Délestages en Belgique: la lumière risque-t-elle de s’éteindre cet hiver ?
A l’heure où les Français se préparent à subir des coupures d’électricité cet hiver, les Belges peuvent-ils dormir sur leurs deux oreilles ? Si l’ENTSO-E, la fédération des 27 gestionnaires de réseaux de l’Union européenne et la ministre de l’Energie Tinne Van der Straeten s’attendent à ce que le système électrique belge tienne, Damien Ernst, professeur à l’Uliège et spécialiste en énergie, ne cache pas son inquiétude.
Confrontée à des opérations de maintenance et des problèmes de corrosion qui compromettent la production d’électricité du parc de centrales nucléaires, la France risque des délestages d’électricité cet hiver. « En France, où les habitants se chauffent principalement à l’électricité, le risque est très, très élevé », met en garde Damien Ernst, professeur à l’Université de Liège. L’ENTSO-E, la fédération des 27 gestionnaires de réseaux de l’Union européenne, classe d’ailleurs la France parmi les pays à risque.
Pour rappel, « le délestage est l’arrêt temporaire de la fourniture d’électricité à une partie des clients finaux dans certaines parties du pays », selon la définition du SPF Economie. Le terme n’est pas à confondre avec le terme « black-out » qui désigne l’effondrement de l’ensemble du réseau électrique.
La Belgique vient en aide à la France
Selon ENTSO-E, la Belgique ne doit pas se faire de souci pour la sécurité de son approvisionnement en électricité cet hiver, même si pour l’instant le réseau belge vient en aide au réseau français. Au cours du premier semestre, la Belgique a en effet exporté six fois plus d’électricité vers la France qu’elle n’en a importé de France.
Le cabinet de la ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten, ne s’attend pas non plus à des problèmes même s’il tient compte de la situation en France et examine si, pour les hivers suivants, une enchère spécifique d’une capacité de rechange sera nécessaire. A en croire le cabinet de la ministre, non seulement le réseau électrique belge tiendra, mais en plus il viendra au secours de la France.
« Déjà en juillet, nous avons pu mettre en évidence qu’il n’y avait pas de risque pour cet hiver et que nous pouvions même être un pays importateur de gaz vers l’Allemagne et d’électricité vers la France et c’est ce qui est en train d’arriver. Les années précédentes, c’était la France qui envoyait l’électricité vers les pays voisins dont la Belgique, et maintenant c’est le contraire », explique la porte-parole de la ministre Tinne Van der Straeten. « Même avec la fermeture de Doel 3, la Belgique reste capable d’exporter et le besoin d’importations pour la sécurité d’approvisionnement est limité », souligne le cabinet de la ministre.
La porte-parole de Tinne Van der Straeten rappelle qu’en Wallonie, beaucoup de ménages se chauffent au mazout ou au gaz. « C’est difficile de comparer parce qu’en France, beaucoup de gens se chauffent à l’électricité. S’il fait froid chez nous, nous restons un pays exportateur pour le gaz et l’électricité », déclare-t-elle.
Si la situation devait perdurer, un problème pourrait en revanche se poser en 2024-25. Un « delta » de 500 MW devrait être couvert. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension Elia examine donc l’opportunité d’une nouvelle enchère. Si celle-ci devait avoir lieu, elle viserait une capacité émettant le moins possible d’émission de CO2, avec une attention particulière accordée aux batteries et à la gestion de la demande. Elia devrait faire la clarté sur ce point à la mi-2023 et, le cas échéant, lancer une nouvelle enchère en septembre-octobre.
Damien Ernst se montre nettement moins optimiste. Selon lui, la Belgique court également un risque de délestage cet hiver, à l’instar de la France. « Un manque d’électricité au niveau européen peut provoquer des problèmes de délestage en Belgique aussi », craint-il. .
« Ce n’est pas parce que vous avez de l’électricité en Belgique qu’elle revient aux Belges, la Belgique aussi peut être confrontée à des pénuries d’électricité et des délestages. En cas de vague glaciale venue de l’Est qui plonge l’Europe dans le froid, ce phénomène n’est pas à exclure », explique Damien Ernst.
En cas de délestages, ce seront surtout les citoyens vivant à la campagne qui seront touchés. « On déleste principalement au niveau des réseaux de distribution, principalement dans des zones rurales », explique le spécialiste.
Black-out complet sur l’Europe
Pour le professeur, le risque de black-out n’est pas non plus exclu. « La crainte de black-out est toujours là. Je ne peux pas exclure que d’ici une heure on soit en black-out complet sur l’Europe. Ce sont des systèmes difficiles à manager, et plus vous stressez le système, plus la charge est élevée, plus vous avez le risque que quelque chose se passe mal sur le système ».
« S’il y a une vague de froid cet hiver, il y a un risque de délestage partiel et ce risque de délestage partiel sera accompagné d’une opération du réseau électrique dans des zones où la stabilité du réseau électrique est beaucoup plus menacée, ce qui pourrait conduire à des black-out totaux. Dans ce cas c’est toute la sécurité d’approvisionnement d’un pays qui serait menacée« , ajoute Damien Ernst.
Cette semaine, Elia publiera les résultats d‘une nouvelle enchère pour l’hiver 2026-27 dans le cadre du Mécanisme de Rémunération de Capacité (CRM) qui doit compenser la mise à l’arrêt d’une partie du parc nucléaire belge. Une analyse de risque a également commencé pour les hivers à venir à partir de 2025-2026. Les premiers résultats sont attendus à la fin de l’année.
En 2021, la Belgique a en effet instauré un mécanisme de rémunération de capacité (CRM) afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité après la fermeture prévue de toutes ses centrales nucléaires tout en soutenant la transition énergétique. Depuis l’année dernière, ce mécanisme apportera un soutien, au moyen d’enchères annuelles, aux unités qui peuvent fournir ou économiser de l’électricité à partir de 2025.
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