveaux prosumers viendront s’ajouter à ces niches dès le 1er janvier, sachant que l’ensemble du parc devra de toute façon être remplacé endéans les six ans. Les clients n’auront plus le choix, même s’il leur sera toujours loisible de refuser la fonction communicante du compteur.
Du côté du GRD liégeois Resa, qui dessert une bonne cinquantaine de communes en électricité, les projections sont plus détaillées. Sur un total de l’ordre de 450 000 compteurs, 59 317 étaient, au 31 octobre, des compteurs communicants. «Nous avons démarré en 2021, à raison d’environ 22 000 par an», détaille Laetitia Naklicki, porte-parole. Resa passera à la vitesse supérieure en 2024, avec un objectif de 54 000 installations au cours de l’année. «Entre 2025 et 2029, nous tablons sur une cadence de 72 000 compteurs digitaux par an.» Un travail qui sera grandement effectué par sous-traitance.
Les trois autres GRD de Wallonie, plus petits, se sont réunis sous la bannière d’Arewal, une filiale commune leur permettant de développer l’activité de «comptage intelligent». Cette structure indique avoir déployé 2 199 compteurs à ce stade.
Là aussi, une accélération s’annonce. Un de ces trois GRD, l’AIESH, active dans le sud du Hainaut, compte actuellement une bonne vingtaine de milliers d’utilisateurs. «Nous nous apprêtons, au 1er janvier, à passer à environ 26 000 à 27 000 utilisateurs», en raison de la reprise à Ores de la commune de Couvin, fait savoir Maxime Selves, directeur technique. «En se basant sur l’objectif de 80% à l’horizon 2030, l’AIESH prévoit 1 000 à 1 200 installations par an, ce qui représente un chantier très important.»
A noter que si, jusqu’à la fin de cette année, le remplacement d’un vieux compteur par un compteur communicant n’occasionne aucun débours pour les Wallons, la donne pourrait changer dès le passage à l’an neuf. Mais les montants éventuels dont il est question sont en cours de discussion à l’échelon de la Cwape et ne devraient être connus qu’aux environs du 15 décembre.
Compteurs électriques: entre promesses et réticences
Reste à savoir de quelle manière les consommateurs d’électricité accueilleront ces nouveaux compteurs, qui font l’objet de bien des critiques et de quelques craintes. Au sein des GRD et des régulateurs régionaux, on soupire un peu et on cherche à rassurer mais surtout à faire valoir les avancées majeures que pourront apporter ces dispositifs en matière de rationalisation de la consommation et de transition énergétique.
Tant à Bruxelles qu’en Wallonie, la fonction communicante ne sera activée que moyennant le consentement des clients. «La fonction communicante est placée d’office, sauf si le client demande sa désactivation lors du placement du compteur», précise-t-on toutefois, côté wallon, auprès du cabinet Henry. Dans sa fonction la plus basique, l’outil ne sera donc jamais qu’un compteur. C’est la raison pour laquelle plusieurs opérateurs privilégient les termes «intelligents» ou simplement «digitaux», histoire de coller à la réalité ou de rassurer quelque peu.
Parmi les critiques les plus récurrentes figure la crainte de voir installés dans les ménages des appareils trop intrusifs, capables de communiquer avec un peu trop de détails les données de consommation et d’injection, avec ce que cela comporte comme risques pour la vie privée. Une crainte infondée selon les GRD, la Cwape et Brugel (le régulateur bruxellois), qui formulent des garanties les plus strictes en matière de respect de la vie privée.
D’autres critiques portent sur les émissions d’ondes électromagnétiques, les risques de piratage ou encore sur leur efficacité relative sur la diminution de la consommation. Sans oublier, avancent leurs pourfendeurs, que ces compteurs constituent intrinsèquement de nouveaux appareillages électriques, nécessitant l’emploi de nouvelles ressources.
Mais l’objectif des autorités politiques et des gestionnaires de réseau consiste bien à les convaincre de l’utilité de la fonction communicante, lorsque le système sera opérationnel.
Parmi les avantages avancés figurent les aspects pratiques et administratifs, comme pour le relevé des index à distance et automatisé, et par conséquent une facturation beaucoup plus adaptative, calculée sur la quantité d’énergie réellement consommée.
Les prosumers auront pour leur part une vision détaillée de leur consommation et de leur production, leur permettant de gérer en meilleure connaissance de cause leur autoconsommation. La fonction communicante s’adressera aussi particulièrement aux membres d’une communauté d’énergie, qui pourront partager en temps réel la production d’énergie renouvelable auprès des autres membres.
Plus globalement, les compteurs communicants, en imaginant qu’ils fonctionnent au maximum de leurs capacités, offriront une vision bien plus détaillée et en temps réel aux GRD de l’état du réseau, des éventuelles pannes, du niveau de production et de consommation, etc.
Une priorité: la flexibilité
C’est d’ailleurs dans une perspective à long terme que Jean-Louis Lilien, professeur honoraire à l’ULiège et spécialiste du transport d’électricité haute tension, invite à voir leur avènement.
«Il faut saluer l’ingéniosité avec laquelle ont été conçus les compteurs électromécaniques qui ont fonctionné pendant des décennies. C’est de l’horlogerie de très haute précision», reconnaît-il. Mais, soutient-il, les nouveaux compteurs électriques constituent un élément indispensable parmi d’autres pour assurer la rationalisation et, surtout, la flexibilité qu’impose la transition énergétique en cours. L’électrification de la société verra les besoins globaux augmenter, pendant que les énergies renouvelables (solaire et éolienne) seront toujours conditionnées par une certaine intermittence. La gestion flexible et intelligente du système dans son ensemble, qui repose sur un équilibre entre production et consommation, sera alors un élément clé de la transition.
«Ces outils permettront, par exemple, de détecter des charges de base anormalement élevées dans certains ménages, où l’on pourra inviter les gens à faire attention à leurs appareils électriques qui tournent en permanence, illustre-t-il. On pourrait imaginer qu’à terme, une intelligence artificielle aide à analyser à quel moment il est le plus opportun d’allumer ses appareils, dans tel quartier, à telle heure, en fonction des données dont les GRD auront connaissance en temps réel.»
Le GRD et fournisseurs seront eux-mêmes en mesure d’instaurer des tarifs évolutifs, pour inciter les clients à consommer lorsque l’énergie est disponible et à se modérer lorsqu’elle l’est moins. Ce n’est qu’un petit aperçu du changement fondamental des usages qui s’annonce dans les années à venir, qui se concrétisera tôt ou tard dans le quotidien des usagers.
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