Crise énergétique: pourquoi lie-t-on encore le prix de l’électricité au prix du gaz?

Le Vif

Le prix de l’électricité est lié à celui du gaz. Quand ce dernier grimpe, le premier suit. Pourquoi maintient-on ce système?

Le prix de l’électricité sur les marchés de gros en Europe est aujourd’hui déterminé par le coût de production marginal du dernier kWh produit, également appelé mécanisme « pay as clear », explique Benoit Gerkens, conseiller économique à la Creg. Dans son étude 2442 , la CREG a recommandé la mise en place temporaire d’un mécanisme « pay as clear » plafonné. Le mécanisme est proche du mécanisme mis actuellement en application en Espagne et au Portugal.

Tout d’abord, « un tel changement ne serait envisageable qu’à l’échelle européenne vu la conception actuelle du marché de gros de l’électricité en Europe, qui repose sur le couplage unique des marchés day ahead », précise Mr Gerkens. En effet, si un tel système n’était implémenté qu’en Belgique, il entraverait significativement les échanges transfrontaliers d’électricité de la Belgique avec ses pays voisins. L’Espagne et le Portugal ont pu le faire isolement uniquement au vu de leur faible interconnexion avec le reste du marché européen.

L’adaptation du système « pay-as-clear » consisterait à plafonner le prix du gaz et du charbon que les unités thermiques utilisent pour proposer leurs offres sur le marché spot de l’électricité. Par conséquence, le prix marginal serait donc inférieur sur le marché spot. Les unités de production d’électricité affectées par ce plafond, c’est-à-dire les unités thermiques, recevraient une compensation afin de garantir qu’elles continuent à produire de l’électricité. Le montant de cette compensation varierait chaque jour, respectivement, en fonction de l’écart entre le prix du gaz naturel sur le marché spot et le plafond pour les unités au gaz naturel et en fonction de l’écart entre le prix du charbon sur le marché spot et le plafond pour les unités au charbon.

A titre d’exemple, le prix du gaz naturel a ainsi été plafonné en moyenne à 48,75 €/MWh pendant 12 mois dans le système implémenté par l’Espagne. Le plafond appliqué au prix du charbon devrait être évalué pour s’assurer que l’ordre d’activation des unités thermiques ne soit pas perturbé. En effet, un plafond trop faible du prix du charbon par rapport au plafond appliqué sur le prix du gaz conduirait à activer l’ensemble des unités de production fonctionnant au gaz avant d’activer les centrales au charbon. Ce qui aurait comme conséquence d’augmenter artificiellement la demande en gaz naturel et accentuerait la problématique actuelle de la hausse des prix du gaz naturel. 

Cette adaptation du système présente comme principal avantage de réduire le prix de l’électricité payé par les consommateurs, tant résidentiels que professionnels, explique encore le conseiller économique de la Creg. Autre point positif: conserver un incitant suffisant pour les nouveaux investissements dans de nouvelles technologies et ne pas interférer dans l’efficacité de l’activation des unités. De plus, cette adaptation présente l’avantage de réduire les surprofits actuellement observés pour les unités de production dont le coût de production n’est pas influencé par la hausse actuelle du gaz et du charbon. Cette adaptation représente donc une alternative intéressante lorsque les états européens rencontrent des difficultés pour taxer les surprofits. En effet, en l’absence de taxation des surprofits, les états rencontreront des difficultés budgétaires pour compenser financièrement les surcoûts que subissent les consommateurs d’électricité. Le principal désavantage de cette adaptation réside dans la compensation financière que les états européens devront verser aux unités de production thermique.

Cependant, tout comme l’Espagne et le Portugal l’ont mis en place, cette compensation peut être financée par :

  • une partie du « revenu de la congestion » obtenu à la suite d’échanges transfrontaliers ;
  • un prélèvement imposé par les états aux acheteurs bénéficiant de la mesure. En effet, le prélèvement nécessaire est inférieur au bénéfice engendré par les acheteurs. La compensation financière nécessaire ne doit couvrir que la part de l’électricité produite à partir du gaz et du charbon et la réduction du prix marginal impacte le coût de l’ensemble de la production d’électricité. A titre d’exemple, dans un système où les unités au gaz naturel représenteraient 50 % de la production totale d’électricité et où la production à partir du charbon serait absente, la compensation financière à financer ne représenterait que 50 % du bénéfice généré pour les acheteurs. 

Benoit Gerkens prend l’exemple où 1 000 GWh d’électricité sont produits, dont 20 % par des centrales au gaz avec une efficacité de 50 %. Pour un prix de marché du gaz de 300 €/MWh, le coût de la compensation est alors de 200 €/MWh si un prix plafonné du gaz de 100 €/MWh est imposé. Avec 200 GWh d’électricité produite par les centrales au gaz, cela conduit à une compensation de 200 000 MWh x 2 x 200 €/MWh, soit 80 millions d’euros. Le prix de l’électricité passera du niveau élevé actuel de 633 à 233 euros/MWh grâce au système de prix marginal du marché. Les économies réalisées par le consommateur en cas de production de 1 000 GWh d’électricité sont alors de 400 millions d’euros. Comme indiqué, un désavantage de la mesure réside dans la nécessité d’implémenter cette mesure au niveau européen et pas uniquement au niveau de la Belgique.

Les craintes de certains pays européens vis-à-vis de ce mécanisme « pay as clear » sont les suivantes. Tout d’abord, la crainte est de voir la consommation en électricité augmenter si son prix diminue et de voir la consommation de gaz augmenter au détriment du charbon si le prix plafonné pour le gaz est inférieur au prix équivalent du charbon. Par ailleurs, si la demande en électricité augmente, la demande en gaz va croître pour produire cette électricité. Cette augmentation de la demande en gaz augmenterait la problématique actuelle du manque de gaz en Europe à la suite de la diminution des approvisionnements en gaz russe. Ensuite, la crainte est également que les pays européens financent une électricité « bon marché » et soit exportée vers d’autres pays connectés à l’Europe, tels que l’Angleterre.

Pour éviter la crainte de voir la demande en électricité augmenter, il est important de définir un niveau de prix plafonné pour le prix du gaz qui soit supérieur au prix équivalent du charbon et qu’il soit suffisamment bas pour que le prix de l’électricité soit « gérable » pour le consommateur final et suffisamment élevé pour l’inciter à réduire sa consommation.

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