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Drogue, argent sale, revenus étrangers: plus de 500 milliards d’euros échappent au fisc chaque année

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Un ensemble de revenus ne se retrouvent pas dans la déclaration fiscale, et creusent le déficit budgétaire de la Belgique. Décryptage avec Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain.

La période pour rentrer sa déclaration d’impôts s’est achevée le 15 juillet dernier, sauf pour les contribuables touchant des revenus spécifiques (revenus d’indépendant et revenus professionnels étrangers), qui peuvent remplir leur déclaration jusqu’au 18 octobre. Sur son site web, le SPF Finances rappelle l’utilité de la déclaration d’impôt : « Pour faire fonctionner un pays, il faut de l’argent ». Pourtant, chaque année, des milliards d’euros s’envolent hors de portée du fisc. Où vont-ils ? Vers les paradis fiscaux, sur des comptes en banque à l’étranger ou carrément dans la nature.

Les revenus qui échappent au fisc

Cette économie parallèle se compose de trois branches :

  • Fraude fiscale (non-déclaration de revenus du travail et du capital dans le but de ne pas payer d’impôt) et sociale (travail au noir, non-paiement des cotisations, perception indue d’allocations, etc.)

« Il s’agit de revenus imposables non déclarés, indique Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain. Dans cette catégorie, on retrouve l’argent issu du trafic de drogue ou les revenus étrangers qui n’ont pas été inscrits dans la déclaration d’impôts ». La fraude sociale et fiscale atteindrait 19% du PIB de la Belgique (ce qui représentait à peu près 100 milliards d’euros en 2022), d’après les chiffres de World Economics, cités par Edoardo Traversa. « Voilà ce que représente l’économie souterraine belge. Un cinquième de la richesse produite sur le sol belge en un an, c’est beaucoup ». 

  • Revenus non assujettis à l’impôt (choix politique)

« On retrouve ici des opérations financières qui échappent à l’impôt parce que la classe politique l’a choisi, précise le fiscaliste. Seule une petite partie des revenus mobiliers et immobiliers se retrouvent dans la déclaration. Pour l’immobilier, il faut indiquer les revenus cadastraux mais pas les loyers effectivement perçus. Et une partie des revenus mobiliers (intérêts, dividendes, plus-values) a déjà été taxée au précompte mobilier. »

  • Évasion fiscale : évitement légal ou illégal de l’impôt

« C’est la zone grise entre les deux premières catégories. Des revenus qui échappent au fisc dans le cadre d’un détournement de la législation. Cela peut être légal ou illégal en fonction de l’évolution des règles. Souvent, on pointe du doigt les multinationales pour l’évasion fiscale, qui trouvent toujours un moyen de contourner les lois en vigueur. » D’après le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V), l’évitement illégal de l’impôt compterait pour 6% du PIB national, soit un peu plus de 30 milliards d’euros en 2022. Sachant que le déficit budgétaire annoncé pour la Belgique en 2023 est de 27 milliards d’euros, récupérer l’argent de la seule évasion fiscale permettrait de le combler. Quant à l’évitement légal, 380 milliards d’euros en 2020 sont partis des entreprises belges vers les paradis fiscaux selon l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac).

Comment récupérer cet argent perdu dans la nature ?

Si le constat chiffré est interpellant, il n’est pas neuf. Et les moyens d’inverser les choses sont connus des hommes et femmes politiques. Edoardo Traversa en cite quatre.

  • Investir dans la justice

« Pour répertorier l’argent noir qui transite lors des trafics de drogue, on utilise la voie pénale. Il faut donc d’abord mobiliser la justice via des enquêteurs pour collecter les informations. Ensuite, celles-ci sont envoyées à l’administration fiscale, qui peut enfin taxer. Lutter contre la criminalité financière possède un intérêt fiscal, car on parle de sommes importantes à récupérer ».

  • Croiser les données fiscales

« Dans le cadre de la fraude fiscale ‘classique’ (non-déclaration de certaines opérations), on peut chercher l’information par d’autres moyens. Si un indépendant ne déclare pas tous ses revenus, on peut se tourner vers ses clients et leur demander la liste des factures. Si le nom de cet indépendant apparait, c’est bingo pour l’administration fiscale. De même, le fisc peut savoir auprès d’une banque d’un autre pays si vous percevez des revenus à l’étranger qui ne se trouvent pas dans la déclaration ».  

  • L’intelligence artificielle

« On ne le dit pas assez, mais le SPF Finances utilise déjà l’intelligence artificielle pour lutter contre la fraude fiscale. À l’avenir, l’IA pourrait servir à brasser les données pour mieux dresser le profil des contribuables, et ainsi être armé face à la fraude. Mais attention aux dérives du Big Data, comme on l’a vu aux Pays-Bas (le fisc a demandé à des familles d’origine étrangère qui avaient été sélectionnées par une IA de rembourser des allocations familiales, ce qui s’est avéré être une erreur par la suite, NDLR). Il faut toujours une validation humaine dans ce genre de processus ».

  • Une réforme fiscale

 « Le système fiscal manque d’efficacité. Il faut taxer le revenu de manière plus harmonieuse. Certains revenus ne sont pas imposés du tout, d’autres sont exonérés d’impôt. Sans compter les revenus fictifs que la loi prend en compte, mais qui ne correspondent pas aux revenus réels. Toutes ces anomalies ne sont aucunement liées à la fraude mais la résultante d’un choix politique. C’est un problème de justice fiscale que la réforme en discussion doit régler ».

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